Le groupe turc Limak a déposé ce lundi ses offres de reprise des 60% de l’Etat dans les aéroports de Lyon et de Nice. Estrosi et Wauquiez ont beau hurler, l’APE ne peut plus reculer devant Nihat Özdemir.

source : http://www.challenges.fr/entreprise/20160704.CHA1502/qui-est-ce-mysterieux-turc-qui-veut-rafler-les-aeroports-de-lyon-et-de-nice.html

C’était à midi, ce lundi 4 juillet. L’heure limite pour déposer son offre de candidature à la privatisation des 60% détenus par l’Etat dans les aéroports régionaux de Nice et de Lyon. Et au milieu des candidats attendus – les constructeurs Vinci ou Ferrovial, les fonds Ardian ou Macquarie et encore l’opérateur Atlatia – figure un outsider aux poches profondes : le groupe Limak, un conglomérat de BTP, ciment et tourisme… turc. La rumeur gronde qu’il n’en fallait pas plus pour faire sortir de leurs gonds Christian Estrosi, maire de Nice, et Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le premier, depuis quelques semaines déjà, a entamé un lobbying forcené contre l’opérateur turc : "Alors que nous sommes en état d’urgence, en état de guerre même, c’est tout simplement inadmissible de permettre à une puissance étrangère de s’emparer d’un tel outil stratégique de la Côte d’Azur". Et, ce matin, à la dernière minute, Laurent Wauquiez s’est offusqué à son tour : "Il n’est pas question de céder Saint-Exupéry à un groupe étranger. Je ne suis pas favorable notamment au rachat de notre aéroport par un groupe turc. Notre aéroport est un outil de souveraineté".
Le syndrome chinois de Toulouse

Qui est donc ce mystérieux et apparemment inquiétant groupe Limak ? Certains s’empressent de dresser le parallèle entre ce candidat turc et le consortium chinois Symbiose qui avait remporté l’affaire de l’aéroport toulousain. N’ayant aucune expérience dans le domaine aéroportuaire, Symbiose avait surpris son monde en établissant un chèque supérieur de 30 millions d’euros à celui de ses adversaires Vinci et ADP. Mais Limak, fondé en 1976 et présidé par Nihat Özdemir, ne sort pas totalement de nulle part. D’abord, ce n’est autre que la banque parisienne ayant pignon sur rue BNP Paribas - et son très français délégué général Thierry Varène - qui a introduit Limak dans la procédure et lui servent de conseil financier. Le conglomérat turc s’est par ailleurs associé, pour la plateforme de Lyon, au fonds d’infrastructure français – bien que basé à Luxembourg – Cube, tenu par des anciens de Natixis. Un acteur de l’appel d’offre l’assure : "Comme tous les fonds, dont l’activité est réglementée, Cube doit appliquer les procédures de sécurité financière comme le « KYC » (know your client)."
Expérience aéroportuaire

Ensuite, contrairement à Symbiose, Limak détient bien une expérience aéroportuaire. Dès 2008, il remporte pour 2 milliards d’euros la rénovation et gestion du deuxième aéroport d’Istanbul, Sabiha-Gökcen. En 2011, c’est celui de Pristina au Kosovo, qu’il gagne, en joint-venture avec la société de gestion Aéroports de Lyon. Chez l’opérateur lyonnais, d’ailleurs, on se refuse à tout commentaire sur l’appel d’offre en cours, mais on veut bien raconter cette expérience : "Cela fonctionne très bien entre nous depuis cinq ans, alors même que les conditions étaient difficiles avec des aléas politiques et des faillites de compagnies aériennes. Malgré tout, nous n’avons pas divorcé !" Par ailleurs, en 2013, c’est encore Limak qui remporte le contrat de construction et d’exploitation du troisième aéroport d’Istanbul, à 22 milliards d’euros, appelé à devenir la plus grosse plateforme du monde avec 150 millions de passagers ! Plus récemment, l’entrepreneur turc a encore raflé la construction d’un nouveau terminal au Caire (Egypte), à Rostov (Russie) et au Koweit. Bref : pas un débutant. Et le patron Nihat Özdemir l’écrit dans un communiqué en septembre 2015 : "Limak va continuer à planter le drapeau turc autour du monde." Comme le tourne avec humour un négociateur français : "Ce Turc exotique est un outsider qui y va à la hussarde mais pas un chinois loufoque."
Mais corrompu ?

Certes, certaines ombres au tableau peuvent inquiéter. Proche du Premier ministre Erdogan, Nihat Özdemir a été cité dans une affaire de corruption en Turquie, avant que le procureur en charge du dossier ne soit remercié. L’aéroport de Genève qui devait initialement s’associer à l’offre de Limak et Cube sur Lyon, a finalement jeté l’éponge vendredi dernier. Son conseil d’administration avait pourtant donné son aval à l’opération, mais le canton de Genève a préféré tout annuler. Selon la RTS, "ce partenariat soulevait de sérieuses questions, comme l’indique un rapport de KPMG Turquie, qui met en évidence les liens d’intérêt entre le groupe Limak et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Il fait également mention de cas de corruption et de non-respect des règles dans l’attribution des marchés publics."
Pas moyen de l’écarter

Mais on ne voit pas ce qui pourrait empêcher l’APE de céder aux sirènes de l’argent, qu’il soit Turc ou pas. Un banquier proche de la procédure l’affirme : "Pas moyen de les sortir. D’autant moins que l’APE a admis cette candidature au premier tour !" Or, l’APE, avec ses conseillers financiers Mediobanca et HSBC, et son cabinet d’avocat Gide, a également mené une investigation sur l’entreprise. Si Limak est le mieux disant, comme l’insinue la rumeur, l’Etat ne pourra pas reculer. Un observateur ajoute : "Comment justifier qu’un Turc ne puisse pas prendre une part dans nos aéroports français alors qu’ADP est entré en 2012 dans le capital de l’aéroport Atatürk !" Une opération dont la France se mord d’ailleurs encore les doigts puisque un an tout juste après la signature de cette opération, la Turquie a annoncé la construction d’un troisième aéroport flambant neuf à Istanbul, condamnant Atatürk à un arrêt prématuré. Ironie de l’histoire, c’est justement le groupe Limak qui avait remporté ce contrat à 22 milliards d’euros au nez et à la barbe des Français.