100e anniverssaire de la république de Turquie

Par Laurent Geslin

Être supporter de football est une affaire sérieuse à Istanbul, presque un métier à plein temps. Trois équipes se partagent la ville et mettent depuis des décennies le football turc en coupe réglée : Fenerbahçe, Galatasaray et Beşiktaş et chaque famille soutient les mêmes couleurs de génération en génération. Soutenir l’une de ces formations, c’est aussi accepter d’endosser des marqueurs identitaires culturels et historiques bien précis.


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Football : les trois couleurs d’Istanbul

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 263
Football : les trois couleurs d'Istanbul

En ce dimanche après-midi ensoleillé à Fenerbahçe, sur la rive asiatique d’Istanbul, l’heure est à la fête dans les cafés du quartier, les voisins de Beşiktaş viennent jouer au stade Sukru Saracoglu et il s’agit de les recevoir comme il se doit. Les milliers de personnes qui n’ont pu dénicher de places se pressent dans tous les établissements qui disposent d’un poste de télévision et entonnent les chants des supporters du club en arborant drapeaux et écharpes aux couleurs de leur club. Malgré ses 55.000 places, le superbe arêne de Fenerbahçe n’est pas en mesure d’accueillir tout le monde, en ce jour de derby au sommet. A l’intérieur, l’ambiance est électrique, les chants répondent aux sifflets et de superbes tifos sont déployés dans les tribunes. Les supporters de Beşiktaş sont eux aussi survoltés et, malgré leur infériorité numérique, répondent avec force aux provocations des partisans de Fenerbahçe. Partout en Europe, l’ambiance des stades turcs est redoutée et se déplacer en Turquie n’est jamais chose facile, même pour les meilleures équipes du continent.

Des trois club d’Istanbul, le plus ancien est Galatasaray. Il fut fondé en 1905 par des élèves du lycée français de Galata Sarayı Sultanısı, le Lycée impérial ottoman. Son premier président, Ali Sami Yen, était alors en classe de 5ème. Il raconte dans ses mémoires que ce poste lui est revenu car il avait la charge de garder le ballon et de le réparer quand ce dernier était abîmé. Une équipe s’est rapidement constituée avec les élèves du lycée, intégrant de nombreux joueurs d’origine bulgare, grecque ou monténégrine. Ali Sami Yen lui-même appartenait à la grande famille albanaise des Frashëri. Son père et ses oncles furent à l’origine de la naissance de l’État albanais moderne.

Alors que les musulmans de l’Empire ottoman jouaient encore très peu au football, laissant ce sport aux Grecs ou aux Arméniens, le club avait pour ambition « d’affronter et de battre les équipes chrétiennes », un objectif qui fut symboliquement atteint en 2000, lorsque le club remporta la Coupe de l’UEFA, le premier trophée européen ramené à Istanbul par un club turc. A l’origine confidentielle et aristocratique, la popularité de Galatasaray s’étendit largement en Turquie durant les années 1960, sous l’impulsion de joueurs charismatiques comme Metin Oktay, sacré à 9 reprises meilleur buteur du championnat turc entre 1957 et 1969. Aujourd’hui, le club revendique le plus grand nombre de supporters en Turquie, 33 millions contre 30 millions pour son grand rival Fenerbahçe.

De l’autre côté du Bosphore, sur la rive asiatique d’Istanbul, s’étendent les terres du club de Fenerbahçe. L’équipe a été fondée dès 1907 dans la clandestinité, pour ne pas s’attirer les foudres du sultan Abdülhamid II qui voyait d’un mauvais œil la jeunesse turque se passionner pour un jeu occidental importé par les expatriés anglais. Pourtant, dès 1908, devant le succès grandissant du football, le sultan autorise la construction d’un petit stade sur un terrain vague de Kadιkoy. « Le club de Fenerbahçe est à l’image de la Turquie », note Fιrat Isbecer, un journaliste sportif d’Istanbul, « il recrute ses supporters parmi toutes les couches de la population et à travers tout la pays, il est partout et nul part ». Durant des décennies, Fenerbahçe fut aussi le club de l’armée et il dispose aujourd’hui du budget le plus important du championnat turc, ce qui ne manque pas de lui attirer certaines animosités des supporters adverses, qui considèrent l’équipe comme « hautaine » et « bourgeoise ». Très populaires en Turquie, les joueurs des « Sari Kanaryalar », les « canaris jaunes », ne possèdent pas en Europe le prestige et la renommé de leurs rivaux de Galatasaray.

Le troisième grand club stambouliote est l’équipe de Beşiktaş, qui porte le nom d’un des quartiers de la rive européenne de la ville. Crée en 1910 par des muhacir, des réfugiés des Balkans, l’équipe adopta un maillot noir et blanc après les guerres balkaniques de 1912-1913, en souvenir des musulmans chassés des territoires que l’Empire venait de céder aux royaumes chrétiens en expansion. Durant les premières années de son existence, Beşiktaş n’était pas autorisé à jouer le vendredi dans le même championnat que les autres équipes musulmanes d’Istanbul et devait au contraire affronter les équipes chrétiennes le samedi et le dimanche. Depuis la création du championnat professionnel turc, en 1957, Beşiktaş a remporté 13 fois le titre et peut revendiquer 20 à 30% des supporters d’Istanbul. « Ils viennent tous du même quartier et ils sont vraiment fanatiques », s’exclame encore Fιrat Isbecer, « je conseille à ceux qui veulent assister à un match de football turc de se rendre au Stade BJK İnönü, l’ambiance y est vraiment extraordinaire ».

La passion pour les clubs sportifs a une longue histoire à Istanbul. Les habitants de Byzance se partageaient déjà entre Bleus et Verts, partisans respectifs de différentes équipes de courses de chars, dont la rivalité entraîna souvent de violentes émeutes. L’histoire des trois clubs actuels d’Istanbul reflète aussi la diversité de l’immense métropole, dont la population est composée de strates qui se sont successivement installées…

Source Le courrier des Balkans


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