Notes du secrétaire français prises au cours d’une réunion au Quai d’Orsay, Paris, , source : Documents diplomatiques français, série : "1922", tome II : "1er juillet-31 décembre", Bruxelles, Peter Lang, 2008, p. 386-387 :
"Lord Curzon demande si le gouvernement français serait prêt à envoyer des troupes [en Thrace orientale ].
M. Poincaré [président du Conseil et ministre des Affaires étrangères] répond qu’il peut en prélever sur les effectifs qu’il a à Constantinople et sur la ligne de Tchataldja.
Lord Curzon rappelle que les généraux ont parlé de l’emploi de sept bataillons.
M. Poincaré énumère les troupes françaises qui se trouvent actuellement sur place. A Tchataldja, il y a un bataillon de Sénégalais ; deux bataillons de troupes métropolitaines ; un bataillon de tirailleurs tunisiens ; une batterie d’artillerie et deux escadrons de chasseurs d’Afrique. A Constantinople, trois bataillons métropolitains ; un bataillon sénégalais ; un détachement de chars d’assaut ; un peloton de cavalerie ; deux batteries ; trois compagnies de génie et une escadrille d’aviation ; à Gallipoli, il y a un bataillon.
M. Galli dit que le gouvernement italien était prêt à envoyer des troupes en Thrace orientale : il estime donc que l’Italie n’aura sans doute aucune difficulté à en envoyer à Karagatch.
Lord Curzon dit que des troupes anglaises ne seront disponibles que si les hostilités avec les troupes kemalistes ne commencent pas. Il lui semble que la présence de troupes alliées à Karagatch permettrait de laisser provisoirement la question en suspens. Par ailleurs, il lui paraît que l’évacuation des Grecs ne sera pas possible dans le délai d’un mois. D’abord, il y aura des difficultés sur place s’il n’y a pas des contingents alliés assez forts ; en outre, où établira-t-on tous ces réfugiés, alors que le gouvernement grec ne sait où installer les réfugiés de Smyrne ? Sans doute, on peut, en échange, rejeter sur la Turquie la population musulmane de la Thrace occidentale ; mais de pareils déplacements de population nécessitent du temps et des incidents surgiront si les Alliés ne sont pas sur place.
M. Poincaré réplique que M. Venizelos s’est montré très optimiste ; il est vrai que M. Politis l’a été un peu moins. D’ailleurs, il ne lui paraît pas que des excès de la part des Turcs victorieux soient probables. Il n’imagine pas que, s’installant en Thrace , ils commettent avant la conférence des crimes qui retourneraient contre eux l’opinion du monde entier.
Lord Curzon répond qu’ils ont cependant agi ainsi dans le Pont-Euxin où ils ont commis des atrocités qui dépassent toute imagination.
M. Poincaré ne veut pas parler de ce qui a pu se passer en Anatolie , mais les Turcs n’ont rien fait de tel en Europe. Comme lord Curzon rappelle les massacres d’Arméniens, M. Poincaré ajoute que ces massacres ont eu lieu il y a plus de 20 ans et que, au cours de la dernière guerre, on n’a eu à reprocher aux Turcs aucune atrocité.
Lord Curzon fait allusion aux faits qui viennent de se passer à Smyrne.
M. Poincaré répond que l’amiral Dusmenil est formel pour dégager la responsabilité des Turcs."
Documents diplomatiques français, série : "1923", tome II : "1er juillet-31 décembre", 2013, p. 438 :
"267
M. POINCARE, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
A M. JESSE-CURELY, GERANT DU HAUT-COMMISSARIAT DE FRANCE A CONSTANTINOPLE.
T. n° 624. Chiffré.
Paris, , 21 h.
Par télégramme 541, du , je vous ai prié de donner des instructions pour qu’aucun contingent d’Arméniens et autres réfugiés ne soit dirigé sur la France sans autorisation préalable de mon département. Par télégramme 595, du 4 octobre, je vous ai signalé les sérieuses difficultés résultant de l’arrivée en masse d’Arméniens qui refusent le travail qu’on leur offre.
Or le vapeur italien Brenta vient de débarquer à Marseille 895 Arméniens provenant de Constantinople dont les passeports ont été visés du 1er au 12 octobre par notre consulat2.
Donnez l’ordre formel au consulat de refuser tout visa aux Arméniens et prévenez les armateurs et les compagnies de navigation que les autorités françaises s’opposeront au débarquement de tout réfugié dont le passeport ne serait pas régulièrement visé.
E-Levant 1918-1940, Turquie, vol. 59. (...)
2 Le 19 octobre, Poincaré avait refusé l’entrée en France de Russes arméniens et de Cosaques kalmouks, « non désirables » et demandé des explications sur les visas délivrés à 700 Arméniens récemment débarqués à Marseille , « saturée d’étrangers » (T. n° 610)."
En tant que président de la République (1913-1920), Raymond Poincaré a joué un rôle dans l’affermissement de l’alliance entre la IIIe République et la Russie tsariste , contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie . Les archives russes comportent des informations utiles sur les massacres (massifs) de musulmans par les nationalistes arméniens, et aussi sur la politique intérieure ottomane.
Sur Raymond Poincaré : La France face au "génocidaire" (sic) Cemal Paşa (1922)
L’incendie d’Izmir (1922) : la piste gréco-arménienne
Sur les sources françaises : Empire ottoman : les victimes oubliées de l’insécurité en Anatolie orientale
Les "massacres de chrétiens" dans l’Empire ottoman tardif
"Génocide arménien" : le rôle de la gendarmerie ottomane
Première Guerre mondiale : l’importance de la participation militaire et paramilitaire des Arméniens
Empire ottoman : les Arméniens et la question cruciale des chemins de fer
La gouvernance de Cemal Paşa (Djemal Pacha) en Syrie (1914-1917)
24 avril 1915 : l’arrière-plan géostratégique d’une descente de police
Les massacres de musulmans persans à Ourmia (1918)
Le général Refet Bele et les Arméniens
Cilicie : pourquoi les Français ont-ils dissous la Légion arménienne (1920) ? Eléments de réponse
Les constatations d’Adrien Léger sur les Arméniens en Cilicie
Les malheureux incidents de Maraş, d’Urfa et d’Antep (1920)
Le général Gouraud face au problème des crimes arméniens en Cilicie
Cilicie : une évacuation en bon ordre (1921)
L’émigration des Arméniens de Cilicie (1921)
Voir également : Jacques Kayser : défense des droits de l’homme et critique des minorités de l’Empire ottoman
La mort des triumvirs jeunes-turcs : l’interprétation de Berthe Georges-Gaulis
René Grousset : une arménophilie ambivalente, incertaine, parfois extrêmement asséchée