29 Mai 1453 La Conquête d’Istanbul
Hakkı Uzunçarşılı
Le Mouvement vers Istanbul
Les Premières Forces Arrivées et l’Occupation des Forteresses en Dehors de la Ville
Avant même le début du siège, après la construction de la forteresse de Boğazkesen, le Sultan Mehmed avait ordonné de placer Istanbul sous un cordon militaire terrestre, interdisant toute entrée ou sortie de la ville. De son côté, l’empereur avait fermé les portes de la ville après y avoir accueilli les habitants extérieurs. Cependant, la liaison maritime n’avait pas été coupée. Les Grecs attaquaient les villages turcs côtiers, prenant certains en otage et en tuant d’autres. En février 1453, le Sultan Mehmed ordonna le transport du grand canon devant Istanbul. Il était tiré par soixante bœufs et entouré de quatre cents soldats pour le stabiliser. Cinquante ouvriers et deux cents travailleurs avaient été envoyés à l’avance pour préparer le chemin et construire des ponts en bois. Le canon fut finalement installé à cinq miles d’Istanbul (1).
Avant le transport du canon, une force de dix mille hommes dirigée par Karaca Paşa prit les forteresses de Misivri, Ahyolu, Vize et d’autres. Une autre forteresse près de Silivri fut prise par la force et la forteresse de Silivri résista en défense ; Bigados se rendit. Le canon fut remis à Karaca Paşa devant les murs (2).
Incursions en Morée
Pendant le siège d’Istanbul, le Sultan Mehmed envoya Turahan et ses fils Ahmed et Ömer Bey en Morée pour empêcher les despotes de Morée, Thomas et Démétrios, frères de l’empereur, d’envoyer des renforts à Istanbul.
Le Mouvement de Sultan Mehmed vers Istanbul
Après avoir terminé tous ses préparatifs, le Sultan Mehmed quitta Edirne le 12 Rebiulevvel 857 (23 mars 1453). Il s’arrêta à Keşan pour attendre les forces anatoliennes traversant le détroit des Dardanelles. Après les avoir rejointes, il continua sa marche et arriva devant les murs d’Istanbul le 5 avril 1453. Le siège de la ville commença le lendemain, le 6 avril/26 Rebiulevvel, vendredi (4). La flotte ottomane, considérablement développée, participa également au siège, encerclant la ville de la terre de Ayvansaray sur la Corne d’Or à Hrisi Pili (Porte Dorée).
Les Murs d’Istanbul (5)
La ville de Lygos, située sur le site du palais de Topkapı, fut fondée au IXe siècle av. J.-C. et capturée en 660 av. J.-C. par Byzas de Mégare, qui donna son nom à la ville et la fortifia avec des murs. Cette première muraille entourait la ville depuis le phare d’Ahırkapı, passant par la basilique Sainte-Sophie et descendant jusqu’au port de Sirkeci. La ville de Lygos se trouvait à l’intérieur de ces murs, avec des fortifications côtières.
L’empereur romain Septime Sévère (193-211) élargit ces fortifications en ajoutant une deuxième muraille allant du marché aux poissons (Portaperema) à la basilique Sainte-Sophie. Constantin le Grand (306-337) fit de Byzance la nouvelle capitale de l’Empire romain en 324 et fit construire de nouvelles murailles, entourant une zone beaucoup plus grande. Ces nouvelles murailles, connues sous le nom de murailles de Constantin, allaient de la Porte d’Or de la Corne d’Or à la mer de Marmara.
Au début du Ve siècle, la population de Byzance avait tellement augmenté que les gens commencèrent à construire des maisons à l’extérieur des murailles. En réponse, l’empereur Théodose II (408-450) fit construire les célèbres murailles de Théodose, qui reliaient la mer de Marmara à la Corne d’Or. Après un tremblement de terre, les murailles furent réparées et renforcées par une seconde muraille intérieure et un fossé extérieur de six à sept mètres de profondeur.
L’État des Murs pendant le Siège
Pendant le siège de Mehmed, les murs de Théodose avaient été réparés et étaient en bon état du côté terrestre, mais les murs de la Corne d’Or et de la mer de Marmara étaient plus faibles. Cependant, en raison de la chaîne bloquant l’entrée de la Corne d’Or, la flotte ottomane ne pouvait pas pénétrer dans cette zone.
