Résolutions anti-azerbaïdjanaises à l’Assemblée Nationale et au Sénat, voyages d’élus à Erevan, couvertures de presse résolument pro-arméniennes, les relations entre Bakou et Paris semblent ne jamais avoir été aussi tendues. Mais est-ce bien réellement le cas ? Les liens sont-ils vraiment rompus ?
Si loin, si proches…
Un tournant dans les relations France-Azerbaïdjan
Il n’est pas inutile de rappeler que la France a été l’un des premiers pays européens à avoir reconnu l’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991. Elle est aussi le premier pays européen à avoir ouvert une ambassade à Bakou.
Depuis, et jusqu’à aujourd’hui encore, les deux pays ont coopéré dans des domaines très variés, comme la coopération économique, les échanges culturels, l’éducation, l’humanitaire.
Des journées, des expositions, des soirées consacrées à la culture azerbaïdjanaise, des concerts s’ont été organisés dans différentes villes de France.
Les deux pays ont plus de dix villes jumelées. En ce qui concerne l’éducation, cette coopération s’est concrétisée d’une part par la construction du Lycée français de Bakou, et d’autre part, sous le mandat de François Hollande, par la création, en un an seulement, de l’UFAZ, l’Université franco-azerbaïdjanaise de Bakou, qui est aujourd’hui une référence dans l’enseignement scientifique.
Sur le plan politique, la France et l’Azerbaïdjan semblent avoir également été longtemps au même diapason. La France a voté les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU de 1993, qui reconnaissaient que le Karabakh, alors même qu’il était occupé par les forces armées arméniennes, faisait partie intégrante du territoire de l’Azerbaïdjan. Le président Hollande a effectué deux visites officielles en Azerbaïdjan, et le président Sarkozy une visite au cours de laquelle il s’était réjoui du haut niveau des relations diplomatiques bilatérales.
Au Ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais, on ne cesse de rappeler que les relations avec la France, comme avec les autres pays, sont basées sur les principes du droit international, et plus particulièrement celui du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États.
Un changement dans la politique française ?
Pourtant, force est de constater qu’il existe aujourd’hui de fortes tensions dans les relations entre les deux pays. C’est après la guerre de 2020, où l’armée azerbaïdjanaise a finalement, après 26 ans de tentatives de négociations infructueuses, décidé de libérer ses territoires de l’occupation arménienne, que la France semble avoir brusquement abandonné la position neutre qui était la sienne jusque-là, notamment en tant que coprésidente du groupe de Minsk. « Jamais, nous n’abandonnerons les Arméniens » avait déclaré Emmanuel Macron à Nikol Pachinian en décembre 2021. Il avait toutefois ajouté : « Toujours, nous chercherons les solutions à une paix durable. J’appelle à ce que la période des fêtes soit celle des avancées humanitaires, celle de l’apaisement ».
C’est là probablement qu’il faut déceler la véritable position du Président Français à propos de la situation dans le Caucase du sud.
Certes, le lobby arménien, fort de ses plus de 800 000 membres de la diaspora en France, pèse d’un poids considérable sur les élus. Bien sûr que celui-ci a largement infiltré les médias français qui s’abstiennent systématiquement de donner la parole aux Arméniens. Naturellement, Valérie Pécresse et Eric Zemmour se sont pavanés à Erevan, des résolutions hostiles à l’Azerbaïdjan ont été votées aux deux assemblées.
Mais il faut se souvenir que la politique étrangère est du domaine exclusif de la Présidence, et que le Parlement, en dépit des déclarations des uns ou des autres, n’a aucune influence en la matière. D’ailleurs, comme le soulignait, au moment du vote du sénat français, le président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev : « J’ai eu un long entretien avec le président Macron, en décembre à Bruxelles, nous avons ensuite eu plusieurs conversations téléphoniques, et nous nous sommes accordés sur la nécessité de tourner la page et d’oublier cet épisode. »
Car au-delà des prises de paroles tonitruantes, majoritairement destinées à ne pas indisposer l’électorat arménien, le gouvernement français est tout à fait conscient des réalités.
Depuis la fin de la guerre de 2020, c’est une nouvelle réalité qui s’est imposée dans la région, une situation post-conflit dont il faut à présent tenir compte : Les régions jadis occupées sont libérées et l’Azerbaïdjan a déjà entamé reconstruction de ces territoires qui ont été détruits pendant l’occupation. Une reconstruction destinée, notamment, à permettre aux centaines de milliers de personnes déplacées de revenir chez eux.
D’ailleurs, la France a fait partie des pays qui ont apporté leur aide dans le nettoyage des terrains minés par l’armée arménienne. Ainsi que l’a rappelé Emmanuel Macron, l’unique position de la France est celle de la recherche d’une paix durable dans la région. Elle est aussi celle de l’Azerbaïdjan qui poursuit son agenda de la paix, qui considère que le cycle des hostilités est achevé et qu’est venu le temps de la réconciliation et de la normalisation des relations avec l’Arménie.
Quelles perspectives pour les relations franco-azerbaïdjanaises ?
En fait, au-delà diverses gesticulations, tout semble rapprocher les deux pays, et pas seulement la coopération dans le domaine énergétique. Deux pays de culture, de création artistique, deux nations qui, à travers Rousseau au XVIIIᵉ siècle ou Nizami Ganjavi au XIIᵉ, on fait naître les idées d’Égalité, de Liberté, et de Fraternité. Deux pays pionniers des droits de la femme. Deux pays multiculturels.
Deux pays enfin qui sont côte à côte dans les conflits qui secouent en ce moment la planète.
Certes, depuis que l’Azerbaïdjan a retrouvé, du moins en grande partie, son intégrité territoriale, une nouvelle situation est apparue. Après les armes, c’est à la diplomatie de prendre le relais.
La précédente mission diplomatique dû gérer la période de la guerre et de l’immédiat après-guerre. Son rôle a été de faire d’abord respecter le droit international relatif à l’intégrité territoriale de son pays.
Elle a particulièrement été amenée à empêcher, parfois par voie de justice, l’institutionnalisation de la reconnaissance du séparatisme arménien, notamment par le biais de jumelages illicites entre des communes françaises et des municipalités indépendantistes du Karabakh.
Elle y a globalement assez bien réussi, malgré les nombreux obstacles qui lui ont été opposés, de même qu’elle a réussi à continuer à faire vivre les échanges culturels franco-azerbaïdjanais.
La semaine dernière, c’est une nouvelle ambassadrice de la République d’Azerbaïdjan auprès de la République française, Mme Leyla Abdullayeva, qui a présenté ses lettres de créance au président Emmanuel Macron. Au cours de la cérémonie, le chef de l’État français a rappelé que la France est un pays ami de l’Azerbaïdjan et que l’établissement de la paix dans la région est de l’intérêt de tous les pays du Caucase, comme il est de celui de la France.
Si la tâche de la précédente mission diplomatique azerbaïdjanaise était de défendre les valeurs de son pays, celle de la nouvelle est de les promouvoir, de les partager, auprès des autorités, mais aussi et surtout auprès du public français, victime, trop souvent, d’une information unilatérale et travestie. Ce sera à la fois une continuité et un tournant dans les relations franco-azerbaïdjanaises.
« L’Azerbaïdjan et la France partagent le même désir de développer davantage leur coopération dans tous les domaines économiques, culturels, humanitaires », appuie Leyla Abdullayeva, « De notre côté, avec l’appui de toutes les bonnes volontés du côté français, nous n’épargnerons aucun effort pour développer les relations entre nos deux pays »