C’est l’histoire de Nakşidil, favorite puis Kadine (épouse) du sultan ottoman Abdulhamid et mère du sultan réformateur Mahmoud II. Or, on dit, cette sultane était française, enlevée par des pirates barbaresques, débarquée à Alger et vendue au harem du sultan où, à force de persévérance et d’intrigues, elle deviendra donc Valide Sultane, mère du sultan.
Mais qui était-elle ?
Pour beaucoup, il s’agit d’Aimée du BUC de RIVERY, née en Martinique en 1776 et enlevée par les barbaresques alors qu’elle naviguait vers la France en 1788. Vendue au Dey d’Alger, elle fût offerte par ce dernier au sultan Abdulhamid et envoyée au fameux sérail. Convertie à l’Islam, devenue quatrième Kadine, elle devient mère du sultan Mahmoud II. On sait, Mahmoud II est né en 1785, mais des sources fait état d’un lien adoptif et non biologique, ce qui cadrerait alors avec les dates de cette sultane française.

On va même plus loin dans les sources. Sous l’Empire, le créole Gallet de Saint-Aurin se serait rendu en Turquie comme ambassadeur. Il aurait eu le privilège rare d’être reçu par la sultane (dissimulée derrière un moucharabieh) et elle lui aurait parlé en créole. Bouleversé, l’ambassadeur en aurait informé l’impératrice.
On a également le témoignage de Madame le Normand, la célèbre cartomancienne de Joséphine. Cette dernière aurait avoué à la voyante que, dans son enfance en Martinique, une "prophétesse" noire aurait prédit à une de ses lointaines cousines qu’elle serait "plus que reine" dans un pays lointain. Mais l’on sait que la même révélation fût faîte à Joséphine elle-même.
Le seul témoignage qu’on rapporte est une description des funérailles de la sultane dans la Lettres du Bosphore, écrits de la comtesse de la Ferté-Melun. Cette dernière avait accompagné sa fille, épouse de l’ambassadeur de France à Istanbul sous Louis XVIII, le marquis de la Rivière. C’est la comtesse qui relate, dans ces écrits, les rumeurs "solides" concernant les origines françaises de la sultane. Par alliance, elle était même une cousine de Joséphine de Beauharnais, future impératrice.
Alors aujourd’hui ? Le mystère reste entier sur cette sultane et les sources sont rares dans les archives ottomanes. D’autant plus qu’à leur arrivée au sérail, les femmes "Cariyeler" prenaient un nouveau nom. Ce qui ne nous aide pas vraiment.
Mais quelle est la probabilité des rumeurs selon lesquelles une héritière planteuse martiniquaise pourrait venir diriger l’un des empires les plus puissants d’Europe à travers une série d’événements incroyables ?
Que dit nos historiens ?
D’après les archives retrouvées dans le palais de Topkapi, à la mort du sultan Abdulhamid en 1789, Nakşidil (Naksh-i-dil en ottoman) était la quatrième Kadine et devient Valide Sultane en même moment Aimée de BUC arrive au palais.
Lors d’une des émissions de télé sur la chaine Habertürk présenté par Murat Gökhan Bardakçı, un journaliste turc travaillant sur l’histoire ottomane et l’histoire de la musique turque. Il présente l’émission "Tariihn Arka Odası" (les dessous de l’histoire) ou des historien-ne-s comme la jeune Pelin Batu auteure, actrice et historienne et Erhan Afyoncu historien, écrivain, académicien de l’histoire ottomane participe.
Le principe de l’émission, chaque téléspectateur peut poser une question en direct. La question va venir à la 12e minute "Parlez nous de la sultane Nakşidil ?"(séquence à partir de 12:08 <=> 15:20). Murat Gökhan Bardakçı et Erhan Afyoncu vont y apporter une réponse
Extrait
L’historien explique que selon les recherches de l’historien Fikret Saracioglu qui a publié il y a deux ans ses recherches. Il nous dit que Nakşidil existait et qu’elle est bien la mère du Sultan Mahmoud II, mais elle n’est pas Aimée du BUC de RIVERY comme on le prédit. Il précise même qu’il y a bien eu une femme française au nom d’Aimée du BUC de RIVERY qui est arrivé au palais, mais après la mort du Sultan Abdulhamit, cette femme française serait rentrée dans son pays, dans sa ville natale. Un document le prouverait, avec un acte notaire en sa présence à Nantes, après la mort du Sultan. Selon Murat Bardakçı, elle serait retournée en France. Comment ? On ne sait pas. Lorsqu’un Sultan décède, les femmes étaient libres et donc pouvaient quitter le Harem. Ce qui expliquerait cela.
Il précise également que Nakşidil Sultane est d’origine géorgienne et plus précisément du Caucase et que son mausolée est dans le quartier de Fatih à Istanbul.
La puissance et la persistance d’une rumeur
Dans les années 1860, le sultan Abdulaziz, fils de Mahmoud II, mentionne à la presse lors d’une visite à Paris que sa grand-mère et Napoléon III sont apparentés. Cela a encore souligné les rumeurs selon lesquelles Rivéry et Nakşidil étaient la même femme. Mais pourquoi, exactement, cette théorie a-t-elle eu autant de succès en son temps ?
La réponse, semble-t-il, est la politique. Du point de vue de l’Empire ottoman, créer une connexion française n’était qu’une bonne politique étrangère. Pour les Français, la rumeur a renforcé la prétention de Napoléon III à la royauté, car il n’était pas issu d’une lignée traditionnellement royale.
Mais en réalité, la fusion d’une riche héritière planteuse française et d’une sultane n’a même pas commencé avec l’histoire de Rivery et Nakşidil. Depuis le 16ᵉ siècle, il y avait une rumeur selon laquelle une princesse française s’était mariée dans la famille royale ottomane.