L’arrivée des Renforts pour Istanbul
L’empereur Constantin XI s’occupait des préparatifs de défense. Le 26 janvier 1453, le Génois Giovanni Giustiniani arriva avec deux galères et sept cents soldats pour participer au siège. Il fut nommé commandant en chef par l’empereur, qui lui promit l’île de Lemnos en cas de succès. Le Pape envoya également trois grandes galères avec deux cents soldats et des provisions, promettant trente autres navires en préparation. De plus, des forces de Chios, de Gênes et d’Espagne arrivèrent également (10).
Les Génois de Galata, conscients des risques pour eux-mêmes en cas de chute d’Istanbul, demandèrent des renforts à Gênes et reçurent la promesse de cinq cents soldats et d’un navire. Cependant, ils tentèrent également de maintenir de bonnes relations avec les Ottomans, envoyant une délégation à Edirne pour renouveler leur amitié.
Le Siège d’Istanbul
Les grands canons furent placés face à Vlaherna (palais de Tekfur), à la Porte d’Edirne et à la Porte de Topkapı. Le plus grand canon fut d’abord placé face à Kaligaria (Porte de Eğrikapı), mais il fut déplacé vers le nord de la Porte de Topkapı. Les artilleurs étaient répartis en quatorze groupes, trois à Vlaherna, deux à Eğrikapı et Edirnekapı, quatre à Topkapı et trois à Silivrikapı. Le sultan Mehmed établit son quartier général derrière la Porte de Topkapı, à Maltepe.
Le flanc gauche des murs terrestres, de Ayvansaray à la Porte d’Edirne, était sous le commandement de Dayı Karaca Paşa, tandis que le centre, de la Porte d’Edirne à la Porte de Topkapı, était sous le commandement du sultan. Le flanc droit, de la Porte de Topkapı à la Porte de Yedikule, était sous le commandement d’İshak Paşa et de Mahmud Paşa (19).
Ces événements montrent l’étendue des préparatifs et de la stratégie déployés par les Ottomans pour conquérir Istanbul, ainsi que la résistance acharnée des défenseurs byzantins et leurs alliés.
Les Forces Assiégeantes des Ottomans
Les Forces Terrestres Ottomanes
L’effectif de l’armée ottomane ayant participé au siège d’Istanbul est estimé entre cent cinquante mille et deux cent mille hommes selon diverses sources. Toutefois, il est difficile de distinguer la proportion exacte de soldats réguliers et de volontaires ou de non-combattants dans ces chiffres. On estime que l’armée terrestre, comprenant les janissaires (Kapıkulu ocakları), les sipahis des provinces d’Europe (Rumeli) et d’Anatolie (Anadolu) et les azaps (soldats légers), comptait entre cent mille et cent vingt mille hommes. Une partie de cette force, sous le commandement de Zağanos Paşa, se trouvait à Beyoğlu, à l’extérieur des murs de Galata, qui appartenait aux Génois.
La Flotte Ottomane
La flotte ottomane, avec environ cent cinquante navires de diverses tailles, était commandée par Baltaoğlu Süleyman Bey. Certaines sources byzantines mentionnent jusqu’à quatre cent vingt navires. Cette flotte encercla les murs d’Istanbul, à l’exception de ceux du côté de la Corne d’Or. Selon Kritovoulos, avant la prise d’Istanbul, Baltaoğlu captura le fort de Büyükada le 13 avril, tandis que le Sultan s’empara du fort de Tarabya sur le Bosphore et, le même jour, du fort de Burgaz, assurant ainsi la sécurité et le renseignement dans ces zones.
Les Forces de Défense Byzantines
Forces Terrestres et Maritimes Byzantines
Le nombre exact de défenseurs byzantins n’est pas certain, mais plusieurs sources permettent d’estimer qu’au moment du siège, l’armée régulière de l’empire comptait environ cinq mille hommes. Juste avant le siège, l’empereur Constantin XI rassembla environ 4973 citoyens capables de porter les armes. En plus de ces forces, environ trois mille soldats arrivèrent en renfort de Venise, de Gênes, de Crète, de Chios, d’Espagne et de Provence. Avec les équipages des navires et les six cents Turcs sous le commandement du prince Orhan, la force totale de défense de Byzance atteignait environ quinze mille hommes. Les murs de la ville furent divisés en vingt-sept sections, chacune défendue par un commandant, avec l’empereur et Giovanni Giustiniani défendant la région de Topkapı.
Flotte de Défense
La flotte byzantine et les navires alliés comprenaient huit navires génois, quinze vénitiens, six appartenant aux républiques italiennes et sept galères byzantines, totalisant trente-neuf navires. Le 2 avril, ces navires se trouvaient dans la Corne d’Or, derrière la chaîne tendue entre le Yalıköşkü et Galata pour bloquer l’entrée. Dix de ces navires étaient positionnés pour empêcher toute tentative de briser la chaîne.
