Israël frappe le Qatar : que ferait l’OTAN si Ankara était attaquée ?

Auteur : Murat Yetkin / 10 septembre 2025, mercredi

L’attaque israélienne contre un immeuble à Doha, abritant l’équipe de négociation de cessez-le-feu du Hamas et situé à proximité des ambassades de Turquie et de France, a été enregistrée par des caméras de sécurité.

Le 9 septembre, Israël a bombardé un immeuble dans la capitale qatarie, Doha, à l’aide de chasseurs. Le prétexte invoqué : éliminer des cadres du Hamas de haut rang. Le Hamas a confirmé la mort de six personnes, dont Khalil al-Hayya, membre du Bureau politique, le chef du bureau de Doha et un responsable sécuritaire qatari.

L’immeuble visé se trouvait non loin des ambassades de Turquie et de France. La plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient, le quartier général du Commandement central (CENTCOM), al-Udeid, est également proche de Doha. La Turquie dispose elle aussi d’une base militaire au Qatar : la caserne Tarık bin Ziyad, sur la base d’al-Rayyan. De plus, le Qatar, avec l’Égypte, jouait le rôle de médiateur dans les pourparlers de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. On rapporte d’ailleurs qu’au moment de l’attaque, le Qatar tentait de convaincre le Hamas d’accepter une trêve. À la suite du raid, Doha a annoncé se retirer de la médiation.

Nous avons affaire à un Israël dont l’agressivité raciste et religieuse, incarnée par Benyamin Netanyahou, ne cesse d’échapper à tout contrôle.

Les larmes de crocodile de Trump
Pour nier toute implication américaine, Netanyahou a déclaré : « Israël a lancé l’opération, Israël l’a exécutée, Israël en assume l’entière responsabilité. » Le président américain Donald Trump, seul véritable garant de l’agressivité israélienne, s’est dit « très mécontent » de l’attaque. Après avoir versé des larmes de crocodile, il a appelé l’émir du Qatar, Tamim al-Thani, pour lui dire qu’il n’approuvait pas le raid et qu’il partageait sa tristesse.

La Turquie a vivement réagi à l’attaque israélienne. Le président Recep Tayyip Erdoğan a condamné Israël, accusant ce pays d’avoir fait du terrorisme une politique d’État, et a affirmé lors d’un appel téléphonique avec l’émir que la Turquie se tenait aux côtés du Qatar.

Mais le camp opposé s’est rapidement activé. Bien que la Turquie n’ait pas été médiatrice officielle, elle tentait, en lien avec les États-Unis, de convaincre le Hamas d’accepter un cessez-le-feu. Israël, depuis longtemps, visait déjà les relations d’Ankara avec le Hamas. Après avoir frappé l’Iran et le Qatar et transformé la Syrie en terrain de tir, Netanyahou pourrait-il aller jusqu’à provoquer la Turquie ?

Israël frappe le Qatar
Celui qui est allé le plus loin dans ce raisonnement est Michael Rubin, l’un des porte-parole les plus extrémistes du lobby israélien à Washington, souvent surestimé par certains opposants turcs pro-occidentaux uniquement parce qu’il critique Erdoğan. Peu après l’attaque, Rubin a publié dans le National Security Journal un article intitulé : « Israël vient de frapper le Hamas au Qatar : la Turquie pourrait être la prochaine. »

Il y soutient qu’en cas d’attaque israélienne contre la Turquie, l’OTAN n’appliquerait pas l’article 5 (*), et qu’Ankara ne pourrait compter sur aucune aide. Même si Trump entretient des relations personnelles et d’affaires avec Erdoğan, « l’OTAN ne les sauvera pas », affirme-t-il.

Dans les cercles dirigeants turcs, on commence à s’inquiéter de plus en plus de la montée des provocations israéliennes en Syrie, qui pourraient déboucher sur un affrontement.

Les diplomates occidentaux à Ankara jugent improbable un conflit direct entre Israël et la Turquie. Mais on jugeait tout aussi improbable, à l’époque, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ou encore les frappes israéliennes contre l’Iran.

Les projets de défense que la Turquie accélère ces derniers temps – des drones aux systèmes de défense comparables au « Dôme de Fer » – visent en partie à se prémunir contre une éventuelle folie israélienne. Ces projets, d’ailleurs, sont renforcés depuis les attaques contre l’Iran, avec l’appui politique et militaire des États-Unis à Israël.
Attention au terrain syrien

Israël aurait poussé les Forces démocratiques syriennes (FDS) à revenir sur l’accord signé le 10 mars avec Mazloum Abdi et le président intérimaire Ahmad Sharaa, en soutenant une révolte druze. On sait aussi que la priorité des États-Unis au Moyen-Orient reste Israël.

Israël refuse toute stabilisation en Syrie, craignant que cela n’accroisse l’influence de la Turquie. Cette attitude nuit également aux efforts d’Ankara pour parvenir à une solution politique de la question kurde en désarmant le PKK, dans le cadre de son initiative « Une Turquie sans terrorisme ».

La « ligne de désescalade » tracée en Syrie entre la Turquie et Israël grâce à la médiation de l’Azerbaïdjan pourrait bientôt perdre toute signification pour Netanyahou, fort du soutien de Trump : Israël bénéficie toujours de l’impunité grâce aux États-Unis.

L’attaque contre le Qatar en est la dernière preuve. Le fait que le Qatar héberge le Hamas et les Frères musulmans, considérés comme des ennemis par l’Égypte, ne doit pas non plus être vu comme une garantie de sécurité pour Le Caire, également médiateur. Israël ne se sent même plus obligé de justifier ses actions.

Tous ces développements font monter Israël au premier rang des menaces sécuritaires perçues par la Turquie.
Au nord comme au sud, les tensions politico-militaires autour de la Turquie s’intensifient.
Note :
(*) Article selon lequel une attaque contre un membre de l’OTAN est considérée comme une attaque contre l’ensemble de l’Alliance. À cet égard, il convient de noter que la destruction par la Pologne, dans la nuit du 9 au 10 septembre, de drones russes ayant violé son espace aérien constitue également une situation dangereuse pour l’OTAN, et donc pour la Turquie.