Le 11 mai dernier, le Tribunal administratif fédéral de Suisse a retiré la nationalité suisse à un Turc, naturalisé helvète en 2003, sous prétexte qu’il aurait été bigame. Il a eu une fille avec sa femme suisse, et trois enfants avec sa compagne turque, restée au pays. Toute la presse suisse, et aujourd’hui française, a repris l’information, sans même lire l’arrêt C-6821/2008 du Tribunal administratif fédéral, il est vrai rédigé en allemand.
L’histoire peut se résumer ainsi :
Un Turc, né en 1962, a épousé en 1982 une Suissesse, née en 1942. Les époux ont 20 ans de différence. Cela peut paraître important, mais ce n’est pas un délit. Ils vont vivre ensemble 26 ans et avoir une fille. En 2003, le Turc est naturalisé suisse. Seulement voilà. Le Bundesamt für Migration, que l’on peut traduire par l’Office fédéral des migrations, apprend que notre homme se rend quatre fois par an dans son pays natal, et que là-bas, il entretient une maîtresse. Cette maîtresse lui donne trois enfants, en 1996, en 1998 et en 2004. En 2008, le Turc divorce de sa femme suisse et épouse en 2009 sa compagne turque.
Au niveau de la morale, certains diront que ce n’est pas bien. Mais au niveau de la loi ? Notre brave Turc a été marié pendant vingt-six ans, il avait, certes, une maîtresse, mais ce n’est pas un délit, encore moins un crime. Et il a attendu d’être divorcé pour convoler à d’autres noces. Il n’est donc pas bigame.
Les quatre magistrats du Tribunal administratif fédéral ont considéré que l’homme était un « bigame de facto ». Il ne serait resté marié avec une Suissesse que pour assurer sa naturalisation. Il s’agit d’une interprétation de la loi. Certes, l’homme menait une double vie. Mais est-il le seul ? Et cela mérite-t-il qu’on lui retire la nationalité suisse ? D’autant qu’il apparaît que l’épouse suisse était au courant de la situation et l’acceptait, ou du moins la tolérait.
Revenir sur les naturalisations
Plus grave est l’attitude de la presse suisse d’abord, des journaux français ensuite. « Retrait de passeport pour bigamie », titre Le Temps de Genève, tandis que Le Figaro annonce : « Un Turc bigame déchu de la nationalité suisse ». Le quotidien parisien souligne que pour le Tribunal administratif fédéral « la naturalisation par mariage suppose une relation vécue dans la monogamie ».
Même si ce Turc est peut-être un type peu fréquentable, il est important de rappeler qu’il n’a jamais été bigame. Ensuite, sa femme suisse, avec qui il était marié depuis 1982, aurait pu réclamer le divorce très rapidement. Enfin, il faut souligner que la naturalisation facilitée par mariage réclame cinq ans. Or, notre homme n’a obtenu son passeport suisse qu’en 2003, soit plus de deux décennies après son entrée dans la Confédération.
Cette opération montre surtout que la Suisse, après l’affaire des minarets, prépare le terrain au reste de l’Europe. Sous des prétextes plus ou moins fallacieux, on pourra dorénavant revenir sur les naturalisations.
Source : Bakchich.info