DE LA MER NOIRE AUX OUIGHOURS : LE METRONOME TURC

Loin des polémiques et des incompréhensions autour de la personne de son président
Recep Tayyip Erdogan, la Turquie paraît bien partie pour passer du rôle de médiatrice à celui
de modératrice. Battre la mesure des pulsations du Moyen-Orient et des conflictualités
récentes et à venir serait la nouvelle spécialité de la république.

UN FLUX,UN TERRITOIRE : D’UNE CORNE À UNE AUTRE

Les tribus de langue turque étaient venues de loin, à l’origine. De très loin, si l’on se réfère à
l’itinérance linguistique faisant remonter des sources étymologiques jusqu’aux confins de la
Sibérie.
Les différentes vagues d’envahisseurs et les divers khaganats, c’est-à-dire une succession
d’événements nomades consolidés par la suite par une sédentarisation des vainqueurs ou
au moins de leur influence, ont contribué à l’expansion et à la puissance de l’Empire
ottoman. Un ensemble qui a su installer son aura au-delà des frontières linguistiques. Avec
au départ les hordes d’or arrivées jusqu’à la Corne d’Or stambouliote. Puis l’extension de la
Corne d’Or à la Corne de l’Afrique. Le monde turc a agi en métronome orientant les
directions des rivalités militaires et territoriales en fonction de ses oscillations.
Mais la mesure du métronome a été dépassée par le sprint du chronomètre de l’Histoire
aboutissant sur le démantèlement de l’Empire.Cependant, diplomatiquement la Turquie
n’était pas morte.

UNE ETAPE : DE YALTA À ISTANBUL

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, après le sommet de Yalta puis les mises en
place décidées par l’OTAN, la patrie d’Atatürk a intégré cette dernière organisation en
1952. Ce fut pour les grandes puissances internationales une façon de reconnaître
l’importance des passages entre Mer Égée et Mer Noire, en cette Méditerranée Orientale si
redoutée. Le positionnement à la fois géographique et géostratégique d’Istanbul a servi en
servant de base de rencontres officielles au sujet du conflit russo-ukrainien.
Contrôler les détroits, c’est une des facultés à se spécialiser de l’histoire Nationale. Plusieurs
décennies après, alors que les détroits posent à nouveau problème (Ormuz, Bab el
Mandeb). La spécialisation pourrait se diversifier en se plaçant cette fois sur la terre
ferme, direction l’Asie Centrale.

LA REMISE EN LUMIÈRE DES OUÏGHOURS

Il y a peu, le Président Erdogan et son gouvernement se sont reconsacrés à la tâche de
dénonciation du génocide en cours en Chine. Celui de leurs homologues turcophones du
Xinjiang, c’est-à-dire la portion pouvant se définir comme le Far-West chinois ou bien
l’extrémité de la Turcophonie à travers l’appellation de Turkestan oriental. Un territoire qui
contient pétrole et lythium et qui, s’il recouvrait l’Indépendance, pourrait servir d’alternative à
l’Occident devant les autres producteurs tout en renforçant les intérêts de la Turquie.
Dans la continuité de l’appel lancé par le ministre des affaires étrangères Hakan Fidan l’an
dernier devant l’assemblée, la Turquie a tout récemment démantelé un réseau d’espionnage
chinois destiné à espionner les réfugiés Ouighours et arrêté les membres de cette cellule, ce
qui a eu pour effet de refroidir les relations avec Pékin… Risque économique,commercial ?
Peut-être un effet d’aubaine pour un leadership diplomatique en faveur de la nation
ottomane. « Défendre notre cas pourrait un jour servir de consensus à beaucoup de
gouvernements, même très différents » avait professé Erkin Ablimit, actuel président de l’U.I.O
(Union Internationale des Ouïghours) lorsqu’il remplissait la fonction de Président du
Gouvernement en Exil du Turkestan Oriental.

L’ethnocide est en train de se poursuivre en Ouïghourie, comme l’a rappelé récemment
Zumretai Arkin (Vice-Présidente du Congrès Mondial Ouïghour, à son antenne de Munich) en
formulant l’expression « état d’apartheid » .Le dernier roman « The Backstreets » , écrit par
Perhat Tursun, dénonce sous forme de fable composée à partir d’un univers imaginaire
fléché par les chiffres la discrimination à l’embauche et la dépersonnalisation accélérée de
celles et ceux qui forment le peuple autochtone.

Israël, Palestine, Iran… Ces espaces linguistiques divergent du monde turcisant , lequel
agirait progressivement comme garde-fou, en quelque sorte. Un monde à part, peuplé et étalé
sur une bande partant de la Mongolie jusqu’à l’Europe. Un monde dont peu maîtrisent les
codes et qui pourrait profiter de l’accalmie relative, consécutive à la fin de la Guerre des
Douze Jours, pour se mettre en valeur.
Comment ? Simplement en proposant une nouvelle problématique à partir du dossier
ouïghour. Un moyen de s’illustrer positivement en évitant le sujet du conflit israélo-arabe, tout
en se rapprochant des États-Unis dirigés à nouveau par Donald Trump, l’homme qui avait
signer un projet de loi pour sanctionner la Chine pour ses exactions contre les Ouïghours en
2020.

Gianguglielmo /Jean-Guillaume LOZATO, professeur d’italien à L’ENSG et à International Paris School of Business,chargé de cours à l’Université Paris-Est. Auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société.