D’origine turque, né en Suède d’où vient sa mère, Ilhan Ersahin balade son saxophone d’Istanbul à New York au bras de son épouse brésilienne. Icône parfaite pour Banlieues bleues, cinq semaines d’inventions et de découvertes en Seine-Saint-Denis.

A New York, dans les endroits chauds de l’East Village, Ilhan Ersahin suscite toutes les formules, toutes les rencontres, toutes les fusions. Ersahin a son club, son label (Nublu), et les déclarations du programme de Banlieues bleues, festival fou et festif, doivent, pour le qualifier, casser le coffre à qualificatifs : fusion, impro, groove électro, hip-hop, funk, drum’n’bass, musiques du monde.

Avec Truffaz, Ilhan Ersahin et son quartette doté d’un fantastique percussionniste, Izzet Kizil, vient de publier un album, Istanbul Sessions (paru le 8 mars). C’est une musique qui ne s’en fait pas. Une musique sophistiquée au point qu’elle donne à penser qu’elle ne s’en fait pas. Un voyage, un déplacement dans l’espace-temps, et parfois, sur scène, des sets endiablés qui durent deux heures. Aigris du vrai jazz, autant passer votre chemin. Pudibonds, itou. Trop de jouissance en vue.

Comment se sont-ils rencontrés ? "Je l’ai entendu sur album dans un club d’Istanbul, dit Erik Truffaz, le Dulcinea, où je jouais. C’était avec Larry Grenadier à la contrebasse. Ce son, cette énergie, m’ont convaincu de partir à sa recherche, à New York. On s’est vus, on a cherché la forme ensemble. Ce projet m’a beaucoup plu." Le point fort, évidemment, c’est la rythmique turque, "une dynamique bien énergique, dans la durée". Leurs prestations tiennent de l’expérience, de la transe, de l’éros syncopé. "Quand je l’ai connu, Ersahin était assez free, trop même. Mais là, c’est libre, avec intelligence." Trop free ? "Tant que la musique est belle, elle n’est jamais trop free, mais chaque artiste doit, à mon sens, rester conscient de la magie de son langage. En tant qu’artistes, il arrive qu’on soit un peu égocentriques. On ne se rend pas bien compte des limites, on oublie le temps."

Le disque Istanbul Sessions célèbre judicieusement l’année de la Turquie. Plongée dans le modal, le nappé, l’incantatoire, sur des modes assez singuliers, rehaussés de gammes qui s’apparentent à la musique turque et à celle des Balkans : "Moi, poursuit Erik Truffaz, j’apprends, et pour la musique des Balkans, j’ai fréquenté pas mal de Gitans à Istanbul. Les musiciens qui m’ont le plus impressionné dans la vie ? Les Gitans et Mike Brecker (sax ténor historique, mort en 2007). Quand j’ai joué avec Christophe, lui aussi invitait plein de Gitans. Bien entendu, j’aime le flamenco, je vais tous les ans à Grenade pour les écouter." Ouvrez grand les oreilles. Le jazz a changé de forme. C’est d’ailleurs, depuis 1899, sa définition.


Ilhan Ersahin Istanbul Sessions invite Erik Truffaz et Vincent Segal.

Espace Fraternité, 10-12, rue de la Gare, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Samedi 13 mars, à 20 h 30. Mo Aubervilliers-Pantin-Quatre-Chemins. De 10 € à 16 €.

Ilhan Ersahin’s Istanbul Sessions with Erik Truffaz, 1 CD Nublu Records/Discograph. Prochain concert : Château Palmer, Cenon (Gironde), le 20 mars, à 21 heures.

de Francis Marmande pour Le Monde