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Libye : Angela Merkel prend les choses en main

Publié le | par Engin | Nombre de visite 526
Libye : Angela Merkel prend les choses en main

Libye : Angela Merkel prend les choses en main

Dominique Merchet

Article original : L’Opinion

Une grande conférence internationale sur la Libye se tiendra dimanche à Berlin pour tenter de trouver une issue à la guerre civile

Emmanuel Macron participera dimanche à Berlin à un sommet sur la Libye, a annoncé jeudi l’Elysée. « Le président s’est entretenu par téléphone avec la chancelière Merkel en préparation de la conférence », ajoute la présidence de la République dans un communiqué. Sauf coup de théâtre, Fayez al Sarraj, le chef du gouvernement libyen d’entente nationale reconnu par la communauté internationale, et son rival, le maréchal Khalifa Haftar, seront également présents, aux côtés de très nombreux représentants de haut niveau des Etats concernés par la crise libyenne. Lundi, une réunion à Moscou n’avait pas permis d’aboutir à un accord.

A défaut d’une solution durable, va-t-on vers une éclaircie dans la crise libyenne ? La conférence qui se déroulera dimanche à Berlin, à l’initiative de l’Allemagne, pourrait permettre quelques progrès, alors que le pays est en proie à une guerre civile depuis 2014.

Les deux parties ennemies seront présentes avec Fayez el-Sarraj, à la tête du gouvernement de Tripoli reconnu par les Nations Unies, et le maréchal Haftar, installé à Benghazi, qui tente de le renverser par la force. Peut-être plus important encore : tous les pays impliqués dans ce conflit, qu’ils soutiennent un camp ou l’autre, seront autour de la table. « L’objectif de l’Allemagne est de soutenir une désescalade militaire et de créer les conditions d’une reprise d’un processus politique », explique un diplomate allemand, qui ne voit pas dans la réunion de Berlin « un aboutissement » mais « au mieux le début d’un processus ».

C’est en septembre que l’Allemagne a décidé de s’investir directement dans la crise libyenne, après avoir constaté que « depuis 2011, les différents acteurs européens n’avaient pas fait belle figure », dit-on à Berlin. Français et Italiens ont assez peu goûté cet engagement mais l’échec de leurs sommets sur la Libye, à Paris en mai 2018 puis à Palerme en novembre 2018, ne leur permettait de le crier trop fort…

Par ailleurs, le soutien politique et parfois discrètement militaire de la France au maréchal Haftar ne fait pas l’unanimité en Europe. « Les intérêts divergents de la France et de l’Italie se sont longtemps traduits par un positionnement européen faible, voire inexistence », constate-t-on Outre-Rhin. Entre Paris et Rome, les choses se sont toutefois améliorées depuis la formation, en septembre, d’un nouveau gouvernement italien, sans La Ligue de Matteo Salvini. Pas au point toutefois de reprendre, ensemble, une initiative...

« Conférence utile ». L’Allemagne et Angela Merkel ont donc pris les rênes. Après avoir un peu fait semblant de tergiverser, en souhaitant une « conférence utile », Emmanuel Macron a annoncé jeudi qu’il se rendrait à Berlin. Difficile de faire autrement alors que seront présents Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, le nouveau président algérien Abdelmajid Tebboune, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, les Emiratis, les Italiens, les Egyptiens, etc.

Sur le plan diplomatique, les choses se sont accélérées à la fin de l’année, après l’intervention turque dans ce dossier. Le 27 novembre, un accord était conclu entre la Turquie et le gouvernement libyen d’entente nationale de Sarraj. Celui-ci contenait à la fois une promesse de soutien militaire et une délimitation de leurs zones maritimes, un enjeu stratégique pour Ankara. « Sans notre intervention, Haftar allait entrer à Tripoli et la Libye se serait transformée en une nouvelle Syrie », indique une source turque.

La Turquie d’Erdogan a décidé de s’engager fortement sur le plan militaire. Plusieurs centaines de mercenaires d’origine syrienne ont été recrutés par les Turcs et dépêchés à Tripoli, où ils sont encadrés par des officiers des services secrets (MIT). L’armée turque vient également de déployer des systèmes de brouillage qui pourraient sérieusement perturber l’utilisation des drones de fabrication chinoise mis en œuvre par les Emirats pour le compte d’Haftar. D’autres moyens militaires, terrestres, navals et aériens, seront acheminés.

Cette intervention turque a sans doute sauvé le gouvernement de Sarraj, un peu à la manière des Russes volant au secours de Bachar al-Assad en Syrie en 2015. Grâce au soutien aérien des Emiratis et de mercenaires de la société russe Wagner, les forces d’Haftar – à l’offensive depuis avril dernier – semblaient sur le point de remporter des succès dans la capitale. Leur élan semble brisé, d’autant que le Kremlin n’a guère apprécié le refus d’Haftar, lundi dernier, de signer un accord négocié sous l’égide de la Russie et de la Turquie. « Les Russes n’ont jamais vraiment aimé Haftar et ils ne sont vraiment pas contents. Ils le lui feront payer », estime une source proche du dossier. La motivation des mercenaires russes sur le terrain pourrait faiblir…

Cessez-le-feu. Au-delà du sauvetage militaire de Sarraj, l’initiative d’Erdogan en Libye a changé la donne diplomatique. « Les Occidentaux étaient dans une asymétrie grossière en faveur d’Haftar », constate le chercheur Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye à l’Institut Clingendael de La Haye. « On ne parlait pas des morts ou des violations de l’embargo sur les armes par les Emiratis. Mais cette bulle de complaisance a éclaté, à la suite de l’initiative turque. En cela, la conférence de Berlin pourrait être une rupture », avance-t-il.

Côté Français, on digère mal cette évolution récente, dans laquelle on voit la Turquie à la manœuvre, avec la participation de Vladimir Poutine et d’Angela Merkel. « L’accord turco-libyen créé davantage de risques », explique-t-on à l’Elysée, où l’on veut bien d’un cessez-le-feu mais « sur la base des réalités du terrain », c’est-à-dire en validant les conquêtes militaires d’Haftar. Si l’on se défend mollement d’être « pro-Haftar », c’est pour expliquer aussitôt que celui-ci est « un acteur politique qui a un rôle à jouer ». Et on s’interroge sur le gouvernement Sarraj : « Ce sont des milices qui contrôlent le terrain à Tripoli sous couvert de ce gouvernement. On ne peut pas parler d’une légalité unie qui serait assiégée » par des rebelles. Et de marteler : « Haftar ne reculera pas comme le demande Sarraj ».

Lundi dernier à Moscou, les Turcs avaient exigé que le maréchal regagne les positions qu’il occupait avant l’offensive d’avril. Cette position maximaliste – qui a sans doute provoqué le départ d’Haftar de Moscou – n’a aucune chance sérieuse d’aboutir. Si le sommet de Berlin débouche sur une issue positive, ses troupes, militairement incapables de conquérir Tripoli sans l’appui étranger, pourraient être contraintes de reculer de quelques kilomètres, dans les faubourgs de la capitale.


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