UN TURC, UN ARMÉNIEN & L’AMÉRIQUE
Récit d’un événement vécu par le journaliste turc Mehmet Efe aux Etats-Unis.
Alors que je roulais à 160km/h dans le désert du Nevada, subitement un véhicule de police est apparu et m’a forcé à m’arrêter sur le côté de la route.
Je me suis dit : « T’es dans la merde mon vieux ! ».
Si tu dépasses de 25 miles (40km/h) la limite de vitesse autorisée, ils immobilisent ta voiture et tu te retrouves derrière les barreaux pour mise en danger de la vie d’autrui. Moi, j’avais excédé de plus de 30 miles (48 km/h) alors pensez donc ! J’ai commencé à réciter le verset du Trône, Ayat al-Kursî (NDLR : Selon la croyance islamique, la récitation de ce verset procure une armure d’anges pour une protection infaillible).
Un policier à la silhouette de colosse est apparu !
« Savez-vous à quelle vitesse vous rouliez monsieur ? » interrogea-t-il.
« Non. En toute honnêteté, je suis dans un désert sans vie et je me suis laissé emporter par la musique » dis-je.
Probablement en raison de mon accent, « D’où êtes-vous ? » questionna-t-il.
« Turquie. »
« Vous êtes turc ? »
« Oui. »
« Moi, je suis arménien. »
Je me suis dit : « Là, t’es vraiment dans la merde mon bonhomme ! »
Ensuite, avec un très mauvais turc, il m’a sorti : « Le diable se meule chose hâte » (Acele iş şeytan katışır).
J’étais éberlué ! « Oh mais vous parlez turc… le diable se mêle de toute chose faite à la hâte -Acele işe şeytan karışır- (NDLR : dicton turc pour exprimer que la hâte est source d’erreur) » le corrigeai-je poliment.
« Mon turc est très rudimentaire. Du côté paternel, on vient d’Adana. » précisa-t-il.
On poursuivit en anglais : « La chanson, c’était du Ibrahim Tatlıses ? »
« Non, Erkin Koray. »
« Jamais entendu parler ! »
Je l’ai invité dans ma voiture.
Il se nommait Michael Papazian. Michael « Fils de curé » quoi ! (Papazian signifie "fils de curé" en turc)
Je me suis dit : « T’as trouvé ton prêtre mon bonhomme ! »
Il s’est assis dans ma voiture et nous avons écouté ensemble Erkin Koray, vous savez cette musique de rock anatolien où il interprète un poème de Nazım Hikmet : « Ce pays est le nôtre ».
Michael Papazian a adoré !
Il était très ému même en répétant sans cesse : « Amazing ! Amazing ! Wooow ! ». Il m’a même demandé de lui traduire certains passages.
Michael a conclu : « En écoutant une telle musique, on a des ailes qui poussent et forcément on ne peut que vouloir s’envoler ». C’était la première fois qu’il entendait Erkin Koray.
Il a promis : « Je le retrouverai sur YouTube ! ».
Puis, il a reçu un appel. En toute hâte, il m’a embrassé, m’a conseillé d’être prudent, m’a rappelé la loi puis il est reparti en courant.
Et moi, assis sur le bord d’une route dans un continent étranger à l’autre bout de la planète, je pleure en écrivant ces lignes.
Voici la chanson d’Erkin Koray qui a réuni ce jour deux personnes appartenant à deux mondes « différents »…
https://www.youtube.com/watch?v=v45kOYKF06E
Source : http://superhaber.tv/anadoluda-dolan-gozler-nevada-colunde-…