jeudi 30 mars 2023
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L’esclavage dans l’Empire ottoman

Publié le | par SibiryaKurdu | Nombre de visite 1293
L'esclavage dans l'Empire ottoman

Réalité "dérangeante" et peu rappelée, les non-musulmans étaient largement impliqués à la fois dans la vente et dans l’achat d’esclaves dans l’Empire ottoman... Sans compter que les musulmans eux-mêmes (mais pas seulement) étaient victimes de l’esclavage du fait des chrétiens de la région à la même époque.


Dimitri Kitsikis, L’Empire ottoman, Paris, PUF, 1991 :

"Enfin, il existait un commerce de luxe, celui des esclaves, pour approvisionner les maisons des grands bourgeois et des hauts fonctionnaires en valets, servantes et concubines. Ainsi, un « esclave de la Porte » pouvait posséder des esclaves. A Istanbul, ce commerce était entre les mains des juifs. Il s’agissait d’esclaves blancs, amenés du Caucase, de Russie ou même de Pologne. Au contraire, au Caire et à Alexandrie, on y vendait des esclaves noirs venant du Soudan et d’Afrique centrale. Si, au départ, un esclave ne pouvait pas être vendu à un non-musulman, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, chrétiens et juifs en possédèrent officiellement." (p. 82-83)


Robert Mantran, Istanbul au siècle de Soliman le Magnifique, Paris, Hachette Littératures, 2008 :

"Il est à Istanbul un commerce très particulier, que l’on peut qualifier de luxe, et qui porte sur une marchandise tout à fait spéciale : les esclaves, dont la demande est forte, non du sérail qui a son approvisionnement extérieur à Istanbul, mais des grands personnages du gouvernement et des grands bourgeois. Le commerce des esclaves est exclusivement entre les mains des Juifs : « Les Juifs, qui en font le principal trafic, les eslèvent dans leurs maisons avec grand soin pour en tirer le plus d’argent qu’ils pourront. Ils font apprendre aux filles quantités de choses, ils instruisent les belles dans les exercices de galanterie, comme du chant, des instruments de musique, de la danse, des ouvrages de broderie et autres de pareille nature pour en rendre par ces appas le débit plus utile... » (...) Les esclaves ne peuvent être vendus à un chrétien ou à un Juif, tout au moins au XVIe siècle et au début du XVIIe, mais il semble que, par la suite, il y ait eu des accommodements ainsi que l’écrit Quiclet : « Il n’est pas permis aux chrétiens d’acheter des esclaves turques, mais ils peuvent en faire acheter par quelque Turc qui sera leur amy. » A la fin du XVIIe siècle, l’acquisition d’esclaves par des non-musulmans est un fait reconnu puisque un règlement de 1689 spécifie les impôts que Juifs et Infidèles doivent payer pour chacun des esclaves utilisés par eux." (p. 148-149)


André Clot, Soliman le Magnifique, Paris, Fayard, 1983 :

"Mehmed le Conquérant avait échoué en 1480 devant l’île des Chevaliers de Saint-Jean [Rhodes]. Quarante ans plus tard, Soliman avait encore plus de raisons de vouloir mettre fin à la domination de l’Ordre en Méditerranée. Installés là depuis leur départ de Saint-Jean-d’Acre, à la fin du XIIIe siècle, ces moines-guerriers en avaient fait une puissante base militaire d’où ils écumaient les mers voisines. Pillant les côtes d’Asie Mineure et de Syrie, ils menaçaient en permanence les voies de communication entre Constantinople et Alexandrie par où passait la plus grande partie du trafic commercial entre l’Egypte et le reste de l’empire. Les navires de commerce turcs étaient arraisonnés, leurs cargaisons saisies et leurs équipages faits prisonniers. Les pèlerins musulmans qui empruntaient la voie de mer pour aller à La Mecque risquaient constamment d’être arrêtés, tués ou emmenés en esclavage. En revanche, les corsaires chrétiens recevaient refuge et aide des Chevaliers qui étaient allés, lors de la récente révolte de Canberdi al-Ghazzâli au Caire, jusqu’à lui donner leur appui." (p. 62-63)

"Charles [Quint] essaya en vain d’épargner Tunis et ses habitants. Il fut obligé d’accorder à ses troupes trois jours de pillage. 30 000 personnes furent égorgées, 10 000 emmenées en esclavage. Les Espagnols se distinguèrent par leur rapacité et leur sauvagerie, détruisant oeuvres d’art et édifices, emportant tout ce qui leur semblait précieux, tuant les esclaves musulmans qui ne pouvaient les suivre." (p. 144)

