vendredi 31 mars 2023
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ETHEM LE TCHERKESSE, UN CHEF DE GUERRE QUI A MAL TOURNÉ

Publié le | par Pakize | Nombre de visite 591
ETHEM LE TCHERKESSE, UN CHEF DE GUERRE QUI A MAL TOURNÉ

Par Özcan Türk

De nombreux personnages ont marqué la guerre d’Indépendance turque aux côtés de Mustafa Kemal Atatürk. Certains se sont illustrés de manière héroïque et d’autres, malgré leur vaillance, ont eu une contribution polémique. Parmi ces derniers, Çerkez Ethem (Ethem le Tcherkesse) est la figure la plus emblématique.

Le rôle d’Ethem le Tcherkesse est un sujet délicat, quasiment tabou, au sein des populations circassiennes car officiellement, Ethem a été inscrit dans la liste des 150 traîtres à la patrie à l’issue de la guerre d’Indépendance turque. En 2014, le Vice-Premier ministre de Turquie, Bülent Arınç (à l’époque très proche de Fethullah Gülen) a relancé la polémique en déclarant à un public turc circassien : « Çerkez Ethem n’est pas un traître ! » [1].

Même si sa famille et d’autres Circassiens font valoir une injustice [2], les historiens sont majoritaires à reconnaître que Ethem a dévié de sa bravoure en passant du côté ennemi. Je l’illustre ci-dessous en citant mes sources.

Ethem est un vaillant soldat turc, circassien d’origine. Les Circassiens (ou Tcherkesses) sont des Caucasiens qui vivent dans le nord-est de la mer noire. Cette population vit toujours sous le joug russe et a été victime d’un véritable nettoyage ethnique et de tragiques déportations de la part des Russes. Lire à ce propos Delphine Darmency et Constance Desloire, « Le premier génocide contemporain a-t-il eu lieu à Sotchi, avec le massacre des Circassiens le 21 mai 1864 ? ».

La date du 21 mai 1864 marque l’anniversaire de cette effroyable tragédie de leur expulsion massive du Caucase par les Russes. Près d’un million et demi d’entre eux se sont réfugiés chez les Turcs. Parmi eux, la famille de Ethem. Ethem né à Bandırma (Turquie) en 1886.

J’ouvre une petite parenthèse pour dire qu’une bonne partie des femmes choisies pour le harem des sultans ottomans étaient des Circassiennes réputées pour leur teint blanc et leur grande beauté. D’ailleurs, un proverbe turc affirme « La beauté est circassienne ».
Il faut aussi souligner que les Circassiens sont connus pour leur grande loyauté envers le pays où ils vivent. Ainsi, un Circassien d’Israël et un Circassien de Syrie parleront de tout sauf des divergences politiques de leur pays respectif, pour éviter de se blesser.

Ethem, en digne Circassien, servira sa patrie, la Turquie.
Très jeune, Ethem fuit le domicile familial pour une éducation militaire. Il participe à la guerre des Balkans où il est blessé face aux Bulgares. Lors de la 1ère Guerre mondiale, il œuvre pour les services de renseignement turcs de Eşref Kuşçubaşı en Iran, en Afghanistan et en Irak.

Quand l’armée grecque débarque à Izmir et commence son invasion, Ethem riposte en créant et devenant le chef d’une force mobile, « la meilleure bande de francs-tireurs du moment » estime Paul Dumont. Ethem se rallie très vite à la résistance turque auprès de Mustafa Kemal. Ethem, chef de bande autoritaire et redouté, est un acteur majeur pour mater sévèrement les différents soulèvements contre la résistance nationale comme l’insurrection Çapanoğlu à Yozgat, ou à Bolu et Düzce ; ainsi que des rebellions réactionnaires religieuses de bandes armées menées par Ahmet Anzavur ou Musa Çopur à Afyon.

Selon l’historien Alexandre Jevakhoff, Ethem le Tcherkesse joue également un rôle important face à "l’Armée du Calife" dépêchée par le sultan Vahdettin et son grand-vizir Damat Ferid contre la résistance turque menée par Mustafa Kemal. Ethem, homme à poigne, réussit avec d’autres à briser l’avancée de cette milice ottomane mue par la fetva du cheik-ul-islam de Mehmet VI.

En 1920, aux côtés du commandant des forces nationales, Ali Fuat Pasha, Ethem vainc les Grecs lors de la bataille de Gediz. C’est la première fois depuis leur invasion d’Izmir que les Grecs sont obligés de reculer.

L'Ethem circassien était-il un traître ?
L’Ethem circassien était-il un traître ?

