18 avril 2024

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La marque « Ülker », le fol amour des ouïgours pour la Turquie et la peur chinoise

Publié le | par Turquie News | Nombre de visite 537
La marque « Ülker », le fol amour des ouïgours pour la Turquie et la peur chinoise

Tribune libre de la présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe, Dilnur Reyhan.

Tout récemment, le partisan de la répression chinoise des Turciques, le plus ouïghourophobe des Turcs, le fondateur du parti nationaliste de gauche Dogu Perinçek a organisé une réunion en rassemblant les patrons des principales entreprises qui ont des intérêts en Chine. Dans un moment où la population turque est sensibilisée par les camps de concentration chinois où sont enfermés entre un à trois millions de Turcophones, où le gouvernement chinois est montré du doigt en Turquie mais aussi un peu partout dans le monde pour de nombreuses menaces que la Chine leur pose), Perinçek, comme un bon petit soldat communiste, est utilisé comme d’habitude par la Chine afin de menacer les patrons turcs de choisir leur camp : le droit des peuples turcs sur leur propre territoire ou le marché chinois.

Le patron de la célèbre marque alimentaire (notamment du chocolat) ÜLKER a déclaré : nous sommes tous du côté de la Chine.

Si c’était une marque lambda (peu importe la taille), les Ouïghours ne seraient pas surpris : nous sommes bien conscients que le monde a choisi l’argent depuis longtemps, c’est pourquoi il y a tant de souffrance dans le monde. Par exemples, ils ne sont pas si choqués que le patron du groupe média Star Ethem fasse la même déclaration. Alors pourquoi ÜLKER ?

Les produits turcs, notamment alimentaires, textiles et culturels sont très appréciés de la population ouïghoure. Leur principal marché en Chine est en réalité la Région ouïghoure et la population ouïghoure. Nous n’avons encore jamais vu ces produits turcs dans autre endroit de la Chine que la Région ouïghoure. Ils sont entrés au marché ouïghour par le biais des commerçants ouïghours qui ont fait des aller-retour entre la Turquie et la Région ouïghoure dès que la frontière est laissée ouverte par la Chine, c’est à dire à partir des années 90. Dans les années 2000 jusqu’en 2016, l’échange commercial entre la Région ouïghoure et la Turquie est multiplié. Les Turcs d’origine ouïghoure ont commencé à fonder des différentes sociétés alimentaires dans la région. Ainsi, nous avons vu partout des sociétés au nom turc comme "Ihlas", "Istanbul" (des supermarchés franchisés"), "Türkiye", "Türk" (des magasins franchisés de textiles) sans compter les divers restaurants turcs partout. Des stars turques comme Rafet El Roman ou Ismail YK ont été accueillis comme héros par leurs fans ouïghours. Que ce soit des produits alimentaires, textiles ou des concerts de ces stars turques, rien et rien n’a été consommé par un seul Chinois. Faites le tour de la Chine, voir si vous pouvez trouver un seul magasin ailleurs qu’en Région ouïghoure, où on vend les produits turcs. Ces derniers sont en général plus chers que les produits chinois, que ce soit les vêtements ou autres produits textiles ou alimentaires. Les Ouïghours, même ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens, préfèrent acheter ces produits turcs plus chers au lieu de chinois. Cela fait partie de la résistance douce des Ouïghours. J’en avais déjà parlé et écrit sur cet amour pour les produits turcs chez les Ouïghours il y a pratiquement 10 ans.

