Madame Gülsün Bilgehan, Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur
Discours de l’Ambassadeur à l’occasion de la remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur à Madame Gülsün Bilgehan.
Monsieur le Président général du CHP,
Chère Özden Toker,
Chère Gülsün Bilgehan,
Chers Amis,
C’est un grand plaisir de me retrouver aujourd’hui parmi vos proches dans le cadre intime de cette résidence historique d’Ankara, à l’occasion de la remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur, le plus prestigieux de nos Ordres Nationaux à Gülsün Bilgehan. C’est un grand honneur pour moi, Chère Gülsün, de pouvoir rendre hommage devant votre mère Özden Toker Inönü, au parcours exceptionnel qui a été le vôtre et vous remercier ainsi d’avoir choisi la France, sous l’influence de vos parents et en particulier de votre père, le grand journaliste Metin Toker trop tôt disparu et à l’origine d’une trajectoire brillante, qui fait de vous aujourd’hui la digne continuatrice d’une illustre lignée.
Mais avant de retracer vite votre brillante carrière, laissez-moi d’abord souligner auprès de votre famille et de vos amis l’importance de cet Ordre National de la Légion d’Honneur, créé par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, le 19 mai 1802, et qui vient récompenser les mérites exceptionnels de celui qui la reçoit.
Chère Gülsün Bilgehan, vous êtes née à Izmir, la terre natale de votre glorieux aïeul Ismet Inönü dont vous vous emploierez par la suite à cultiver l’héritage politique. J’y reviendrai.
Vous faites vos études secondaires au prestigieux lycée Charles de Gaulle d’Ankara qui a formé plusieurs générations de francophones de la capitale turque et dont de nombreux « anciens » occupent aujourd’hui des fonctions de responsabilité dans la vie politique, institutionnelle et intellectuelle de la Turquie.
Votre baccalauréat en poche, vous choisissez de marcher sur les traces de votre père, lui-même issu du lycée Galatasaray à Istanbul qui a formé une partie de l’élite de la Turquie moderne. Vous entendez poursuivre vos études supérieures à Paris et vous spécialiser dans le domaine des relations internationales. C’est donc tout naturellement que, comme votre père quelques années avant vous, vous rejoignez le très exigeant Institut d’Etudes Politiques de Paris, Sciences Po, dont vous sortez brillamment diplômée en 1979.
Cette francophonie et les valeurs qu’elle porte, cette francophonie que votre mère, pourtant diplômée de langue et littérature anglaise à l’Université d’Ankara, a elle aussi encouragé, vous n’avez jamais cessé depuis de la cultiver. Vous êtes en effet l’amie de la France, c’est-à-dire celle des bons jours, mais aussi celle des moments plus difficiles de la relation franco-turque. Je sais que lorsque moi-même ou mes prédécesseurs vous avons consulté dans ces moments de grande tension qui se font désormais un peu plus rares, votre connaissance de nos deux pays, de nos cultures, de leurs susceptibilités comme de leurs sensibilités vous ont permis de recommander des lignes d’action empreintes de sagesse et d’optimisme sur nos rapports de long terme.
Et c’est donc tout naturellement qu’au plus fort de la « crise arménienne », lorsque l’Assemblée nationale en France adopta la proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien en octobre 2006, proposition qui ne franchira jamais le cap du Sénat, vous aviez répondu par la négative à tous ceux qui vous pressaient de retourner cette haute distinction qui venait tout juste de vous être attribuée quelques mois auparavant et que j’ai l’honneur de vous remettre finalement ce soir.
De retour en Turquie après avoir achevé vos années de formation française, vous préférez dans un premier temps la République des lettres à la vie politique et vous embrassez, comme votre père, une carrière d’écrivain-journaliste qui vous permet de réconcilier ces deux dimensions fondamentales de votre histoire personnelle et familiale.
Vous rencontrez le succès dès votre premier ouvrage : Mevhibe, une biographie de votre grand-mère, qui paraît en 1994 et vous vaut le titre « d’écrivain de l’année 1995 » décerné par les « Organisations féminines d’Istanbul » ainsi que le prestigieux prix Abdi Ipekçi, du nom de l’ancien journaliste assassiné en 1993, rédacteur en chef de Milliyet où écrivait votre père. Vous creusez ce sillon biographique avec votre deuxième livre, La Première dame de Çankaya, publié en 1998 et lui aussi consacré à votre grand-mère. Vous y montrez notamment, la part décisive prise, dans l’ombre, par les épouses des hommes illustres qui font l’Histoire, et ce témoignage émouvant sur le parcours de votre famille et riche d’enseignements sur l’histoire de votre pays n’est sans doute pas étranger à votre attachement à défendre la place des femmes dans la société turque et notamment dans la vie politique.
