Les « islamistes » de Recep Tayip Erdogan sont assurés d’être reportés au pouvoir, aujourd’hui, en Turquie. C’est un développement redoutable. Il s’agit peut-être d’une étape vers une IIe République turque. Le Parti de la justice et du développement du premier ministre Erdogan est en effet crédité par les sondages d’une ample victoire à ces législatives.

Les uns redoutent une dérive autoritaire et idéologique du régime kémaliste (en principe laïc), en place depuis près d’un siècle en Turquie. Le suspense est dans l’ampleur de cette victoire annoncée. On prête à Erdogan l’ambition de mettre en place une IIe République turque à saveur islamique. Ce serait, dit-on, son « agenda caché ».

Les autres saluent la « civilité » grandissante du pouvoir turc avec l’apparente mise au pas des forces armées, lesquelles se voulaient les garantes de la laïcité et du bon ordre. C’est grâce à cette vocation plus ou moins autoproclamée qu’elles ont directement exercé le pouvoir à quelques reprises, quitte à le remettre aux civils une fois leur mission accomplie, tout en se gardant quelques chasses gardées, notamment en ce qui concerne le problème kurde.

Cette mise au pas s’exprime pour l’instant par de longues poursuites judiciaires menées contre une vingtaine de hauts gradés, accusés de complot pour fomentation d’un coup d’État, il y a quelques années. Si cette mise au pas se confirme, la Turquie n’aura jamais été aussi pluraliste et constitutionnelle, au sens du moins que les Européens l’exigent avant de poser sa candidature à l’Union européenne.

Mais une « république islamique » formellement identifiée comme telle, qu’est-ce que ça signifie dans le contexte d’une lutte strictement politique découlant d’une victoire électorale, d’abord - régulièrement obtenue -, et éventuellement référendaire ? Cela veut dire quoi, en outre, dans un pays qui se veut autant européen qu’asiatique et qui aspire à faire partie de l’Union européenne à part entière, et non à un quelconque partenariat que l’on se contente pour l’instant de lui faire miroiter ?

La question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne n’est pas à l’ordre du jour, ni même un enjeu de la campagne électorale qui vient de se terminer. Mais cette question ne demande qu’à être ramenée à la vie, la classe politique turque - comme l’opinion publique, d’ailleurs - n’attendant que des signaux sérieux, improbables par ailleurs, avant les présidentielles françaises de l’an prochain, pour la remettre à l’ordre du jour.

En soi, cette aspiration est un frein à la dérive autoritaire prêtée au premier ministre Erdogan pour faire de la IIe République turque annoncée un régime présidentiel, analogue à la Ve République française, dont la présidence serait le moteur de l’islamisation appréhendée, et lui, le premier président.

Déjà, on reproche au premier ministre sortant certains accrocs aux libertés civiles, dont celle de la presse, ou aux procédures judiciaires, dans le contexte ou sous le prétexte de la mise au pas de l’institution militaire.

Toute comparaison avec l’autre « république islamique » en place et formellement sous ce titre dans l’Iran voisin laisse songeur. L’Iran n’est ni perse, ni chiite.

L’aspiration européenne, discrète ou tapageuse, rêvée pour un avenir lointain ou à portée de main, fait la différence.

Si « république islamique » il doit y avoir en Turquie, elle ne sera pas « à l’iranienne ». Mais, soyons-en sûrs, ce sera quand même une révolution.

Source : Cyber Presse