La Turquie est de retour sous les projecteurs européens. Les déclarations du président américain Barack Obama à Ankara en avril 2009 et celles des candidats aux élections européennes ont ravivé le débat sur l’adhésion turque à l’Union Européenne. Un débat vieux de presque 50 ans déjà, qui divise profondément les européens. Car au-delà de la Turquie, ce sont les questions des frontières de l’Europe et de la nature de projet européen qui sont en jeu.
La Turquie et l’Union européenne, 50 ans de négociations
La Turquie et les critères de Copenhague, un bilan
La Turquie et les critères politiques
Les critères politiques à satisfaire : le pays candidat doit disposer d’institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, le respect des minorités et leur protection.
• Où en est la Turquie aujourd’hui ?
Selon le rapport de suivi 2008 de la Commission Européenne, si la Turquie continue à remplir suffisamment les critères politiques de Copenhague, les progrès sur le plan des réformes sont restés limités en 2008.
On note tout de même que "des avancées législatives ont été réalisées dans le domaine de la liberté d’expression et du renforcement des droits de propriété des communautés religieuses non musulmanes".
Néanmoins, le rapport souligne que la Turquie doit relancer le processus de réforme politique, notamment la réforme de la constitution et du pouvoir judiciaire."L’absence de dialogue et d’esprit de compromis entre les principaux partis politiques a eu des retombées négatives sur le fonctionnement des institutions politiques et sur les réformes politiques. La Turquie a continué à être la cible d’attentats terroristes perpétrés par le PKK, qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’UE" [1].
La Turquie et les critères économiques
Les critères économiques à satisfaire : le pays doit être doté d’une économie de marché viable et doit être capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union.
• Où en est la Turquie aujourd’hui ?
Comme le constate le rapport 2008 de la Commission européenne, "la Turquie constitue une économie de marché viable. Elle devrait être à même de faire face à moyen terme aux pressions concurrentielles et aux forces du marché au sein de l’Union, pour autant qu’elle mette en œuvre son programme global de réformes afin de remédier aux faiblesses structurelles".
Le rapport constate en effet que trop dépendant des financements extérieurs, le pays est vulnérable aux changements d’humeur des investisseurs.
En outre, "les rigidités du marché du travail freinent la création d’emplois, en particulier en ce qui concerne les femmes et les jeunes".
La Turquie et l’acquis communautaire
Le critère de l’acquis communautaire est l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire.
• Où en est la Turquie aujourd’hui ?
La Commission est globalement satisfaite des progrès effectués par la Turquie. "L’alignement de la législation sur l’ordre juridique de l’UE a progressé dans un certain nombre de domaines, en particulier pour ce qui est des chapitres consacrés aux réseaux transeuropéens, à l’énergie ainsi qu’à la science et à la recherche". Cependant, des progrès limités ont été observés dans le domaine du contrôle financier et doivent être poursuivis pour les domaines de l’agriculture, de la pêche, des aides d’État, de la justice et des affaires intérieures ainsi que des politiques sociales et de l’emploi. Le rapport souligne en outre que les capacités administratives générales du pays doivent être améliorées.
Le gel de huit chapitres de négociation
La Turquie refuse toujours d’appliquer à la République chypriote, dont elle ne reconnaît pas l’existence légale, le protocole dit d’Ankara, conclu en 2005 lors de l’ouverture des pourparlers avec l’Union européenne [2].
Ce protocole prévoit l’extension de l’union douanière Turquie-UE aux dix nouveaux Etats membres. La Turquie, exigeant au préalable la fin de l’isolement et de l’embargo qui touche la République turque de Chypre du Nord, interdisait encore récemment aux navires et avions chypriotes grecs l’accès à ses ports et aéroports.
Depuis septembre 2008, la situation s’est améliorée grâce aux négociations engagées par le président chypriote Demetris Christofias et son homologue de la République de Chypre du Nord, M. Talat.
La Commission rappelle tout de même dans son rapport 2008 que "du fait du non-respect par la Turquie des obligations lui incombant en vertu du protocole additionnel à l’accord d’Ankara, l’Union européenne a décidé, en décembre 2006, de geler les négociations sur huit chapitres mais de les poursuivre pour les autres chapitres". Cette suspension concerne la libre circulation des marchandises, le droit d’établissement et de liberté de fournir des services, les services financiers, le développement rural et agricole, la pêche, les transports, l’union douanière et les relations extérieures.
Le débat ; Enjeux de l’adhésion
L’ouverture des négociations avec la Turquie en 2004 correspond à un tournant historique pour le projet européen. En effet, si l’élargissement aux pays de l’ex- union soviétique s’est fait non sans douleur, leur adhésion n’a pas suscité les vives réactions qui entourent la candidature turque.
Pourquoi ? Car les enjeux liés à l’entrée de la Turquie relèvent à la fois de l’ordre historique, démographique, religieux et géopolitique. Le moment où jamais donc, pour l’Union de s’interroger sur son avenir.
Rapide tour d’horizon des points brûlants du débat.
La Turquie n’est pas l’Europe ?
Au-delà des préoccupations purement géographiques (quelles frontières pour le continent européen ?), c’est surtout la nature du projet européen qui est mis en question avec l’éventuelle adhésion turque. La construction européenne, est- ce une histoire commune et une proximité géographique, ou au contraire un projet à vocation universaliste, rapprochant les peuples autour de valeurs et d’institutions ?
Fragilité économique
Taux élevé de corruption, chômage, dette publique, opacité… Certains s’inquiètent du montant des aides économiques, transferts et prêts qu’il faudra accorder à la Turquie. D’autres au contraire soulignent son fort potentiel économique, notamment lié à sa croissance démographique, et estiment que l’Union européenne en sortirait gagnante.
