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vendredi 22 septembre 2023

Loi de censure arménienne

La fête de l’ASALA à l’Assemblée nationale française

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 1637

Nous publions la version française de l’article de Maxime Gauin, chercheur à l’USAK-ISRO, dans le supplément dominical du quotidien Star, le 1er janvier 2012, et mis en ligne le lendemain.

La fête de l’ASALA à l’Assemblée nationale française

« Inquisitoriale, liberticide et obscurantiste » avait dit Josselin de Rohan, alors président de la commission des Affaires étrangères au Sénat, le 4 mai 2011. La proposition de loi de censure, concernant la question arménienne, fut rejetée par une écrasante majorité de sénateurs ce jour-là.
Pour des raisons purement électoralistes, Nicolas Sarkozy s’est assuré du vote d’une nouvelle proposition, similaire, le 22 décembre. Le texte était présenté par la députée de Marseille Valérie Boyer. La proposition fut adoptée, malgré l’opposition de la plupart des éditorialistes, du social-démocrate Jean Daniel au conservateur Yvan Rioufol, hostiles à la proposition, malgré les protestations d’historiens français, notamment Pierre Nora, malgré aussi l’hostilité du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé et le « mécontentement » du ministre de l’Intérieur Claude Guéant.
Comme trop souvent, M. Sarkozy agit sans réfléchir suffisamment et sans craindre de se contredire. Et, comme d’habitude pour une proposition de loi touchant la question arménienne, une cinquantaine de députés seulement ont pris part au vote — c’est-à-dire moins de 10 % de l’effectif total.

Le cadeau empoisonné
En fait, le texte de Mme Boyer est totalement contre-productif, même dans une perspective strictement nationaliste arménienne. En effet, il pénalise la « contestation de l’existence » des « génocides reconnus par la loi » française. Un seul est « reconnu » : le prétendu « génocide arménien ». Georges Vedel, l’un des plus grands juristes français du XXe siècle, a consacré son dernier article à démontrer que la « loi » de « reconnaissance » (2001) a tous les aspects de l’inconstitutionnalité. En effet, l’article 34 de la Constitution, qui délimite le champ de la loi, exclut les textes purement déclaratifs. Par ailleurs, la « reconnaissance » viole le principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois et, d’une façon encore plus évidente, la séparation des pouvoirs : en qualifiant de « génocide » un évènement, le Parlement agit comme un tribunal, statuant sur des évènements qui se sont produits à l’étranger, par des étrangers (décédés) et sur des étrangers (pour la plupart décédés avant 2001), ce qui est interdit. Robert Badinter, président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, puis sénateur jusqu’en septembre 2011, a répété la démonstration trois fois, la dernière ce 22 décembre 2011. D’autres juristes de renom l’ont aussi démontré.
En conséquence, si la proposition Boyer devenait une loi — ce qui n’est guère probable —, la seule conséquence concrète et directe, pour les militants arméniens, serait la censure, par le Conseil constitutionnel, tant du texte de Mme Boyer que de la « reconnaissance ». En effet, depuis 2008, il existe en droit français la question prioritaire de constitutionnalité. Si vous êtes poursuivi au nom d’une loi, vous pouvez demander la vérification de la constitutionnalité de la loi en question. Il n’y a même pas l’ombre d’un doute : des textes aussi évidemment inconstitutionnels seraient censurés, le cas échéant. La Turquie, ou des organisations turques, pourraient aussi poursuivre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Tout pour plaire au fan-club des terroristes
Le Wall Street Journal qualifia le passage d’une résolution arménienne dans une des chambres du Congrès américain, en 1984, de « fête de l’ASALA » (ASALA’s day). Ce vote français mérite aussi une telle qualification. L’un des partisans les plus acharnés de la proposition de Boyer, Patrick Devedjian, fut l’un des avocats de l’ASALA de 1981 à 1984, et soutint avec véhémence les attentats des groupes terroristes arméniens. Jean-Marc « Ara » Toranian, co-président du Conseil de coordination des associations arméniennes de France (CCAF), fut porte-parole de l’ASALA en France, de 1976 à 1983, et l’autre co-président, Mourad Franck Papazian, écrivit plusieurs articles enflammés, dans les années 1980, pour soutenir un autre groupe terroriste arménien, les CJGA/ARA — c’est-à-dire le groupe qui assassina le diplomate turc Yılmaz Çolpan à Paris, le 22 décembre 1979. M. Toranian, et d’autres dirigeants du CCAF, parlent de la Turquie, sinon du peuple turc, en disant « le bourreau ». Le CCAF en tant que tel soutient fortement le PKK, au moins en paroles.