Le phénomène est tel que même les magasins chinois, les supermarchés chinois ou même le carrefour se sont mis à mettre des produits turcs pour attirer la clientèle ouïghoure. Des articles dans les médias turcs ont été publiés également sur cet amour des Ouïghours pour la Turquie et pour les produits turcs. A l’Université chinoise, une amie kazakhe (qui a fait ses études totalement à l’école chinoise) et une amie mongole (de la Mongolie intérieure) m’avaient posé cette question, très étonnée : "Pourquoi vous les Ouïghours, n’arrêtez pas de vous référencer à la Turquie, vous n’arrêtez pas de parler de la Turquie, vous n’arrêtez pas de montrer vos produits turcs. Quel est votre rapport avec la Turquie ?" C’était déjà début des années 2000. Les non-Ouïghours étaient même agacée de cet fol amour des Ouïghours pour la Turquie. En 2002, lors du FIFA, le match entre la Turquie et la Chine était très attendu par les Ouïghours partout en Chine (j’étais à l’Université chinoise) et notamment dans les universités. A chaque goal des Turcs, les Ouïghours hurlaient depuis les fenêtres de leur dortoirs. La victoire des Turcs était la leur, ils se sentaient d’avoir vengé sur les Chinois. Ce soir là, je suis sortie de la chambre où je cohabitais avec deux nationalistes chinoises et une Mongole. C’était impossible que je regarde tranquillement avec elles le match dans notre chambre sans pouvoir crier de joie pour la victoire turque. J’ai préféré donc aller voir le match dans un cybercafé où j’ai rencontré d’autres Ouïghoures, des filles qui préfèrent ne pas avoir de bataille avec leurs colocataires chinoises. Au retour dans la chambre après le match, j’ai vu la tête dépressive de mes deux camarades chinoises à qui j’ai dit que je suis désolée pour la défaite. Elles m’ont répondu avec haine : "Arrête tes mensonges, on sait parfaitement que tu es heureuse pour la Turquie." Je ne peux même pas imaginer l’ambiance ce soir là dans la Région ouïghoure. Les autorités régionales avaient déployé un grand nombre de police anti-émeute partout dans la région et dans les universités et avaient averti les étudiants ouïghours de ne pas faire de bruit en cas de la victoire turque. Mais malgré ces menaces, les jeunes étudiants ouïghours des universités ont hurlé toute la nuit. De nombreux jeunes ont été arrêtés à la suite de ce match.

En juillet 2009, suite au massacre d’Urumchi, le président turc Recep Tayip Erdogan a qualifié ce massacre de génocide. Cela a crée partout en Chine une incompréhension profonde : Pourquoi la Turquie se mêle de cela ? Pourquoi ce pays s’offusque autant pour les Ouïghours ? Quel est le rapport entre la Turquie et les Ouïghours ? C’était incompréhensible, car l’histoire des Ouïghours, l’histoire de la Région ouïghoure n’étaient enseignée à personne, à nulle part, même pas aux Ouïghours. C’est pourquoi même les autres turcophones comme les Kazakhs et Kirghiz ne comprenaient pas cet amour ouïghour pour la Turquie. Les Ouïghours, quant à eux, un peuple de lettre, malgré toutes les répressions et les périodes noires qu’ils ont vécu, isolés dans les montagnes de Pamir, de Montagne céleste et de Kunlun, ils apprenaient leurs histoires, leurs identités grâce aux intellectuels, notamment à l’école pendant les cours de la littérature ouïghoure. C’est pourquoi aujourd’hui on voit que les premières victimes de l’arrestation massive cible les lettres, les intellectuels, les écrivains-poètes, qui sont, aux yeux des nationalistes chinois, les premiers coupables.

Parmi ces marques alimentaires, la plus aimée et la plus consommé par les Ouïghours est ÜLKER. Ses produits sont tellement répandu qu’il n’y a pas un seul Ouïghour qui ne les connait pas. Trouvez-moi un seul chinois qui consomme ÜLKER ou qui connait cette marque en Chine. Les publicités d’ÜLKER sont traduits en ouïghour, diffusées quotidiennement sur les chaînes ouïghoures. Les grandes ou petites entreprises alimentaires ouïghoures ont poussé partout dans la région et qui présentent aux côtés de leurs propres produits inspirés des produits turcs, les produits ÜLKER.

En juin 2009, juste avant le massacre à Urumchi, les Ouïghours ont accueilli Erdogan aux bras ouverts, laissant leur commerce, tous sont sortis pour accueillir leur héros, comme si c’était leur président. Face aux Chinois, c’était aussi pour les Ouïghours, une forme de résistance, une fierté, une voix de dire : "On aime et on choisi lui, c’est notre proche et pas vous." Ceux qui n’ont pas pu le voir ont pleuré dans les rues comme si ils ont raté leur père. Erdogan n’a certainement pas vu cette scène ailleurs. Peu après les massacres, la déclaration d’Erdogan a fait chaud au cœur des Ouïghours non seulement de la diaspora mais aussi aux Ouïghours de la région. Car les téléphones ont été coupé pendant un mois et l’internet pendant un an. Nous avons su seulement quand les choses se sont apaisées et les Ouïghours commencent de nouveau à venir à l’étranger. C’est là que nous avons su qu’ils ont entendu les paroles d’Erdogan, le soutien de la Turquie. Dans ces moments de répressions massives et de peur, ces paroles qu’ils ont entendu de la bouche à oreille, leur ont donné le courage et l’espoir. L’idée qu’il y a la Turquie leur ont donné espoir.