"Finalement, Barberousse [amiral ottoman], qui avait quitté la Turquie depuis plus d’une année, annonça qu’il partait [de Provence où ses troupes étaient intervenues à la demande des Français]. Il reçut 800 000 ducats d’or que 34 hommes empilèrent pendant trois jours et trois nuits dans des draps blancs et écarlates. Les Français libérèrent 400 Musulmans qui ramaient sur leurs galères et les navires turcs levèrent l’ancre." (p. 195)


Bartolomé Bennassar et Lucile Bennassar, Les Chrétiens d’Allah. L’histoire extraordinaire des renégats, XVIe et XVIIe siècles, Paris, Perrin, 1989 :

"La course chrétienne n’a jamais chômé en Méditerranée, écrit Fernand Braudel qui note, après 1574, « les ravages chrétiens dans le Levant : les Chevaliers de Malte pratiquement délaissent les rivages proches de Barbarie [Maghreb] pour ces exclusives randonnées vers l’est. L’augmentation est visible en ce qui concerne les galères toscanes. Elles courent par bandes de quatre ou cinq navires rapides et puissants... » Les chevaliers de Saint-Etienne, après 1584, prennent pour cible le bassin oriental de la Méditerranée, ravagent les côtes grecques, l’archipel, les rivages turcs d’Asie Mineure, s’emparent de vaisseaux en route vers La Mecque... Voyez notre mince échantillon de femmes victimes de la course chrétienne : les tableaux de chasse des flottes de Malte et de Toscane sont presque identiques.

Les galères du grand-duc de Toscane, dans les seules années 1605, 1610 et 1611, ont raflé à terre Maria de Dimo, vingt-neuf ans, et son enfant, à Platamone, sur le golfe de Salonique ; Cristina de Papadamiel, vingt-huit ans, et ses deux enfants ; Angela de Nicolo et ses deux enfants à La Prevesa ; la Hongroise Margarita Iban, cinquante ans ; Ana Romano, vingt-cinq ans, et son mari turc ; et en mer, Natalia, une Russe de cinquante-huit ans, et son patron, comme la Hongroise Catarina de Xamas, vingt ans, avec ses patrons.

Les galères de Malte ont opéré également sur terre et sur mer : à Patras, en 1603, Catarina fut enlevée à la suite d’un assaut où périt son mari ; en 1608, Zamar (la Hongroise Catarina Savina), vingt et un ans, et sa fille âgée de cinq ans, furent enlevées en pleine nuit, ainsi que la Moldave Margarita, alias Fatta, seize ans. La Roumaine Maria Doble fut raflée sur les côtes tunisiennes ; en 1627, le galion de Malte attaqua un vaisseau turc à destination du Caire : deux jeunes « Turques », d’origine russe, tombèrent aux mains des chrétiens, Luisa Maria, seize ans, qui vit périr son mari dans la bataille, et Ana Seiko, dix-huit ans.

Aux flottes du grand-duché de Toscane et des Chevaliers de Malte ajoutons celle du vice-roi de Sicile. Son capitaine des galères, don Pedro de Leyva, capture en mer, en 1589, Maria l’Albanaise, vingt et un ans. Les Hongroises Veronica, quarante-quatre ans, et Ana, vingt-huit, furent prises de même par une flotte chrétienne en 1589 et 1607 mais ignorent laquelle. La vie paisible de Maria de Cola la Ragusaine fut anéantie brutalement en 1605 : des pirates uscoques s’emparèrent d’elle et de deux de ses enfants et allèrent la vendre sur le marché aux esclaves de Trapani.

Les marchés aux esclaves siciliens n’étaient pas alimentés par les seules flottes chrétiennes : des individus isolés venaient y monnayer leurs prises. Des Grecs, on l’a vu, y vendaient même des femmes dont ils avaient facilité la fuite ; Ana de Blaco fut vendue à Messine en 1606 par son quatrième maître, un capitaine de Chio ; Ana Bosco, à quarante ans, fut vendue à Palerme par un patron de barque français qui précisa qu’elle était chrétienne d’origine ; et la Serbe Anastasia Morato, dix-huit ans, fut vendue par un patron de navire anglais en 1607." (p. 303-304)


Arturo Morgado García, "Esclaves turcs à Cadix à l’époque moderne", Cahiers de la Méditerranée, n° 81, 2010 :

"L’époque moderne a été marquée par la lutte entre les Habsbourg et la Sublime Porte pour la Hongrie. Le 25 juin 1683, le Grand Vizir Kara Mustapha décidait de marcher sur Vienne et arrivait devant les murailles de la ville avec ses imposantes armées ottomanes. Le 14 juillet, commençait un siège qui durerait presque deux mois. Mais le 12 septembre se produisit un événement important : une armée de secours, commandée par le roi de Pologne Jean III Sobieski, écrasait les Turcs à la bataille de Kahlemberg. C’est ainsi que débutait une importante contre-offensive des impériaux et de leurs alliés, qui devait s’achever par la signature en 1699 de la paix de Karlowitz, grâce à laquelle les Turcs cédaient la Hongrie, la Croatie et la Transylvanie aux Habsbourg, la Morée aux Vénitiens et la place d’Azov aux Russes de Pierre le Grand.