La question religieuse
La Turquie est un état laïc : sa constitution prévoit qu’aucune réforme constitutionnelle ne peut porter atteinte à la laïcité. Pourtant, et même si l’islam ne constitue pas une nouveauté sur le territoire européen, la question religieuse est souvent mise en avant dans les débats. Si la Turquie entrait aujourd’hui en Europe, l’islam deviendrait la troisième religion de l’Union, derrière les catholiques et les protestants.
Poids démographique et impact sur les institutions européennes
Avec 70 millions d’habitants aujourd’hui, quel serait le poids politique de la Turquie dans les institutions européennes ? La question en fait grimacer plus d’un. Avec 96 députés au Parlement européen, la Turquie viendrait rejoindre les "grands pays" d’Europe (Allemagne, Italie, France, Royaume Uni). On imagine la réaction des "petits pays" qui verraient leur poids au Parlement s’affaiblir. Se pose également la question de la pondération des voix au Conseil. Le Traité de Lisbonne prévoit un système de double majorité dans lequel toute décision doit être approuvée par au moins 55 % des Etats membres, représentant au moins 65 % de la population. Avec sa population, la Turquie disposerait d’un pouvoir politique et de blocage non négligeable. Une population qui en terme de flux migratoires constitue également pour certains une crainte, pour d’autres une opportunité.
Enjeux géopolitiques
Par sa position intermédiaire entre l’Occident et les pays arabo-musulmans, la Turquie est un allié stratégique non négligeable pour l’Union Européenne. En outre, son armée, reconnue pour sa grande efficacité, est la plus importante dans l’OTAN après celle des Etats-Unis. Certains voient dans la constitution d’une zone de paix et de prospérité avec la Turquie une chance pour les régions transfrontalières instables. D’autres craignent au contraire qu’en devenant partie prenante dans les conflits de cette région, l’Union européenne perde sa capacité de conciliation.
La Turquie et l’opinion publique européenne
Comme le montre le sondage Eurobaromètre 69, Novembre 2008 , l’opinion publique européenne reste majoritairement hostile à la perspective d’adhésion de la Turquie. Avec seulement 31 % d’avis favorables, c’est le plus mauvais chiffre des douze pays proposés pour une éventuelle adhésion par le sondage, l’Ukraine recueillant 43 % d’avis favorables, la Macédoine 40 % et la Croatie 52 %.
Concernant l’opinion dans chaque Etat membre, l’adhésion de la Turquie est approuvée dans quatorze Etats membres sur les vingt-sept. C’est en Suède que le soutien à l’adhésion est le plus fort avec 71 % d’opinions favorables, suivi par les Pays-bas, 67 %, la Roumanie, 64 % et le Danemark, 59 %. En revanche, seulement 16 % des Autrichiens (le pourcentage le plus bas) et 35 % des Français et Allemands soutiennent cet élargissement.
Enfin, il est surprenant de voir que l’adhésion de la Turquie recueille plus d’opinions favorables dans certains pays de l’UE qu’en Turquie. Seulement 55 % des Turcs soutiennent l’adhésion contre 71 % des suédois par exemple.
« Chronologie d’une relation mouvementée
Juillet 2009 : Ouverture d’un chapitre sur la fiscalité, portant à 11 le nombre de chapitres de négociations ouverts sur 35. Un seul a été clos.
Novembre 2008 : La Commission européenne déclare que la Turquie a une économie de marché viable, ce qui représente une étape cruciale pour l’adhésion.
Novembre 2007 : Dans son rapport annuel de suivi sur les progrès de la Turquie, la Commission estime que les négociations devraient prendre au moins 10 à 15 ans.
Décembre 2006 : Fermeture de 8 chapitres de négociation, la Turquie refusant d’appliquer à Chypre le protocole dit d’Ankara.
3 octobre 2005 : Début effectif des négociations.
Octobre-décembre 2004 : La Commission et le Conseil européen décident de lancer les négociations d’adhésion.
Décembre 1999 : Conseil Européen d’Helsinki. La Turquie obtient le statut de candidat.
Décembre 1997 : Conseil Européen du Luxembourg. La Turquie est écartée comme candidate potentielle à l’Union.
Juin 1993 : Le Conseil européen de Copenhague définit les critères préalables à toute adhésion ;
5 février 1990 : Début de l’union douanière Turquie-UE. La Turquie est jusqu’à aujourd’hui le seul pays qui est membre de l’union douanière sans être membre de l’UE.
14 avril 1987 : Dépôt formel de candidature pour une adhésion à l’UE.
12 septembre 1980 : Putsch militaire en Turquie. Les négociations entre la Turquie et la CEE sont suspendues.
31 juillet 1959 : Première demande d’association de la Turquie avec la Communauté économique européenne (CEE).
12 juillet 1963 : Accord d’association entre la CEE et la Turquie »
Source Toute l’Europe
[1] Le PKK est considéré comme une organisation terroriste par la communauté internationale. Les attentats de l’organisation séparatiste ont causé la mort de quelque 45.000 personnes depuis 1984, début des attentats du groupe terroriste qui vise à instaurer un Etat indépendant kurde dans le sud-est de la Turquie.
[2] Chypre est divisée en deux depuis l’intervention en 1974 de l’armée turque dans le nord à la suite d’un coup d’Etat des nationalistes chypriotes grecs qui voulaient rattacher l’île à la Grèce.
Un plan de réunification de l’île conçu par l’ONU (plan Annan) et approuvé par les instances internationales, a été soumis à référendum le 25 avril 2004. Alors que la partie turque a voté à 65% « Oui », la partie grecque, elle, a voté majoritairement (à 75%) « Non ». En réponse à ce refus de la Paix par les Chypriotes grecs, la Turquie leur interdit l’accès à ses ports.