Cinq soldats grecs qui se rendent à leurs homologues turcs : image symbole de l’intervention turque à Chypre en 1974. Personne ne savait ce que ces militaires grecs étaient devenus. Leurs restes ont été identifiés et cette découverte relance la polémique sur les éventuels crimes de guerre de l’époque.
Le 14 août 1974, cinq fantassins grecs se sont rendus à leurs homologues turcs. Un photojournaliste turc a saisi l’instant.
Un jeune soldat grec à genoux, les mains derrière la tête, une cigarette à la bouche ; un militaire turc se penche vers lui et allume celle-ci. Un photojournaliste turc a saisi l’instant, en ce 14 août 1974, où cinq fantassins grecs viennent de se rendre à leurs homologues turcs. Cette photo deviendra très vite le symbole de l’intervention armée turque à Chypre et de la violence de l’époque. Preuve de cette violence, le sort des cinq soldats hellènes est demeuré un mystère. Or, le voile vient d’être levé sur cette énigme avec l’identification formelle des restes de ces hommes.
En 2006, les enquêteurs de la commission des Personnes disparues avaient trouvé dans un puits au nord de l’île [la partie turque de Chypre] des os de 14 individus différents. L’ADN contenu dans ces os a été comparé avec celui de centaines de membres de la famille de chacun des quelque 2 000 disparus toujours officiellement recensés. Pour cinq des cadavres retrouvés dans le puits, cet ADN correspondait à celui de parents des cinq soldats de la fameuse photo. Les familles des militaires ont été informées le 7 août 2009, et le ministère des Affaires étrangères grec chypriote l’a officiellement annoncé le 11 août 2009.
L’affaire est vite devenue le fait du jour à Chypre mais aussi en Grèce. "Nous n’acceptons pas cette exécution ! Nous demandons que les coupables soient punis", s’est insurgé Andreas Hadjikyriakos, le frère de l’un des soldats morts, sur les chaînes de télévision grecques. Le ministère des Affaires étrangères grec a déclaré que "cette affaire est une preuve que la Turquie a commis des crimes de guerre lors de son intervention".
Depuis 2004, les restes de 535 personnes disparues ont été retrouvés dans toutes l’île. Parmi elles, 164 ont été identifiées et rendues à leurs proches ; 120 cadavres étaient des Chypriotes grecs et 44 des Chypriotes turcs. Les crimes de guerre commis par les deux partis suscitent actuellement des débats à Chypre, avec l’anniversaire des 35 ans de l’intervention turque, qui a commencé le 20 juillet 1974. Politis, un journal chypriote grec respecté, publie ainsi une série d’articles sur les exactions de l’époque, et en particulier sur celles qui ont visé des Turcs.
Un de ces articles parus récemment est titré "Le plus grave crime de guerre contre les Turcs : 106 femmes et enfants tués" . Le papier s’appuie sur le témoignage de deux miliciens des EOKA B [des milices extrémistes chypriotes grecs], qui racontent les événements qui se sont déroulés dans trois villages proches de Gazimagosa [plus connus en France sous le nom de Famagouste] : "Le 14 août 1974, nous nous sommes rendus dans ces villages turcs. Quelques-uns d’entre nous ont violé les femmes et dévalisé les maisons. Après tout ça, nos camarades ont tué de sang-froid 106 Turcs, dont des femmes et des enfants."
[Les tensions intercommunautaires et le désordre régnaient à Chypre après l’indépendance octroyée au Royaume-Uni en 1960. Le renversement du président de la République, l’archevêque Makarios, et son remplacement par un partisan du rattachement à la Grèce ont incité la Turquie à intervenir militairement le 20 juillet 1974 et à occuper le nord de l’île, où résident la majorité de la communauté chypriote turque. Depuis, l’île est coupée en deux, la partie turque n’ayant pas de reconnaissance internationale.]