La Turquie exhorte l’Europe à lutter contre l’islamophobie
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a appelé mardi les pays européens à lutter contre l’islamophobie et à prévenir la multiplication des manifestations anti-islam plutôt que "d’essayer de donner des leçons" à la Turquie. Ceci alors que ces manifestations continuent de prendre de l’ampleur à Dresde, dans l’est de l’Allemagne. Les autorités allemandes s’inquiètent d’ailleurs pour l’image du pays.
"Il est regrettable que l’Union européenne essaie de donner des leçons à la Turquie plutôt que de tenter de résoudre les sérieuses menaces auxquelles elle fait face", a déclaré M. Erdogan lors d’un discours aux ambassadeurs turcs réunis à Ankara.
"L’islamophobie représente une menace sérieuse pour l’Europe. Si ce problème n’est pas résolu et si le populisme prend en otage les dirigeants européens, les valeurs européennes seront remises en question", a-t-il poursuivi, affirmant que les mouvements racistes y voyaient leur influence grandir "jour après jour".
Ses commentaires interviennent au lendemain d’une manifestation organisée à Dresde par l’organisation allemande anti-immigrés Pegida qui a rassemblé quelque 18.000 personnes contre "l’islamisation de l’Occident".
M. Erdogan a prié Bruxelles de "revoir sa politique à l’égard de la Turquie", l’accusant de traîner des pieds sur le dossier d’adhésion d’Ankara, au point mort.
"La Turquie n’est pas un pays que n’importe qui peut accuser et montrer du doigt de façon arrogante. Ceux qui ont pris de telles habitudes doivent les abandonner", a-t-il plaidé.
"Ceux qui admonestent la Turquie doivent se rendre compte qu’ils ont affaire à une nouvelle Turquie, une grande Turquie, avec son économie, sa démocratie et sa politique étrangère", a insisté le chef de l’Etat.
Chef du gouvernement pendant onze ans avant d’être élu à la présidence en août dernier, M. Erdogan est accusé par ses détracteurs de dérive autoritaire et islamiste.
Mouvement anti-islam : l’Allemagne s’inquiète pour son image
Dans un pays encore marqué par son passé nazi et qui cherche à attirer des immigrés pour compenser son déclin démographique, la multiplication de manifestations xénophobes ces dernières semaines a provoqué une levée de bouclier sans précédent : politiques, médias, milieux d’affaires et de nombreux citoyens sur les réseaux sociaux ou dans la rue, mobilisés contre l’islamophobie.
"L’Allemagne est devenue arc-en-ciel, ne la laissons pas redevenir noir et blanc", s’exclamait mardi le quotidien Bild, en publiant une pétition de 50 personnalités disant "Non à Pegida", parmi lesquelles deux anciens chanceliers sociaux-démocrates, Gerhard Schröder et Helmut Schmidt.
Oliver Bierhoff, le manageur de l’équipe d’Allemagne championne du monde de foot, louait, dans les colonnes du journal le plus lu d’Europe, les vertus de l’intégration, aux côtés d’artistes ou d’ecclésiastiques.
Parmi les signataires : sept ministres de l’actuel gouvernement. Le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, livrait ce commentaire : "les paroles ne remplacent pas les faits, l’Allemagne a besoin des immigrés".
La onzième marche organisée lundi soir dans la capitale de la Saxe par un groupe baptisé "Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident" (Pegida) a réuni 18.000 participants, selon la police. Un record depuis que ce mouvement a débuté en octobre. Mais il n’a pas mobilisé ailleurs et les "anti-Pegida" étaient bien plus nombreux à travers le pays.
Ils étaient ainsi "plusieurs milliers" d’anti-Pegida à Cologne (ouest) où la cathédrale avait été éteinte en signe de protestation contre un mouvement qualifié de xénophobe. A Berlin, l’éclairage de la porte de Brandebourg avait également été éteint et 5.000 contre-manifestants s’étaient mobilisés.
Dans son allocution du Nouvel An, la chancelière Angela Merkel avait critiqué les meneurs du mouvement anti-islam, épinglant des personnes au "coeur" rempli de "préjugés" et de "haine".
"Pegida ne nuit pas seulement à notre pays, mais donne aussi une mauvaise image de l’Allemagne à l’étranger", a déclaré le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier, dans des tweets relayés par son ministère, y compris en langue anglaise.
Le patronat s’est inquiété également. "L’impression qu’on manifeste chez nous contre les étrangers nuit à l’Allemagne", a affirmé Ingo Kramer, président de la Fédération des employeurs.
Bouc émissaire
Dans le cortège de Dresde lundi soir, pas ou peu de crânes rasés mais de simples citoyens, souvent âgés, portant drapeaux et parfois crucifix aux couleurs de l’Allemagne. Ces manifestants disent se sentir menacés par l’immigration, dans ce Land d’ex-Allemagne de l’Est qui ne compte pourtant que 2,2% d’habitants d’origine étrangère, l’un des pourcentages les plus faibles du pays.
Même minoritaire, ce mouvement met mal à l’aise une Allemagne marquée par l’idéologie raciste de la dictature nazie, par sa responsabilité dans l’extermination des juifs, et qui cherche à présenter une image d’ouverture sur le monde.
"Justement en Allemagne, nous devons avoir l’oreille sensible quand une minorité religieuse devient le bouc émissaire de problèmes" de société, souligne Werner Schiffhauer, universitaire et président du Conseil des migrations, qui regroupe des chercheurs sur ce thème.
Là où par le passé on affirmait lutter "contre la judéisation de la société allemande", on parle "aujourd’hui d’+une islamisation de l’Occident+ fantasmée par une propagande qui se ferme à toute raison", fait-il remarquer.
"Nous avons besoin d’une nouvelle représentation de l’Allemagne", a estimé Naika Foroutan, sociologue de l’Université Humbolt à Berlin. "Trop longtemps le message qui nous a façonnés était que l’Allemagne n’était pas un pays d’immigration alors que l’Allemagne l’était de fait", a-t-elle affirmé à la télévision.
En 1983, la feuille de route du gouvernement formé par les conservateurs d’Helmut Kohl et les libéraux du FDP affirmait : "L’Allemagne n’est pas un pays d’immigration". Aujourd’hui, un habitant sur cinq en Allemagne a une origine étrangère, selon l’Office des statistiques et le pays est devenu en 2012, la principale destination d’immigration en Europe, accueillant cette année-là 400 000 nouveaux arrivants, selon l’OCDE.
Source : avec AFP