100e anniverssaire de la république de Turquie

Les fidèles du poète soufi Rumi viennent de célébrer le 750ᵉ anniversaire de sa mort. Un rituel officié par les derviches tourneurs, inchangé depuis plusieurs millénaires et pour lequel les accessoires comme le sikke sont essentiels.

Source : sudouest.fr


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En Turquie, les derviches tourneurs ont dansé pour le 750ᵉ anniversaire de la mort de Rumi, le maître du soufisme

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 280
En Turquie, les derviches tourneurs ont dansé pour le 750ᵉ anniversaire de la mort de Rumi, le maître du soufisme

Lors de là sema, leur danse sacrée, les derviches tourneurs soufis lâchent leur long manteau noir pour se délester de leur enveloppe corporelle avant d’entamer leur ronde, vêtus de leur ample jupe blanche, coiffés du sikke, cet emblématique haut chapeau en laine feutrée (26 à 27 centimètres) qui symbolise leur pierre tombale. L’épiphanie célébrée ici est la rencontre avec Dieu.

Dans le centre de la Turquie, à Konya, la ville du poète soufi Rumi, subsiste un des derniers ateliers de fabrication du sikke. Un accessoire réservé aux vrais derviches, et que Yunus Girgiç, le patron de la boutique, ne vendrait pour rien au monde aux touristes. Un principe absolu : « Je pose quelques questions et je vois tout de suite à qui j’ai affaire. » Le secret de fabrication de ces coiffes, confectionnées sur commande, se transmet de génération en génération. Yunus Girgiç produit 80 % des sikkes circulant dans le monde, soit 30 à 80 chaque année. Chacune pièce vaut 2 000 livres turques (moins de 65 euros). Un sikke de belle qualité doit durer quarante-cinq ans sans usure. Mais les semazen, les danseurs, qui font beaucoup de représentations, doivent les changer plus souvent à cause de la sueur.

350 grammes de feutre

Le feutre est produit à partir d’un kilo de laine de chèvre ou de mouton, « des animaux sacrés », patiemment étirée, trempée à plusieurs reprises dans l’eau savonneuse puis roulée à plat pendant une journée. Cette technique plurimillénaire permet de resserrer les fibres et de les renforcer, explique l’artisan.

Ashmi Benmehidi, un musicien français, essaie son premier sikke. dans l'atelier de Yunus Girgic.
Ashmi Benmehidi, un musicien français, essaie son premier sikke. dans l’atelier de Yunus Girgic.
OZAN KOSE/AFP

Puis le carré de laine – réduit à 350 grammes – est moulé sur les formes en bois dont le diamètre est adapté au tour de tête du client et mis à sécher un à deux jours. « Plus il fait chaud plus c’est simple à travailler », indique Yunus Girgiç. Le choix de ce matériau, lourd et chaud sur la tête des danseurs, et qui gratte la peau du front, est un « rappel des inconforts de la vie sur terre ».

Avec la célébration du 750e anniversaire de la mort de Rumi, et les nombreuses cérémonies qui l’accompagnent, les semazen affluent à l’échoppe. Voici Ashmi Benmehidi : il vient chercher son premier sikke. Un grand jour pour ce musicien français qui a quitté un emploi dans les assurances à Montpellier (Hérault) pour pratiquer l’art du ney, la flûte de roseau qui accompagne les sema. « Je viens d’être invité à jouer dans une formation consacrée », confie-t-il, les yeux brillants. Il murmure : « Je suis très ému. » Le port du sikke signe sa consécration.

Yunus Girgic fabrique 80 % de la production mondiale de sikkes.
Yunus Girgic fabrique 80 % de la production mondiale de sikkes.
OZAN KOSE/AFP

« Pour la première fois, j’ai tout assumé, du choix de la laine à son traitement et à la mise en forme. Mon père m’a félicité : je crois que je suis prêt » : à 33 ans, Yunus Girgiç pense avoir atteint le degré de maîtrise de son père et espère secrètement en recevoir bientôt le « brevet », sorte d’adoubement familial.

Des foules pour Rumi

Jaune, puis mauve, vert et enfin bleu pour le final. Dans l’immense arène du centre culturel Mevlana flambant neuf de Konya, les voiles blanches des derviches tournoient en technicolor.