Les discours défendant la proposition Boyer à l’Assemblée nationale furent un remarquable florilège d’absurdités, de sophismes et de demi-vérités. Plusieurs parlementaires et représentants du gouvernement nièrent que la proposition de loi vise un pays, ou même un « génocide » en particulier, ce qui est réfuté par le texte de la proposition elle-même, et par d’autres interventions, qui expliquent clairement que seul le conflit arméno-turc est en cause. Ceux qui ont ainsi menti ajoutèrent l’injure à l’offense, en croyant qu’un Turc, ou qu’un historien français, pourrait croire à de tels propos qui se réfutent d’eux-mêmes.
Michel Diefenbacher, président du groupe d’amitiés France-Turquie, sauva l’honneur de l’Assemblée par un bon discours, rappelant que le texte est inconstitutionnel, et ne va pas améliorer, bien au contraire, les relations turco-arméniennes. Le député Jacques Myard dénonça un « crime contre la pensée ».
Cet évènement noir s’est produit pour des raisons électoralistes : M. Sarkozy croit à tort qu’un tel texte peut améliorer significativement le nombre de ses voix, et la plupart des députés d’opposition n’osent pas s’opposer à ce texte, par peur du vote arménien.

Et maintenant ?
Les autorités turques ont menacé de représailles économiques — respectant le droit international — et de conséquences préjudiciables à la culture et à la langue françaises en Turquie. Que pouvaient-elles faire d’autre ? En 2001, la crise économique avait empêché le gouvernement turc de prendre des mesures réellement dissuasives, ce qui ouvrit la voie à d’autres « reconnaissances » ; en 2006-2007, les promesses que la proposition de loi de censure ne serait pas votée par le Sénat limitèrent la dureté de la réponse turque. En l’occurrence, c’est la première fois qu’un tel texte antiturc, liberticide et inconstitutionnel, arrive par la seule décision du président. Toute personne rationnelle doit espérer que nous éviterons l’affrontement, mais étudier des réactions dissuasives est une nécessité pour Ankara.
Il y a déjà quelques signes intéressants, quoiqu’insuffisants, de crainte du côté du gouvernement français. Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale et déjà un opposant à la proposition Boyer, a dit que ce texte ne serait probablement pas adopté d’ici les élections législatives (juin 2012), le gouvernement n’ayant pas utilisé la procédure d’urgence. Ce n’est pas révéler un secret que dire que des sénateurs travaillent, depuis la fin décembre, à une nouvelle motion d’irrecevabilité, pour raisons d’inconstitutionnalité.
Cette lamentable affaire eut au moins comme résultat positif de montrer pour la première fois l’importance de la population d’origine turque en France, y compris ceux qui ont la citoyenneté française. Entre 3 000 et 5 000 Turcs manifestèrent devant l’Assemblée nationale ; des milliers d’autres, venus de Province, furent empêchés par la police de participer à la manifestation. Le Comité de coordination des associations franco-turques, récemment créé, a publié une lettre ouverte aux députés, parue sur une pleine page par Le Monde, comme publicité.
Il est maintenant du devoir de toute personne inquiète pour les libertés fondamentales en France de contribuer à la défaite d’un maximum de partisans de ce texte orwellien, en juin 2012, et d’informer enfin le reste des politiques français. En voilà assez.

Maxime Gauin