Offre de Capitulation et Rejet
Le siège, qui commença le 6 avril, fut entièrement organisé le 11 avril. Sultan Mehmed, respectant la tradition islamique, envoya Mahmud Paşa proposer à l’empereur la reddition de la ville sans effusion de sang. Constantin XI, ayant juré de défendre la ville, refusa l’offre et proposa de payer un tribut annuel. À partir du 12 avril, les canons ottomans commencèrent le véritable siège, causant de sérieux dégâts aux murs de la ville.
La Première Attaque
Le 18 avril, après plusieurs jours de bombardement, une brèche fut ouverte dans les murs près de la vallée de Bayrampaşa. Une attaque de nuit suivit, mais échoua en raison de la résistance acharnée des défenseurs et de l’utilisation du feu grégeois. La flotte ottomane tenta également de forcer la chaîne de la Corne d’Or, mais sans succès.
Bataille Navale
Le 20 avril, une bataille navale se déroula au large de Yeşilköy. Une flotte papale, renforcée par un navire byzantin venant de Morée et chargé de provisions, tenta d’entrer dans Istanbul. Malgré une lutte acharnée, la flotte ottomane ne put empêcher l’entrée des navires ennemis dans la Corne d’Or, ce qui affaiblit le moral des Ottomans.
Conseils de Guerre et Stratégies
Face à ces revers, un conseil de guerre ottoman fut convoqué. Le grand vizir Halil Paşa proposa de lever le siège en échange d’un tribut annuel de soixante-dix mille ducats d’or, craignant l’intervention des puissances occidentales. Cependant, Zağanos Paşa et d’autres commandants et érudits s’opposèrent à cette idée, décidant de poursuivre le siège.
La Descente de la Flotte dans la Corne d’Or
Zağanos Paşa fut chargé de construire un pont de Hasköy à la rive opposée de la Corne d’Or, facilitant ainsi la communication entre les forces ottomanes et permettant une attaque coordonnée contre les défenses byzantines.
Ces événements illustrent la complexité et l’ampleur des préparatifs militaires des Ottomans et la résistance déterminée des défenseurs byzantins pendant le siège d’Istanbul.
Le Sultan Mehmed, confronté à l’échec de sa flotte qui n’avait pas réussi à franchir l’obstacle entre Yalıköşkü et Kurşunlu Mahzen pour pénétrer dans la Corne d’Or, opta pour une autre stratégie. Il voulait entrer dans la Corne d’Or car les murs de cette zone étaient plus faibles et donc plus faciles à détruire ; c’était également pour cette raison que la chaîne avait été tendue.
Pour détruire la flotte ennemie dans la Corne d’Or, le Sultan fit fabriquer une machine capable de lancer de grosses pierres depuis les hauteurs, et ces machines, placées sur les hauteurs de Beyoğlu, coulèrent certains navires ennemis. Il devint nécessaire de descendre une partie de la flotte ottomane dans la Corne d’Or, ce qui permettrait de neutraliser la flotte ennemie et de construire un pont entre Hasköy et Ayvansaray, assurant ainsi la liaison entre les deux armées.
Après avoir examiné le lieu par où les navires seraient transportés sur terre, ils préparèrent la route qui passait par des forêts jusqu’à Kasımpaşa. Le chemin, partant de la côte devant Tophane, passait par Boğazkesen, tournait vers le sud-ouest pour atteindre Kasımpaşa. Une fois le chemin préparé et lissé, des traîneaux en rondins furent construits et graissés avec de l’huile d’olive, de l’huile pure et de la graisse de porc fournie par les Génois de Galata. Pendant ces préparatifs, des précautions furent prises pour ne pas alerter les Génois de Galata, simulant des attaques contre la chaîne.
Dans la nuit du 21 au 22 avril, 67 à 72 navires à plusieurs rangées de rames furent transportés de Tophane à Kasımpaşa. Protégés par des canons et des archers, ils furent descendus sans subir d’attaque. Le transport des navires dans la Corne d’Or en une nuit stupéfia l’ennemi. Un pont fut rapidement construit entre Hasköy et Ayvansaray, composé de nombreux canots et barils attachés ensemble, recouverts de planches, permettant à cinq personnes de passer côte à côte selon Dukas. Des canons furent placés sur le pont pour bombarder les murs et les navires turcs dans la Corne d’Or.