Les choses ont bien changé depuis. Si à l’époque ces paroles d’Erdogan sont arrivées jusqu’aux oreilles des Ouïghours de la région malgré la coupure de connexion et de circulation vers l’étranger, alors les déclarations ces dernières années d’Erdogan soutenant la position de la Chine dans la "lutte anti-terrorisme" (premier pays qui a publiquement soutenu la Chine dans cette direction), le silence assourdissant de la Turquie pendant deux longues années suivant le début d’atroces camps de concentration pour les Turciques, sont sûrement arrivés aux Ouïghours.

Certains partisans d’Erdogan nous ont même accusé de nous plaindre sans cesse de la Turquie qui doit aider la misère du monde entier, alors que les autres pays font de sourdes oreilles aussi sur la répression ouïghoure. C’est vrai, les autres pays n’ont pas fait mieux, même pire, les pays comme la Syrie, le Pakistan ou encore l’Arabie saoudite, même nos cousins Kazakhstan et Kirghizstan ont même soutenu ce génocide culturel que la Chine est en train de mener contre les Ouïghours. Alors pourquoi on se plaint plus de la Turquie, le premier et le seul pays musulman qui a quand même accusé la Chine, même si c’est fait avec deux ans de retard, mieux vaut tard que jamais ?

Parce que la Turquie est vue comme notre famille. La nature humaine qui fait qu’on est toujours plus en colère contre nos proches que des inconnus. Parce que les Ouïghours aiment toujours autant la Turquie et la regardent toujours avec un espoir, malgré les magouilles dans la facilitations des milliers de migrants ouïghours vers la Syrie, malgré les abandons des migrants ouïghours sans aucune assistance à la merci des diverses associations religieuses qui ne sont pas toujours bienveillantes, malgré la précarité de la vie de ces migrants ouïghours qui espèrent juste avoir un titre de séjours et travailler et contribuer à l’économie turque. Les Ouïghours sont des gens travailleurs. Partout dans le monde, la diaspora ouïghoure travaille dur et n’aime pas dépendre des aides sociales. Mais pour cela, il faut une autorisation et stabilisation de leur situation administrative. Ce n’est pas le cas en Turquie, malgré la promesse des responsables d’Etat qui font un saut pendant les périodes électorales ou pendant chaque ramadan. Malgré tout, les Ouïghours aiment la Turquie, ils font confiance surtout au peuple turc qui sera toujours à leur côté, même si le gouvernement se fait plus que timide sur la crise ouïghoure.

Parce qu’une large part des Ouïghours qui sont dans les camps et dans les prisons, sont arrêtés pour leur amour pour la Turquie, pour leur commerce avec la Turquie, pour leurs études en Turquie, pour les T-shirt ou décorations dans leurs maisons, dans leurs voitures des signes de la Turquie, pour leurs séjours en Turquie, pour avoir gardé contact avec les gens de la Turquie, pour avoir appris la langue turque, pour avoir vanté les mérites de la Turquie, pour être turcophiles. Parce qu’ils ont aimé la Turquie.

S’il n’y a pas d’Ouïghours dans la Région pour acheter les produits turcs, à qui les vont vendre ce Murat ULKER ? S’il a obtenu autant de profits de ses ventes en Chine, ce n’est pas les Chinois qui les ont acheté, mais bel et bien, ce sont les Ouïghours qui les ont acheté, consommé, diffusé partout avec fierté et finalement sont emprisonnés pour cela. La réponse de ce patron infâme est : Nous sommes tous du coté de la Chine.

J’appelle tous les Turcs ou non-Turcs à boycotter les produits ÜLKER pour lui faire comprendre que s’il est du côté de l’oppresseur, le peuple turc est du côté des opprimés, du côté de leurs frères et sœurs. En ouïghour on dit "Heq égiler, sunmas." qui veut dire "la justice peut se plier (parfois) mais ne se casse jamais".

Dilnur Reyhan
Présidente fondatrice de l’Institut Ouïghour d’Europe


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