Le mystère reste toujours présent du côté français. Encore, il y a 13 ans de cela, la famille Du Buc a rendu hommage à Aimée du Buc de Rivery le 14 juin 2009 au Château du Fontenil dans l’Orne (Normandie) lors du millénaire de cette famille avec inauguration d’une plaque souvenir, ainsi que pendant les journées du Patrimoine les 18 et 19 septembre 2010 : une délégation turque a été reçue au château du Fontenil où une exposition sur la sultane blonde française avait été organisée grâce aux Du Buc et à l’écrivain scientifique Philippe Lherminier.
Un des membres de la famille Dubuc, l’écrivain Yvan Brunet-Dubuc, dit Yvan Brunet du Buc de Mannetot, héritier de souvenirs familiaux et coloniaux par son oncle Jean-Marie Dubuc, a été reçu le 26 mars 2010 à l’Institut français d’Istanbul, et s’est rendu au mausolée d’Aimée du Buc avec l’autorisation ministérielle et religieuse. Les Turcs de ce quartier religieux de Fatih, où se trouve le tombeau de la sultane d’origine française, ont rappelé leur attachement à Aimée du Buc, leur sultane, qui a été généreuse envers les pauvres, les malades, et les orphelins d’Istanbul en construisant fondations et hôpitaux.
La dernière visite des Du Buc avait eu lieu en 1927. La famille impériale ottomane a donné officiellement en juillet 1867 un portrait d’Aimée du Buc en sultane à la famille Du Buc au Palais de l’Élysée lors du séjour du sultan Abdulaziz en France. Ce sultan avait été invité par Napoléon III. À nouveau, en 1932, la famille impériale ottomane retirée en France avait renouvelé sa sympathie à la famille du Buc, notamment à Mme Martin du Theil, écrivain et descendante des Du Buc de Martinique.
Lors du Tricentenaire des Antilles Françaises en 1935, le Sénateur Henry Lémery présida la conférence du 22 mai 1935 à Paris (100 rue de Richelieu) du Docteur William Dufougeré auteur de « Madinina, Reine des Antilles » (Éditions Berger-Levrault sises au 5, rue Auguste-Comte à Paris 6e arrdt 1931, édité à seulement 55 exemplaires), sur Aimée du Buc de Rivery, avec la collaboration de Mme Martin du Theil (petite-fille Du Buc).
Ce livre est presque disparu aujourd’hui. Mais le nouveau livre, « la Saga des Du Buc » par Yvan Brunet du Buc de Mannetot et F. Renard-Marlet, cite un long chapitre sur la vie de l’impératrice Joséphine et de sa cousine Aimée du Buc de Rivery. Ces deux écrivains essayent d’élucider la question de l’existence de la Sultane Aimée du Buc de Rivery.
Epilogue
Malheureusement, il est extrêmement improbable, voire impossible, qu’Aimée du Buc de Rivery ait été la sultane valide. Les dates de sa disparition et de la naissance de Mahmoud II ne concordent pas, et de plus, il y a des preuves que Nakşidil est venu du Caucase, pas de France en passant par la Martinique.
Cependant, la romance entre une héritière planteuse devenue esclave et un sultan s’est révélée puissamment enivrante.

Nakşidil devenue Valide Sultane, s’était fait construire un somptueux palais et ce mausolée qu’elle s’était fait construire loin du Sérail et elle y passa les dernières années de sa vie, loin des intrigues de la cour. Elle mourut en 1817.
Celle qui l’avait précédée, Mihrisah (Mihirishah) à qui ont la compare également à Aimée de Buc (cela prouve encore plus, le manque d’information), mais non. Elle était également d’origine géorgienne. Mais ça, c’est une autre histoire...
Mihrisah fût la dernière Validé Sultane à mourir au palais de Topkapi avant que les femmes soient transférées dans le nouveau palais Dolmabahçe.