28 mars 2024

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Europe

Les frontières de l’Europe

Publié le | par Sophie C. | Nombre de visite 235
Les frontières de l'Europe

Chronique d’abonnés | par Adnan R., statisticien

Un thème récurrent en 2005 et 2007 mais qui est passé aujourd’hui au second plan était la définition des frontières de l’Europe. Ces déclarations m’ont toujours interpellées car le tracé de ces frontières amène immanquablement des problèmes.

Quelles sont les différentes façons potentielles de définir des frontières ?

Nous pouvons nous limiter dans un premier temps au caractère purement géographique. Nous avons tous appris que l’Europe était limitée au Nord et à l’Ouest par l’Atlantique, au Sud par la Méditerranée, à l’Est par le détroit du Bosphore, les chaînes du Caucase et de l’Oural. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce critère ne résout rien. En effet, deux pays traversent allégrement ces limites et se retrouvent à cheval sur deux continents. Il s’agit de la Turquie et de la Russie. Deux autres pays, actuellement dans l’UE à 27, sont géographiquement africain (Malte) et asiatique (Chypre). La question est donc de savoir le sort à réserver à ces quatre pays. La réponse a déjà été donnée pour les deux derniers, et étonnamment cela n’a provoqué aucun débat sur les fameuses frontières. Pour les deux autres, il semblerait que pour beaucoup la possession de territoires extra-européens leur enlève le droit de revendiquer leur européanité. Il est évident que cela ne tient pas, Chypre et Malte étant à 100% hors de l’Europe. De plus, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Danemark (liste se prétendant exhaustive mais on ne sait jamais) possédant également des territoires non européens. Il faut reconnaître par honnêteté qu’à la différence des deux pays bannis de l’Europe, il n’y a pas continuité géographique entre leur territoire européen et leur territoire non européen.

Le critère géographique ne tenant pas, essayons le critère historique.

En se basant sur ce critère là, la Russie ne pose plus problème, elle est européenne. Reste la Turquie. Certains excluent donc la Turquie car ce pays ne serait que trop fraîchement européen. D’autres ont dit que la Turquie n’avait d’Histoire commune avec l’Europe que de par leurs agressions militaires. C’est vite oublier l’alliance conclue entre François Ier et Soliman le Magnifique pour contrer les ambitions de domination universelle de Charles Quint qui régnait sur un territoire où le Soleil ne se couchait jamais (D’ailleurs, on aurait aussi pu dire que le Soleil ne s’y levait jamais, mais c’est sur le plan de la propagande beaucoup moins efficace). Certes, les Turcs n’ont posé le pied dans l’Europe géographique que fort tard, ils sont bien les derniers Européens, mais ce fut tout de même au XIVè siècle. Après près de sept siècles sur le territoire européen, la logique voudrait que le diplôme d’européanité leur soit décerné. Après tout, les Hongrois (merci à eux de nous avoir envoyé un rejeton qui a empêché les Français d’élire une parfaite incapable) n’ont déboulé en Europe que quelques siècles plus tôt (toute fin du IXè siècle), et ils sont pourtant membres de l’UE. Si ce critère devait être utilisé pour exclure la Turquie, il faudra définir l’européanité comme étant au minimum une présence sur le territoire européen d’au moins dix siècles. Le choix arbitraire de la durée laisserait beaucoup de sceptiques songeurs. Laissons donc plutôt tomber le critère historique.

Passons alors au critère culturel. Si l’africaine Malte, l’asiatique Chypre ou les Européens de fraîche date que sont les Hongrois ont adhéré si facilement à l’UE, sans que ça ne choque personne, et que la perspective de l’adhésion des Turcs pourtant géographiquement en partie européens pose autant de problèmes, ne serait ce pas parce que l’Européen se définit culturellement ? L’Européen se réclame de la civilisation gréco-latine (d’ailleurs plus assez à mon gré, moi qui vois avec colère se développer cette revendication de civilisation judéo-chrétienne, qui ne m’évoque que barbarie et archaïsme, qui nous a amené aux plus grands désastres et qui a justifié les plus grands massacres), or le Chypriote n’est il pas grec ? Donc Chypre dans l’Europe. L’Européen se considère malgré tout foncièrement chrétien, et Malte fut le territoire des Chevaliers de l’Ordre du même nom, territoire profondément chrétien. La Hongrie de même est depuis longtemps convertie à la "vraie foi", ce que se sont refusés à faire ces "infidèles" de Turcs. Le Turc a commis l’irréparable, il a refusé de se convertir, alors que l’Histoire des peuples considérés européens a été une suite ininterrompue jusqu’au début du millénaire précédent de conversions massives de populations entières. Le Turc a dit non, pire il est musulman, il est donc rejeté.