Ces événements furent à l’époque amplement relayés dans tous les pays ­d’Europe et ils contribuèrent à augmenter le prestige de l’empereur Léopold Ier, dont les campagnes militaires, du moins selon la propagande, avaient pour objectif l’extension territoriale de la Chrétienté, en conformité avec cette pietas dont sa dynastie se targuait et qui contrastait beaucoup avec l’attitude de son grand adversaire, le roi de France Louis XIV, qui, lui, était toujours en guerre contre des princes de sa religion, comme ce fut le cas avec un autre Habsbourg, Charles II d’Espagne. Ce qui est certain, c’est qu’à travers les gazettes, les pliegos de cordel et les relations de faits, l’opinion publique d’alors fut parfaitement informée de ces événements, et, sans aller plus loin, à Séville même, on imprima plusieurs relations faisant référence aux mêmes faits, que l’on retrouve aussi chez un historien de Cadix, Fray Jerónimo de la Concepción, dans son ouvrage Emporio de el Orbe (1690). Raimundo de Lantery nous conte également cet épisode dans ses mémoires, bien qu’il le situe, de manière erronée, en 1680, laissant ainsi supposer qu’il en a pris connaissance à travers « historia impresa sobre ello ».

Mais cette supposée gloire militaire a, elle aussi, un revers de médaille. Les troupes impériales, avec leurs alliés vénitiens, lors de leur avancée dans les Balkans et la Hellade saccagèrent, violèrent et réduisirent en esclavage de nombreux sujets de l’Empire ottoman. Et il nous semble qu’ils ne s’intéressèrent guère à distinguer s’ils étaient chrétiens (quoique, comme ils étaient orthodoxes, cela leur fût égal) ou musulmans : nombreux furent ceux qui finirent par être vendus sur différents marchés d’esclaves en Méditerranée. A Bologne, par exemple, en 1687, arrivèrent en provenance de Florence 146 esclaves turcs, que l’Empereur avait donnés au Grand Duc de Toscane pour le service des galères. A la fin des années quatre-vingt et au début quatre-vingt-dix du XVIIe siècle, quelques Turcs furent baptisés parmi la population. A Malte arrivèrent, notamment pendant la dernière décennie du XVIIe siècle, de nombreux Turcs originaires des régions balkaniques, qui avaient été achetés dans le port adriatique de Fiume. D’autres encore arrivèrent jusqu’à la lointaine Cadix. Cette donnée, relayée par Adolfo de Castro, qui parle ni plus ni moins (sans que nous ne sachions sur quel fondement) de 2 000 esclaves turcs, aurait été reprise par Antonio Domínguez Ortiz, puis par Bartolomé Bennassar qui citerait à son tour l’historien sévillan, suivi aussi sur ce point par Henry Kamen, mais sans que ce dernier ne précise ses sources."


Thierry Mudry, Histoire de la Bosnie-Herzégovine : faits et controverses, Paris, Ellipses, 1999 :

"Les Ottomans n’étaient pas les seuls à se livrer au trafic d’esclaves. Profitant des situations de guerre, les ennemis chrétiens de la Porte n’hésitaient pas non plus à rafler leurs malheureux coreligionnaires bosniaques et à les vendre au plus offrant, parfois avec la complicité de prêtres catholiques et de hiérarques de l’Eglise ! (Srećko M. Džaja, Konfessionalität und Nationalitat Bosniens und der Herzegowina, op. cit., note 34, p. 54)." (p. 270, note 2)


Maxime Rodinson, La fascination de l’Islam, suivi de Le seigneur bourguignon et l’esclave sarrasin, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 74 :

"Le XVIIIe siècle regarda vraiment l’Orient musulman avec des yeux fraternels et compréhensifs. L’idée de l’égalité des dispositions naturelles chez tous les hommes, répandue par l’optimisme actif, vraie religion de l’époque, permettait d’examiner avec esprit critique les reproches que les âges antérieurs avaient adressés au monde musulman. La cruauté, la barbarie régnaient certes en Orient, mais l’Occident était-il sans reproches ? L’esclavage en Turquie est plus doux qu’ailleurs et les chrétiens pratiquent eux aussi la piraterie, fait-on remarquer."

Lien/Source : Turquisme




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