« Mais ses succès lui avaient tourné la tête » écrit Paul Dumont dans « Mustafa Kemal invente la Turquie moderne ».
Ainsi, Ethem qui est le chef des forces mobiles s’oppose vigoureusement à la création d’une armée régulière souhaitée par Mustafa Kemal et Ismet Pasha car indispensable dans l’organisation du pays.
Et son frère Reşit Bey, député de Manisa à la Grande Assemblée nationale, cherche « à corrompre des officiers de l’armée régulière. » écrit Paul Dumont en page 97.

« On fait la guerre avec des armées régulières et il n’y a pas d’autres solutions pour l’avenir. Nous devons donc avoir une armée régulière » oriente Ismet Pasha cité par l’historien Alexandre Jevakhoff dans « Kemal Atatürk : Père fondateur de la Turquie ».
« Discours incompréhensible pour le Tcherkesse : un seigneur de la guerre ne fait pas de différence entre ceux qui se battent et ceux qui gouvernent. Il a fait ses preuves sur les champs de bataille, il a conquis le pouvoir, il ne le cédera pas ». écrit Alexandre Jevakhoff et ajoute « Mustafa Kemal essaie d’éviter l’épreuve de force et quand il nomme Ali Fuat ambassadeur à Moscou, il propose à Ethem de devenir son attaché militaire. Refus du Tcherkesse ; le choc frontal devient inévitable. ». Ethem et ses deux frère députés ne répondent plus aux ordres ni du gouvernement, ni de l’Assemblée.

L’historien Jevakhoff conclut :
« Le sixième jour de l’année 1921, alors que les Grecs entament une nouvelle offensive, Ethem a choisi la trahison : il a signé un cessez-le-feu avec les Héllènes avant d’attaquer les troupes nationalistes et finalement rejoindre le camp grec avec quelque 300 compagnons. Ainsi, s’achève misérablement, l’épopée d’Ethem. Le Circassien reste en Anatolie jusqu’en 1922, laissant aux Grecs le droit d’utiliser sa gloire passée. Ethem figure sur la liste des 150 Turcs bannis par la jeune République en 1923. »

L’historien Andrew Mango précise et confirme :
« Une tentative des Grecs d’enrôler les Circassiens contre les Turcs échoua. Un congrès circassien à Izmir, occupé par les Grecs, n’eut pas beaucoup d’effet. Il déclara que les Circassiens étaient des Aryens, et que, comme tels, membres de la race blanche qui avait créé la civilisation moderne. Ils étaient reconnaissants envers les autorités de l’occupation grecque en Anatolie pour leur protection. Après la guerre, le gouvernement d’Ankara expulsa dix-sept Circassiens qui avaient participé au congrès, en plus d’Ethem et de huit de ses partisans. C’était un tout petit nombre comparé à la masse de ceux qui se rangèrent du côté des nationalistes turcs et fournirent un grand nombre d’officiers. »… « Ethem passa avec ses partisans du côté des Grecs. » - Andrew Mango – Atatürk, Broché. Pages 308-309 et 499.

L’historien turc İlber Ortaylı se montre plus clément envers Ethem : « Il n’était pas un traître à la patrie. Ethem était un homme de courage et de convictions. Il a été influencé par ses deux frères Reşit et Tevfik aux ambitions politiques débordantes. Eux étaient officiers tandis que Ethem n’était que sous-officier. Influencé par ses deux frères députés et aussi en raison de son ego d’une personne peu éduquée, contrairement à ses frères, il est entré en conflit avec Ismet Pasha. Il est passé du mauvais côté. » [3]
A l’inverse, le journaliste turc Orhan Bursalı estime, en faisant valoir des documents de l’époque, que la trahison d’Ethem le Tcherkesse ne fait aucun doute car Ethem est passé du côté de l’ennemi grec et a pris les armes contre le mouvement national turc. [4]

Le poète Nazim Hikmet écrira aussi :
“ve 29 Aralık Kütahya
4 top
ve 1800 atlı bir ihanet
yani Çerkez Ethem
bir gece vakti
düşmana geçti
Ateşi ve ihaneti gördük”

Je souhaite conclure en disant que le choix d’un homme n’engage que lui-même et certainement pas, ni sa famille, ni son clan et encore moins la population dont il est originaire.

Les Turcs circassiens n’ont aucune raison de se sentir liés aux décisions d’Ethem. D’ailleurs, l’historien Andew Mango écrit très justement : « C’était un tout petit nombre de Circassiens comparé à la masse de ceux qui se rangèrent du côté des nationalistes turcs et fournirent un grand nombre d’officiers. ». La vaillance des Circassiens et leur loyauté à leur pays, la Turquie ne souffre d’aucun doute.

J’ai tenté de brosser le portrait d’Ethem le Tcherkesse, sans préjugés, en me basant uniquement sur les écrits des historiens français, anglais et turcs.

Source : Page Facebook de Özcan Türk




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