La communauté turque est-elle fortement structurée sur l’agglomération bordelaise ?
Au début, il n’y avait pas de divisions. Le fait de venir de Turquie rapprochait les premiers migrants, essentiellement des hommes venus pour soutenir la main-d’oeuvre. Il y a donc eu une réunion dans une première association, Turc islam, pour répondre aux différents besoins des Turcs qui arrivaient. À partir de 1974, les familles sont arrivées. Et depuis, il y a une multitude d’associations, politiques, religieuses et des associations montées par les jeunes. Comme l’association créée par des jeunes d’Isparta (une ville de l’ouest de la Turquie, NDLR). C’est comme si des gens, ici, montaient une association parce qu’ils viennent de Mérignac. On revendique davantage son identité, jusque dans sa province d’origine.
Quels sont les traits de la culture turque qui se sont maintenus à Bordeaux ?
Au niveau de la religion, la pratique diminue. Le ramadan est suivi, la prière l’est moins. Une chose qui ne se perd pas, c’est la fête du 23 avril. Une fête nationale. L’État turc est un état récent. Il a été créé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk. Cette « turcité » est très importante, justement parce qu’elle est récente. Le fait d’avoir émigré fait d’autant plus ressortir les racines. S’il y a bien une fête qui rassemble toute la communauté à Bordeaux, dans toute sa diversité, ethnique et religieuse, c’est cette fête. Elle est organisée à Lormont par les Elco (Enseignants de langue et culture d’origine, envoyés par le gouvernement turc). Elle est aussi connue comme la fête des enfants. Car dans l’idée d’Atatürk, l’avenir de la Turquie se fait par l’éducation des enfants.
Il y a donc un vrai investissement dans l’éducation des enfants ?
Oui. Avant les parents insistaient énormément pour que les enfants assistent au cours des Elco, car c’était le seul lieu où les enfants pouvaient apprendre leur langue maternelle et leur culture. Mais aujourd’hui, les enfants sont de la 3e voire de la 4e génération, ils ont une mentalité différente de celle de leurs parents. Certains ne voient même plus la nécessité d’aller dans ces cours d’Elco. Mais globalement ils sont suivis. Les cours de religion dans les différentes associations jouent également un rôle. C’est l’autre biais qui permet de transmettre la culture et de la préserver. Et puis, il y a le rôle des médias. Aujourd’hui, tout le monde a une antenne parabolique. Les Turcs regardent majoritairement les chaînes turques. La première génération le fait au détriment des chaînes françaises, car elle ne parle pas nécessairement français, mais les jeunes regardent les chaînes turques et françaises.
Les traditions culinaires ou vestimentaires sont-elles également préservées ?
En fait, Atatürk a voulu créer un État laïc. Il a donc interdit tout ce qui rappelait la tenue vestimentaire ottomane, à savoir le fez, cette coiffe particulière, et le pantalon bouffant. Donc, quand ils sont arrivés, les Turcs avaient déjà une tenue « européenne ». Seules les mamans de la première génération avaient quand même ce pantalon bouffant. Les spécialités culinaires par contre ne se perdent pas.
Le développement des épiceries turques a également aidé. Autre exemple, le kebab avant, ce n’était pas fréquent à Bordeaux. Ces snacks étaient plutôt tenus par des personnes d’origine maghrébine. Aujourd’hui ils sont rachetés par les Turcs. Parce que les Turcs ont un esprit entrepreneurial important. Ils montent de plus en plus souvent leur propre entreprise, généralement familiale.
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