Les tentatives de détruire ce pont échouèrent, et les forces impériales furent obligées de renforcer la défense de cette zone avec des troupes prises ailleurs. Lors d’un conseil de guerre, malgré la suggestion de Halil Pacha de lever le siège pour éviter une possible intervention des puissances occidentales, il fut décidé de continuer les attaques.
Pour la bataille finale, Mehmed encouragea ses troupes, soulignant l’importance stratégique de prendre la ville et les avantages matériels qu’ils en tireraient. Après plusieurs jours de bombardements intensifs, les murs furent gravement endommagés, et malgré des contre-attaques byzantines, l’armée ottomane se prépara à un assaut général le 29 mai. L’ultime attaque, prévue de longue date, visait à exploiter les faiblesses des murs affaiblis et la fatigue des défenseurs, aboutissant finalement à la prise de la ville.
Assaut général et prise de la ville
Après deux assauts commencés la nuit du 29 mai et poursuivis jusqu’à l’aube, l’assaut général débuta le mardi 29 mai, peu avant l’aube. La percée décisive se situait entre Topkapı et Edirnekapı, où le sultan lui-même dirigeait l’attaque principale. Le premier assaut général dura deux heures, suivi d’un second de 90 minutes, mais sans résultat concluant. Les défenseurs, combattant avec acharnement, tuaient les assaillants montés sur les murs avec des tirs de mousquet et autres moyens. Les autres attaques sur différents fronts échouèrent également.
Face à cela, les janissaires et les réserves furent envoyés comme ultime ressource. Cette fois, le sultan en personne menait les janissaires ; l’empereur était également sur ce front. Lors de cette attaque, le commandant Justinyan, qui défendait vaillamment les murs, fut blessé à la main et au bras. Perdant beaucoup de sang, il quitta le champ de bataille malgré les supplications de l’empereur.
Les janissaires avancèrent jusqu’au fossé sous la protection des tirs de flèches et de mousquets. Ils franchirent le fossé et atteignirent les murs. Parmi eux, un certain Ulubatlı Hasan fut le premier à escalader les murs, tenant son bouclier au-dessus de sa tête et son sabre dans l’autre main. Une trentaine de janissaires le suivirent, mais huit furent tués par les tirs et les pierres des défenseurs. Bien qu’Ulubatlı Hasan soit blessé, il aida ses camarades à monter les murs avant de tomber et d’être tué par des flèches et des pierres. Cependant, l’attaque se poursuivit, de plus en plus de soldats escaladant les murs et s’y agrippant.
Les janissaires pénétrèrent par la brèche causée par les canons, occupant l’espace entre le premier et le deuxième mur (Provolos), repoussant les défenseurs. L’empereur, blessé à l’épaule, tenta de fuir vers la porte Pemton. Ses gardes se dispersèrent en panique, croyant que l’empereur fuyait, et il aurait été piétiné à mort selon certaines sources.
Après la chute des murs extérieurs et la sécurisation du Provolos, les murs intérieurs, sans défense, furent également pris. Topkapı fut brisée de l’intérieur, et les forces turques entrèrent dans la ville. Une autre brèche près de Silivri permit également une entrée. Seuls les bastions défendus par les marins crétois résistèrent héroïquement avant de se rendre sous condition.
Des forces ottomanes parvinrent également à entrer par la porte Kerkaporta, laissée ouverte par négligence, prenant les défenseurs par surprise. Après cinquante-quatre jours de siège, marqués par quatre grands assauts, Constantinople, capitale de l’Empire romain d’Orient depuis 1125 ans, fut prise le 29 mai 1453.
Sur le front maritime, la résistance continua jusqu’à ce que les soldats turcs débarquent et que les défenses tombent une à deux heures après l’occupation terrestre de la ville. Orhan, fils de Çelebi Mehmed, commandant une section des murs de Marmara, se suicida pour éviter la capture.
Fatih Sultan Mehmed entra dans la ville, ordonnant à ses troupes de ne pas nuire aux civils et de respecter leurs vies et libertés. Après avoir visité la basilique Sainte-Sophie et rassuré les habitants, il prit officiellement possession de la ville. Des mesures furent prises pour la réorganisation et la nomination des responsables, avant que Mehmed ne retourne à Edirne en triomphe.
Après la chute de Constantinople, d’autres territoires grecs, dont Athènes et le Péloponnèse, furent conquis, étendant l’emprise ottomane sur toute la Grèce.
Sources :
Uzunçarşılı, İsmail Hakkı. Osmanlı Tarihi, I. Cilt. (pp. 467-493).