La Turquie face à 3 graves déséquilibres économiques
La Turquie à trois défis majeurs à relever : surmonter sa dépendance énergétique, convaincre les financiers étrangers à continuer d’investir dans le pays et pacifier ses relations avec les Etats-Unis.
Surmonter sa dépendance énergétique
Faute de ressources naturelles, la Turquie connait une grande dépendance énergétique. Sa production ne couvre qu’un quart de ses besoins et est constituée pour moitié de combustibles fossiles (charbon pour l’essentiel) et pour l’autre d’énergies renouvelables. Pour le pétrole et le gaz, la quasi-totalité doit être importée, ce qui pèse lourd dans la balance commerciale. Selon le niveau des cours du baril, l’énergie représente entre 40 et 80% du déficit extérieur turc, ce qui pose de sérieux problèmes de financement, mais pas seulement.
La Turquie, c’est compréhensible, s’approvisionne au plus près. D’autant plus qu’à sa porte ou presque, la Russie, l’Iran et l’Iraq font historiquement partie des plus grands pays exportateurs de brut au monde. La photo de 2015 de la structure des approvisionnements donne une représentation assez fidèle de la composition naturelle des importations turques de pétrole : devant la Russie, l’Iran et l’Iraq ont fourni cette année-là plus de 60% de l’or noir consommé par l’économie turque.
Mais ce sont deux pays sous tension, avec de surcroît un pétrole iranien dorénavant totalement placé sous embargo américain. C’est une sérieuse contrainte pour la Turquie. Car si les alternatives existent avec l’Arabie saoudite où la Russie, cela va peser sur l’inflation et les comptes du pays : plus lourd que le brut iranien ou irakien, le brut saoudien est moins adapté aux raffineries turques ce qui entraine un surcoût. Quant au pétrole russe, il coûte beaucoup plus cher que celui du voisin iranien.
Continuer à séduire les investisseurs
Deuxième défi à relever : continuer à séduire les investisseurs étrangers. La croissance turque, comme celle de beaucoup de pays émergents, repose sur l’afflux de capitaux. Les investissements directs étrangers ont explosé à partir de 2002 — pour représenter plus de 20 Md$ avant la grande récession — et sont au cœur du décollage de l’industrie manufacturière avec des points forts dans le textile, l’électroménager ou l’automobile.
Avec ce bémol, c’est la partie à faible valeur ajoutée (généralement l’assemblage) qui est localisée en Turquie. C’est symptomatique d’un pays-atelier, donc dépendant de donneurs d’ordres étrangers : sa production intègre beaucoup de composants importés et, à défaut, se limite à des produits bas de gamme et peu sophistiqués. Les exportations de haute technologie comme l’aérospatial, l’informatique, les produits pharmaceutiques et les instruments scientifiques représentent 2,5% du total des exports de produits manufacturés du pays. Un niveau très faible, nettement inférieur aux autres grands émergents, notamment la Chine. Ce manque de valorisation des exportations se retrouve dans la balance courante, structurellement négative (autour de 4% du PIB).
Pacifier ses relations avec les États-Unis
En clair, la croissance Turque repose sur l’épargne étrangère donc sur la confiance. Pour trouver des financements extérieurs, il y a les investissements directs à l’étranger ou IDE. Sauf qu’ils ne couvrent en moyenne que 30% du déficit courant depuis 2010. Le pays doit donc largement faire appel à la hot money, ces capitaux très volatils à l’affût des meilleurs rendements. Des capitaux qui ont 1) horreur de l’instabilité politique, 2) horreur des conflits.
Or le torchon brule avec les Etats-Unis. L’évolution de la livre en donne un bon résumé : sa chute face au dollar en août 2018 est la conséquence des mesures de rétorsions américaines sur l’acier et l’aluminium turcs, à la suite d’une grave crise diplomatique liée à la détention en Turquie d’un pasteur américain. Début 2019, ce sont les achats massifs de devises par les ménages et les entreprises turques, sur fond de craintes économiques et de tensions politiques, notamment après l’annulation de l’élection du maire d’opposition d’Istanbul en mai, qui fond de nouveau plonger la monnaie. Depuis janvier 2018, la livre a cédé 34% de sa valeur, avec comme conséquence une hausse de l’inflation importée, une défiance des investisseur, la fragilisation des entreprises, nombreuses à s’être endettées en dollars et l’engloutissement des réserves officielles de change d’une banque centrale qui cherche en vain à contenir la chute de sa monnaie.
La Turquie à trois défis à relever. Trois défis liés qui aujourd’hui s’enchevêtrent dans un cercle vicieux qui pourrait bien porter un coup fatal à la stabilité économique, sociale et politique du pays.
Source : La Tribune