Des derviches tourneurs exécutent le rituel sema dans le cadre de la célébration du 750ᵉ anniversaire de la mort de Mevlana Jalaluddin Rumi, le père du soufisme.
Des derviches tourneurs exécutent le rituel sema dans le cadre de la célébration du 750ᵉ anniversaire de la mort de Mevlana Jalaluddin Rumi, le père du soufisme.
OZAN KOSE/AFP

Chaque année, les cérémonies du Seb-i Arus – littéralement la Nuit de noces – qui célèbrent la mort du poète Jalaluddin Rumi, le 17 décembre 1273, attirent des foules considérables, pèlerins, touristes, adeptes de la méditation ou simplement curieux. Chassé de son Afghanistan natal par les invasions mongoles, Rumi a passé l’essentiel de sa vie dans la ville anatolienne de Konya. Ses écrits, toujours enseignés dans les écoles afghanes et iraniennes, ont peu à peu été diffusés bien au-delà de l’Asie centrale et de l’Orient et ont conquis les lecteurs occidentaux.

Des derviches tourneurs exécutent le rituel sema dans le cadre de la célébration du 750ᵉ anniversaire de la mort de Mevlana Jalaluddin Rumi, le père du soufisme.
Des derviches tourneurs exécutent le rituel sema dans le cadre de la célébration du 750ᵉ anniversaire de la mort de Mevlana Jalaluddin Rumi, le père du soufisme.
OZAN KOSE/AFP

« Les textes de Rumi ont été traduits dans à peu près toutes les langues et rien qu’aux États-Unis, plus de 250 livres lui sont consacrés », relève le Dr Nuri Simsekler, spécialiste de littérature persane à l’université Selçuk de Konya.

Madonna et Beyoncé

« Rumi parle à tous les êtres humains », avance-t-il, jusqu’à Madonna qui a adapté un de ses poèmes et Beyoncé qui a donné son nom à sa fille. « Rumi est la première personne sur terre dont la mort n’est pas pleurée, mais célébrée », fait valoir le Dr Simsekler.

Esin Celebi Bayru, descendante de la 22ᵉ génération du maître du soufisme Rumi.
Esin Celebi Bayru, descendante de la 22ᵉ génération du maître du soufisme Rumi.
OZAN KOSE/AFP

Les cérémonies de derviches le célèbrent en tournoyant, au bord de la transe, bras levés vers les cieux. Le rituel a été fixé par les descendants de Rumi, et définitivement réglé autour de 1500. Au son de la flûte en roseau et du tambourin, le derviche se défait de son long manteau noir, mais garde son sikke, et entame ses rotations elliptiques, la main droite tendue vers le ciel, la gauche vers le sol, comme un lien entre les deux.

Le rituel a été fixé par les descendants de Rumi, et définitivement réglé autour de 1500

De la fenêtre de son bureau, Esin Celebi Bayru, vice-présidente de la Fondation internationale Mevlana, descendante du maître, aperçoit le dôme turquoise qui coiffe le mausolée de son illustre ancêtre. La foule accourue de Turquie, d’Iran mais aussi d’Angleterre ou de Singapour s’y presse pour cette célébration.

Au centre culturel Mevlana à Konya, le 16 décembre. Chaque année, le Seb-i Arus célèbrent les noces de Rumi et Dieu, qui s'est faite par la mort.
Au centre culturel Mevlana à Konya, le 16 décembre. Chaque année, le Seb-i Arus célèbrent les noces de Rumi et Dieu, qui s’est faite par la mort.
OZAN KOSE/AFP

« En ces temps de conflits, nombreux sont ceux qui se tournent vers Rumi. Chacun de ses mots nous apporte un peu de lumière », pense-t-elle. Esin Celebi Bayru a voyagé récemment à Hawaï, en Australie, en Inde, au Pakistan… pour parler du poète. « Les gens viennent aussi de Russie et de Chine. »

« On ne médite pas, on prie »

Un paradoxe. Le plus célèbre des maîtres du soufisme, qui prêche l’amour et la tolérance, est vénéré dans l’une des villes sunnites les plus conservatrices de Turquie. Devant son immense tombeau vert et or, au cœur du mausolée, les adeptes de Rumi, assis au sol, les yeux clos, tournent vers le ciel, pouce et index reliés. Ici, on ne médite pas. On prie.

Chaque sikke est unique, façonné selon les mesures du client. Mais la hauteur, 26 à 27 centimètres, reste la même.
Chaque sikke est unique, façonné selon les mesures du client. Mais la hauteur, 26 à 27 centimètres, reste la même.
OZAN KOSE/AFP

Sous sa coiffe bordée de vingt mètres de rubans verts tressés, le cheikh Mehmet Fatih Citlik préside à des semas plus spirituelles dans l’enceinte du Centre d’études et de recherches Irfan à Konya, où les prières entrecoupent chants et danses. « Qu’est-ce que vous croyez ! On ne fait pas que virevolter toute la journée », s’amuse-t-il. Le cheikh revient d’Oxford où il avait été invité par le département d’histoire de l’art. « Mevlana, tout le monde l’interprète à sa façon. Mais s’il était si bien compris que ça, le monde serait-il dans cet état aujourd’hui ? »


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