Un guide propose une visite du quartier turc de la capitale allemande. Questions déroutantes et nombreux a-priori au programme.

(PHOTO : Dans un club d’hommes à Kreuzberg - © David Turnley/CORBIS)

La Turquie vue d’un bus et sans quitter Berlin : un guide propose un tour du "Petit Istanbul", le quartier turc de la capitale. L’occasion pour une trentaine de retraités allemands de confronter leurs préjugés à la réalité.

Berlin compte environ 120.000 Turcs sur une population de 3,4 millions d’habitants. Arrivée depuis un demi-siècle, cette communauté est peu intégrée en Allemagne, constatent des rapports officiels.

"N’hésitez pas à poser toutes les questions qui vous passent pas la tête. Pourquoi toutes les femmes turques sont-elle voilées ? comment choisir de beaux melons au marché ?", lance Horst Schulz, concepteur de cette visite, alors que le bus affrété pour l’occasion s’élance dans les rues de Kreuzberg.

Dans le véhicule qui longe l’ancien aéroport de Tempelhof, une trentaine de Berlinois, moitié calvities, moitié permanentes. Environ 300 personnes ont participé à ces visites depuis leur création il y a un an.

"Je suis venue pour connaître mon quartier. Pour apprendre à connaître une autre culture, comme tout le monde ici", explique Christel, élégante blonde septuagénaire.

"Là ! Les premières femmes voilées !", s’exclame Isolde, une infirmière à la retraite, pointant trois adolescentes qui discutent sur un trottoir.

Premier arrêt, appareil photo à la main : la mosquée de Sehitlik, plantée au milieu d’un cimetière turc. Il est 10 heures du matin, les visiteurs se déchaussent avant d’entrer dans la salle de prière, vide.

M. Schulz, accompagné de son collègue d’origine turque Ümit Turkschan, se lance dans sa présentation, entre Guide Michelin et Islam en dix leçons.

Les cinq prières par jour ? "Mais ils ne dorment jamais...", s’amuse l’une des participantes. Une autre, contemplant les calligraphies arabes aux murs : "Ils apprennent le Coran par coeur sans comprendre la langue ?".

Les interrogations sur la pratique de la religion fusent : "Comment l’imam est-il payé ? Est-ce qu’un muezzin monte en haut du minaret ?". Ümit pose la veste et décompose les mouvements de la prière.

Mais les questions dérivent souvent, relève Horst Schulz. "C’est toujours pareil : Pourquoi est-ce qu’il y a des kamikazes ? Pourquoi les femmes sont-elles opprimées dans l’Islam ?".

"C’est pourtant vrai. Je suis allée en Turquie et les femmes marchent toujours derrière les hommes", affirme Isolde, venue avec son mari Bernd. Ils habitent le nord de la ville, à 20 minutes de là.

"Ces gens vivent à Berlin mais ils ne sont jamais venus à Kreuzberg d’eux-mêmes", se désole Horst Schulz.

Il voit ses visites, qu’il propose depuis un an pour 20 euros par personne, comme un véritable "projet d’intégration".

Cette mosquée est d’ailleurs un lieu très prisé des groupes de touristes - elle en reçoit "plusieurs par jour", affirme Ismail Ylmas, qui y travaille. "C’est normal qu’ils se posent des questions, s’ils ne sont jamais entrés dans une mosquée."

Hammam, restaurant puis marché turc : les cinq heures de programme sont vite passées. Mais cela "permet de briser la glace. Ils voient qu’il n’y a pas que des voiles et des kebabs à Kreuzberg", ajoute-t-il.

"La plupart ont déjà fait des voyages organisés pas chers en Turquie, où ils n’ont rencontré... personne. Beaucoup ne savent même pas qu’il y a de nombreux Turcs médecins ou avocats en Allemagne."

Thomas, un fonctionnaire de 43 ans, est de très loin le benjamin du groupe. Cet habitant de Neukölln, un quartier qui comporte aussi une importante population turque, n’a pas l’impression d’avoir appris beaucoup.

Pour d’autres, c’est une découverte. "C’est une autre culture, il y a encore beaucoup de choses qui restent incompréhensibles. Les crimes d’honneur, par exemple, ça ne devrait pas arriver en Allemagne", commente Annemarie, une retraitée à la figure toute ronde posée sur un costume marine.

Et de conclure : "En vérité, nous nous intéressons plus aux Turcs qu’ils ne s’intéressent à nous. C’est toujours nous qui nous bougeons."

Source : Le Point