Ahmet Davutoglu, de tête pensante de l’AKP à paria du régime

Il y a une semaine, le comité exécutif de l’AKP décidait, à l’unanimité, de renvoyer l’ancien Premier ministre devant une commission disciplinaire en vue de son expulsion.
« Hodja » (« enseignant » en turc). C’est ainsi que beaucoup de Turcs surnomment Ahmet Davutoglu, ce, probablement, en raison de ses origines professionnelles académiques. Ancien professeur de relations internationales, intellectuel, diplomate, mais aussi (et surtout) ancien ministre des Affaires étrangères (2009-2014) et ancien Premier ministre turc (2014-2016), il est aujourd’hui de retour sur le devant de la scène politique. Mais le come-back a un goût amer.
Le comité exécutif de l’AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur), conduit par le président turc Recep Tayyip Erdogan, et dont M. Davutoglu est membre, a en effet statué, la semaine dernière, en faveur du renvoi de l’ex-chef de la diplomatie turque devant une commission de discipline en vue de son exclusion avec trois autres cadres importants du parti. Cette exclusion – aux allures d’excommunication – n’est néanmoins pas une surprise. Le président Erdogan, en visite dimanche dernier à Konya – ville natale de l’ancien chef de gouvernement –, avait indiqué à ses partisans qu’il purgerait les dissidents internes au sein du parti. « Nous ne devons pas nous abstenir d’éliminer les gens qui nous ont séparés de leur cœur et de leur chemin mais qui, sur le papier, sont toujours membres (de notre parti) », avait-il affirmé. Si le président turc n’a pas donné de noms, c’est celui d’Ahmet Davutoglu qui est venu dans tous les esprits.
Ce dernier dénonce depuis plusieurs mois la gestion politique de M. Erdogan, critiquant tant l’affaire de l’annulation du scrutin municipal de mars denier à Istanbul – perdue à deux reprises par l’AKP – que l’arrestation de maires membres du parti prokurde du HDP au mois d’août.
La sentence infligée à Ahmet Davutoglu « est le sort de toute personne qui, à un moment ou un autre, montre une certaine opposition ou un point de vue différent de celui d’Erdogan », estime Jana Jabbour, spécialiste de la Turquie et enseignante à Sciences Po, contactée par L’Orient-Le Jour. Selon elle, le président turc « pense qu’il incarne la nation, et que toute personne qui ne partage pas son point de vue est nécessairement un ennemi de la nation (…) D’où la chasse aux sorcières contre la confrérie (du prédicateur islamiste Fethullah) Gülen et maintenant Davutoglu... ». Le reïs a ainsi perdu un autre de ses anciens alliés – après l’ancien ministre de l’Économie Ali Babacan, qui a démissionné en juillet – et non des moindres. Car Ahmet Davutoglu a été la « tête pensante » de l’AKP pendant de nombreuses années et le concepteur de la nouvelle stratégie de puissance diplomatique de la Turquie à l’échelle internationale.
Source : avec L’Orient le Jour