"Fol, me répondra t’on. Que faites vous des Albanais et des Bosniaques (les Kosovars se sont aujourd’hui rajoutés à la liste), pourtant musulmans, et pourtant européens ? Votre argument du refus de l’islamité qui serait la réelle justification à l’exclusion de la Russie ne tient plus" continue t’on un sourire triomphant au coin des lèvres.

Cette observation tendrait à disqualifier la haine religieuse comme fondement de l’exclusion de la Turquie. Il semble qu’il soit difficile toutefois d’y échapper. J’y ajouterai bien d’autres critères comme le racisme envers une population d’apparence proche-orientale. Albanais, Kosovars et Bosniaques seraient physiquement compatibles.

Mais cette explication ne me satisfait pas. Je passe suffisamment de temps à râler sur les hommes politiques ou les média qui pointent sans cesse du doigt une population française raciste, qui passent leur temps à nous culpabiliser et à justifier tous les débordements de nos minorités visibles "opprimées" pour ne pas me contenter d’une explication aussi incomplète. Elle fait partie de la solution, mais elle n’est pas tout puisque les racistes sont de bien loin minoritaires dans notre pays, il faut le dire et le répéter.

En plus d’être musulmans, en plus d’être "différents", les Turcs sont nombreux. Il nous manquait donc le critère démographique. La Turquie dans l’UE, avec les critères actuels de composition du Parlement Européen, ce serait aujourd’hui la deuxième puissance en terme de nombre d’élus européens après l’Allemagne et devant... la France. Ceci d’autant plus que sa population continue de croître et de façon importante comparée à nos démographies moribondes. On comprend que nos dirigeants soient parmi les plus résolus des adversaires de l’intégration turque. Le critère démographique exclue une autre nation, la Russie, ce monstre démographique qui même en déclin phagocyterait un pourcentage bien trop important des sièges du Parlement. Cet argument peut décider fortement les dirigeants, mais la population la prend-elle seulement en compte ? Rien n’est moins sûr, et voilà pourquoi l’opposition française à l’intégration de la Turquie me déroute. Alors quoi ? Serait ce la peur de l’afflux massif de Turcs profitant de l’espace Schengen arrivant jusqu’à eux ? Mais cela ne peut tenir la route non plus, puisqu’une adhésion est la conséquence du respect de nombreux critères économiques, tarissant ainsi les sources de l’immigration. Il n’y a pas eu après tout d’afflux de Roumains ou de Bulgares dans le pays, du moins à ma connaissance.

Nous avons donc fait le tour des critères géographiques, historiques, culturels, "raciaux" pour ne pas dire racistes et démographiques.

J’ai fait volontairement l’impasse sur un argument pourtant régulièrement lu et entendu contre l’intégration de la Turquie, qui est celui de ses frontières communes avec la Syrie, l’Irak et l’Iran. En effet, il se partage entre le géographique et le raciste. La seule valeur ajoutée est la peur de l’entrée dans le territoire européen de terroristes en provenance de pays les soutenant financièrement ou étant en proie à leurs méfaits. Mais cela ne tient encore une fois pas debout. Devrions nous exclure de l’UE de façon automatique tout pays qui se retrouverait limitrophe d’un pays aux prises avec une offensive terroriste majeure ? Cela n’est pas envisageable et on ne peut envisager d’exclure un pays de l’adhésion à l’UE à cause de ses voisins.

Il est temps que les opposants à l’entrée de la Turquie dans l’UE trouvent une raison valable à leurs refus ou qu’ils assument réellement leur décision. Qu’ils arrêtent donc de se camoufler derrière des raisonnements dont un écolier viendrait aisément à bout.

Je veux comprendre mes concitoyens, et sur le sujet, je suis dans le brouillard, je suis inquiet.


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