Les Contes du pavillon rose, votre troisième oeuvre, s’inspire des innombrables histoires, petites et grandes, entendues à la résidence familiale durant votre enfance. Parallèlement à cette activité littéraire, vous vous consacrez à l’enseignement du journalisme à l’Université de Bilkent, où vous assumez en outre, un enseignement en français sur les sciences politiques.
Vos multiples vies, d’écrivain, de journaliste, d’enseignante, mais aussi de vice-présidente de la Fondation Inönü à laquelle vous avez consacré beaucoup de temps, vous avaient naturellement préparé à entrer en politique. Quoi de plus naturel après tout, lorsqu’on a pour grand-père Ismet Pacha Inönü, ce « deuxième homme » devenu également le deuxième président de la République de Turquie, le 11 novembre 1938 et l’un des pères de la démocratie turque avec Mustafa Kemal Atatürk dont il fera brillamment fructifier l’héritage ?
Vous vous présentez aux élections législatives du 3 novembre 2002 sous l’étiquette du CHP, bien entendu, le parti dont votre grand-père avait été le président général de 1938 à 1972 sans discontinuer. Elue députée d’Ankara, vous n’en oubliez pas pour autant la France, avec laquelle vous continuez de cultiver votre amitié. Vous vous rendez fréquemment dans notre pays dans le cadre de vos activités parlementaires, à la fois comme membre de la délégation turque à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg où vous serez élue Présidente de la Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, mais aussi comme membre du groupe d’amitié Turquie / France de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Et vous comptez tant d’amis en France que je ne citerai que la Sénatrice Josette Durrieu, inlassable défenseure de la cause turque et du rapprochement entre nos deux pays.
Chère Gülsün Bilgehan,
Cette fidélité à vos racines, à votre histoire, vous l’avez maintes fois démontrée. Vous connaissez le prix de vos idées et vous êtes prête à vous battre pour elles, comme votre père, emprisonné neuf mois durant, au cours des années 1950, pour avoir critiqué un ministre du gouvernement dirigé par Adnan Menderes.
Aujourd’hui, vous continuez d’accompagner le parti avec lequel s’identifie votre famille en prenant des responsabilités nouvelles au sein d’un CHP en pleines rénovation et évolution, sous l’impulsion de son nouveau Président, le 7ème de son histoire, M. Kemal Kiliçdaroğlu, désigné en mai 2010 et qui nous fait l’honneur d’être présent parmi nous ce soir.
Vous êtes ainsi devenue à votre tour, l’une des principales protagonistes de l’évolution d’un parti dont l’histoire se confond avec celle de la Turquie modeerne. Parti unique et tout-puissant de 1923 à 1945, le CHP se transforme sous l’impulsion de votre grand-père. Chef de la délégation turque lors des négociations du Traité de Lausanne de 1923 qui verra la Turquie échapper au démembrement promis, viscéralement attaché à la stabilité de l’Etat qu’il a vu naître dans les convulsions de l’après-Première guerre mondiale, et partisan pour cette raison d’un régime centralisateur, d’un Etat fort et d’une stricte laïcité, Ismet Inönü est tout autant convaincu de la nécessité de faire entrer la Turquie moderne dans l’ère du multipartisme.
Il accepte de jouer le jeu de l’alternance après avoir autorisé la création de partis politiques en 1945 : il devient chef de l’opposition en 1950. Revenu au pouvoir en 1961, il s’oppose à deux tentatives de coup d’Etat militaire en 1962 et 1963. La même année, en 1963, il signe l’accord d’association avec la Communauté économique européenne à l’origine du processus de négociation de la Turquie avec l’Union européenne et des réformes essentielles que votre pays a engagées depuis plusieurs années pour se mettre aux standards européens.
Le CHP que dirige aujourd’hui M. Kemal Kiliçdaroğlu et que vous avez rejoint en tant que vice-présidente en charge des organisations féminines, se nourrit de cette flamme progressiste et réformatrice que vous avez choisi d’entretenir, en hommage à vos convictions et à vos ancêtres. Cela fait de vous, sans aucun doute, la digne héritière de ces 17 pionnières entrées au Parlement turc pour la première fois de son histoire le 8 février 1935, après que Mustafa Kemal Atatürk et votre grand-père avaient accordé aux femmes turques un droit de vote qui leur était encore refusé alors dans de nombreux pays européens.
Tout au long de ce parcours exemplaire qui a encore devant lui bien des développements majeurs à venir, la relation avec la France, patrie des lumières, des droits de l’homme et inspiratrice de la Turquie moderne, aura été au cœur de votre vie.
Pour l’ensemble de ces raisons, Jacques Chirac, alors Président de la République Française, a décidé de vous accorder la plus haute distinction française en vous nommant Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur.
Gülsün Bilgehan, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur./.
Source : Ambassade de France en Turquie