L’axe Téhéran-Moscou-Erevan, un risque pour la stabilité du Caucase et de l’Europe ?
L’axe Téhéran-Moscou-Erevan, un risque pour la stabilité du Caucase et de l’Europe ?
Par : Sébastien Boussois
Le président russe Vladimir Poutine (G) serre la main du Premier ministre arménien Nikol Pashinyan avant le défilé militaire du Jour de la Victoire sur la Place Rouge à Moscou, Russie, le 9 mai 2023. [EPA-EFE/VLADIMIR SMIRNOV / SPUTNIK / KREMLIN POOL MANDATORY CREDIT]
Depuis des siècles, le Caucase-Sud est sous influence de grandes puissances régionales. Aujourd’hui, la zone y est plus instable que jamais et l’Arménie se rapproche dangereusement de la Russie et de l’Iran. Un risque pour l’UE ?
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient et relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité et Défense) et du NCCT (Nordic Center for Conflict Transformation Stockholm).
Si l’Azerbaïdjan est soutenu par la Turquie — membre de l’OTAN — et Israël, l’Arménie a fait des choix d’alliances qui la livre à la Russie et à l’Iran. Tout cela pourrait compliquer sérieusement sa relation à l’Europe et à ses soutiens.
Mais dans un contexte où Erevan est largement sortie affaiblie en 2020 après avoir perdu le Karabakh, le Premier ministre, Nikol Pashinyan, présent à Moscou mardi (9 mai) pour la commémoration de la victoire contre l’Allemagne nazie le 9 mai 1945, peut-il se passer de la Russie et de l’Iran ?
À l’heure actuelle : impossible, selon les autorités arméniennes. M. Pashinyan l’a même confié à Al Jazeera en juin 2022 : « L’Iran est un pays ami pour nous ».
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Retour de l’Iran dans le Caucase ?
Dans une interview à la télévision publique iranienne fin novembre 2022, le Premier ministre arménien, déclarait même que « L’Arménie cherch(ait)e à approfondir les liens avec la République islamique d’Iran dans tous les domaines », alors que Téhéran réprimait dans le sang les manifestants qui défilaient dans les rues du pays dans un mépris total des droits humains fondamentaux.
En réalité, l’Iran cherche depuis des années à revenir dans le grand jeu du Caucase-Sud et voit d’un très mauvais œil l’axe géostratégique qui se dessine depuis la fin de la seconde guerre du Karabakh entre Bakou (Azerbaïdjan), Ankara (Turquie) et Tel-Aviv (Israël).
Ennemi juré d’Israël, l’Iran a donc renforcé son soutien à l’Arménie qui dispose déjà d’un accord stratégique et énergétique avec la Russie. Dernièrement, Téhéran a vendu des drones à Erevan, posant la question du contournement des sanctions.
Cette influence du régime iranien dans la région est une longue histoire. Il partage d’ailleurs, avec l’Arménie, la volonté de faire front commun contre l’influence turque.
De son côté, la Russie n’est pas un médiateur neutre depuis la déclaration tripartite du 10 novembre 2020 ayant mis un terme à la seconde guerre du Karabakh entre Bakou et Erevan.
Comme l’explique Elchin Amirbayov, ancien ambassadeur d’Azerbaïdjan et conseiller diplomatique azerbaïdjanais, il serait difficile aujourd’hui pour Erevan de nier l’évidence : « Moscou a deux bases en Arménie, plus une en construction. La plupart des frontières arméniennes sont gardées par le FSB, et 75% de l’économie arménienne appartient aux oligarques russes. Cela va être difficile de prendre de la distance avec Moscou ! » De plus, la guerre de la Russie contre l’Ukraine n’a pas arrangé les choses.
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« Écoutez bien : et un, deux, trois ! » : un groupe de détenues de la prison d’Evin à Téhéran entament alors avec force le chant révolutionnaire « Bella ciao » en farsi, tandis que la fille de l’une des prisonnières les enregistre à l’autre bout du téléphone.
Aide azéri à l’Ukraine
Dans la zone d’influence russe, l’Azerbaïdjan a été le premier pays du Caucase à avoir promis de l’aide à l’Ukraine et à avoir contribué au soutien occidental.
Dès le 26 février 2022, Zelensky avait tweeté en remerciant les autorités azéries d’avoir donné la consigne aux stations essence de la compagnie nationale pétro-gazière, SOCAR, présentes sur le sol ukrainien, de fournir gratuitement les ambulances du pays en carburant. Plus encore, des médicaments avaient été acheminés par avion depuis Bakou vers Kiev.
Sous influence et emprise soviétique pendant des décennies, l’Azerbaïdjan a toujours cherché à garder sa liberté face à Moscou. Elle représente donc une carte pour l’UE dans sa bataille contre le Kremlin. Le renforcement des relations entre Bakou et Bruxelles en matière énergétique en est notamment la preuve.
De son côté, l’Arménie a toujours voté aux Nations Unies pour soutenir la Russie, y compris en 2014 après l’annexion illégale de la Crimée par Moscou. Cela pose un sérieux problème d’allégeance à l’Europe, où les soutiens à la cause arménienne sont pourtant extrêmement nombreux.
La France est, depuis l’arrivée au pouvoir du président Emmanuel Macron, dans une posture ambigüe : elle soutient l’Arménie, mais aucune voix officielle ne condamne la diagonale Téhéran-Erevan-Moscou. Membre du groupe de Minsk, Paris a essayé de se présenter comme un médiateur de la crise post-conflictuelle entre Bakou et Erevan en maintenant ses relations avec l’Azerbaïdjan.
Dorénavant, comment défendre les droits de l’Homme qui seraient bafoués par Bakou à l’égard des Arméniens du Karabakh, alors que ceux-là se réfugient dans les bras de Moscou et de Téhéran ? L’Europe doit demander des gages à l’Arménie pour continuer d’entrainer le processus de paix soutenu et engagé par l’actuel président du Conseil européen, Charles Michel. Elle doit aussi lui offrir les moyens de son autonomie idéologique, politique et économique.