Il faut dénoncer d’urgence et condamner le soutien de l’Arménie à la Russie
Il faut dénoncer d’urgence et condamner le soutien de l’Arménie à la Russie dans la guerre contre l’Ukraine
article original ; https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/il-faut-denoncer-d-urgence-et-condamner-le-soutien-de-l-armenie-a-la-russie-dans-la-guerre-contre-l-ukraine-913508.html
OPINION. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Arménie s’est rangée derrière la Russie, notamment en soutenant les séparatistes des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lugansk. Une position qui pose question.
Explications. Par Sébastien Boussois, chercheur spécialiste du Moyen-Orient au CECID (Université Libre de Bruxelles) et l’OMAN (UQAM Montréal).
Sébastien Boussois
11 Avr 2022, 10:20
L’Ukraine est probablement en train de devenir le nouveau pays martyre d’une Russie prête à tout pour rayer le pays de la carte. Hélas, la guerre engagée a, de par sa violence et l’acharnement de l’armée russe, mis un terme à l’espoir d’une paix rapide et négociée. Le monde entier a condamné la politique de Vladimir Poutine et son choix d’envahir le pays, jusqu’à y commettre de nombreux supposés crimes de guerre. La communauté internationale s’est rangée, comme un seul homme, derrière Kiev et son leader Volodymyr Zelensky.
Peu de pays soutiennent encore la politique russe, notamment de l’ancien bloc soviétique. A part la Biélorussie, tous ont apporté leur soutien à la souveraineté et l’intégrité de l’Ukraine. A part un autre d’entre eux, qui depuis le début de la guerre en Ukraine, s’est rangée derrière son parrain russe : il s’agit de l’Arménie.
Dans le conflit qui l’a opposé à l’Azerbaïdjan depuis 1992, et l’occupation illégale d’une partie du Karabakh, représentant 20% du territoire azerbaïdjanais, Erevan s’est souvent présenté comme une victime de l’histoire quand Bakou a décidé, après 30 ans de négociations infructueuses, de reprendre le territoire qui lui avait été volé par la force. Mais dans le même temps, sur le modèle de son allié russe, elle a non seulement soutenu pendant 27 ans les séparatistes pro-arméniens du Karabakh, comme elle l’a fait en réalité au Donbass et continue à le faire depuis le début de la guerre. Pendant que l’Azerbaïdjan aide l’Ukraine depuis plus d’un mois, l’Arménie reste étonnamment très discrète depuis le début de guerre mais soutient discrètement les séparatistes des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lugansk. En dépit du droit international, des sanctions, et de toute morale politique !
L’Azerbaïdjan a envoyé une aide humanitaire à l’Ukraine
D’un côté, dans le cadre de la situation en Ukraine, le 27 février 2022, l’Azerbaïdjan a envoyé une première aide humanitaire à l’Ukraine d’un montant de 5,5 millions d’euros, comprenant des médicaments, des fournitures, appareils et équipements. Le 12 mars dernier, une autre aide humanitaire de l’Azerbaïdjan a été envoyée au peuple ukrainien. L’aide humanitaire se composait également de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de nourriture afin de fournir des soins médicaux d’urgence. 380 tonnes d’aide matérielle totalisant plus de 5,5 millions d’euros ont ainsi été acheminées.
De l’autre, un étrange silence de la part d’Erevan depuis le début de la guerre intrigue. Il y a une raison bien simple qui risque de mettre l’Arménie dans une position intenable et explosive face à son soutien sans faille à Moscou. Selon une déclaration du ministère russe de la Défense, datée du 7 mars 2022, les séparatistes arméniens dans les territoires de la République d’Azerbaïdjan, où les forces russes de maintien de la paix sont temporairement déployées, ont envoyé 14 tonnes d’aide humanitaire sur le territoire ukrainien contrôlé par les forces armées de la Fédération de Russie.
Autre fait tout aussi condamnable : le 19 mars 2022, un rassemblement a été organisé à Erevan pour soutenir l’opération militaire russe en Ukraine. Les participants se sont rassemblés dans le centre de la capitale et ont marché en direction de l’ambassade de Russie. Ils tenaient des drapeaux de l’Arménie et de la Russie, une bannière de victoire et des affiches portant la lettre Z, bien identifiables désormais : « Nous sommes des partisans de la liberté, de l’autodétermination et de l’amitié arméno-russe. Aujourd’hui, notre allié mène un combat de civilisation. C’est un conflit de civilisation. En défendant la Russie, nous défendons notre identité, nos traditions, nos familles traditionnelles, l’église », a déclaré l’un des organisateurs du rassemblement, leader du groupe « Arménie forte avec la Russie. Pour une nouvelle Union ». Selon les organisateurs, l’objectif de cette organisation, créée en février dernier, est une intégration plus étroite et plus complète avec la Russie - jusqu’à la formation d’un État-union.
L’Arménie envoie des avions militaires en Russie
Il y a pire au niveau étatique : l’Arménie a envoyé quatre avions de combat Su-30 avec des pilotes arméniens à la Russie pour les utiliser en Ukraine et a tenté de brouiller les pistes pour ne pas voir la destination finale de ces derniers. En effet, les avions ont été envoyés en Russie le 23 mars 2022. Le point de départ était l’aéroport Erebuni à Erevan. A 12h50 heure locale, quatre chasseurs Su-30 avec des pilotes arméniens ont décollé de là. Les avions sont arrivés à leur destination finale, la Russie, à 13h14. Des photos satellites ont également confirmé cette information : la première des images satellites, prise le 18 mars 2022, publiée par les mass-médias montre 4 avions de combat de type Su-30 sur une base aérienne en Arménie ; la deuxième image, prise le 25 mars, présentait une vue différente du même endroit ; les nouvelles images ne montrent aucun Su-30 envoyé en Russie. Là où ils étaient, il y a maintenant des MiG-29. Pour dissimuler le transfert des avions, l’Arménie a transféré à la hâte quatre avions de guerre Su-30 de Syrie.
Ayten Mouradova, la vice-présidente de l’association « Dialogue France-Azerbaïdjan », note que : « Les preuves des massacres de Bucha en Ukraine rappellent certainement la tragédie commise par des formations arméniennes contre les civils azerbaïdjanais dans la ville de Khodjaly dans la région du Karabakh dans la nuit du 25 au 26 février 1992 ». À cet égard, selon Ayten Muradova, « il n’est pas surprenant que les Arméniens soutiennent ouvertement l’agression militaire russe contre l’Ukraine »[1].
Ami de l’Azerbaïdjan et historiquement protecteur de l’Arménie, Moscou semblait attendre une fidélité sans faille de la part des deux pays, notamment sur le dossier ukrainien. Mais si l’Azerbaïdjan s’est démarqué, en condamnant parmi les premiers de la région l’attaque, pour bien rappeler à la Russie son attachement fondamental à la souveraineté des Etats, l’Arménie n’a pas cru bon de prendre ses distances à l’égard du Kremlin. A l’heure où le monde entier est uni derrière l’Ukraine, où le président Zelensky a plusieurs fois annoncé son souhait de renforcer encore son partenariat historique avec Moscou, l’Arménie est en train de s’empêtrer dans une guerre dont elle n’a pas les moyens et se rendre coupable par là même de supposés crimes de guerre qui risquent bien d’entacher durablement son image d’éternelle victime de l’histoire et des Azerbaïdjanais. Il faut d’urgence rappeler à Erevan les lourdes conséquences qui risquent de peser sur un pays déjà au bord du gouffre politique et économique.