dimanche 19 mars 2023

La renaissance d’Atatürk et la redécouverte de la laïcité

Publié le | par Engin | Nombre de visite 262
La renaissance d'Atatürk et la redécouverte de la laïcité

La renaissance d’Atatürk et la redécouverte de la laïcité

Murat Yetkin
Journaliste-Auteur

10 NOVEMBRE 2021

La redécouverte de la laïcité et des droits des femmes, qui sont parmi les principes les plus importants d’Atatürk et de la République, et le fait que cette renaissance provienne de la population civile pour contrer des obstacles doivent être considérés comme une évolution réactionnaire que le pouvoir ne peut prévoir.

Personne n’aurait deviné que cela arriverait. A l’approche du 100e anniversaire de la fondation de la République, la Turquie redécouvre son fondateur, Mustafa Kemal Atatürk. Elle comprend à nouveau la valeur d’Atatürk. D’ailleurs, cette renaissance s’opère alors même qu’il y a un gouvernement républicain au pouvoir qui essaie de le lui faire oublier le plus possible.

Nous assistons à la renaissance non seulement d’Atatürk mais aussi des valeurs fondatrices de la république en réaction aux conditions actuelles.

Par exemple, nous comprenons la valeur de la laïcité, qui signifie la séparation de la religion et des affaires de l’État.

Nous comprenons cela lorsque le ministre des Affaires religieuses, dont la compétence officielle ne dépasse pourtant pas celle d’un préfet, se proclame cheikh al-Islam essayant constamment d’attirer l’attention en fourrant le nez partout, se voit attribuer une place d’honneur à chaque cérémonie.

On voit que le "Ministère" des Affaires religieuses, fondée par Atatürk, devient progressivement un élément de pression sur toutes les croyances et modes de vie non sunnites-hanéfis. On le comprend en voyant que les magistrats commencent à rendre leurs jugements selon qu’ils sont ou non une place dans les jugements religieux.

De l’égalité des sexes au sectarisme

Nous reconnaissons l’importance des droits des femmes, de l’égalité des hommes et des femmes devant la loi et dans la vie sociale. Nous le comprenons en constatant que la Turquie se retire de la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes à la suite du chantage aux votes exercé par les sectes et congrégations. Nous avons commencé à voir à travers les fatwas (plus destinées à régler leurs propres préoccupations personnelles) de ceux qui vivent, sous les traits d’érudits religieux, aux crochets de la bourse de l’État, des fatwas du genre « L’adultère avec une belle-sœur ne rompt pas le mariage  » ou « on ne donne pas la main de sa fille à un Alevi » que l’entourage des dirigeants qui voudrait, sous couvert de "croyances religieuses", faire de la femme l’esclave de l’homme à tous égards, gagne en force.

L’administration est entièrement dominée par les hommes et façonnée sur la base du sectarisme. Seuls deux des 81 gouverneurs de province et seulement 14 des 934 gouverneurs de district sont des femmes. Alors, combien y a-t-il d’Alévis parmi tous ces gouverneurs, gouverneurs de district, voire, développons-le, sous-ministres, généraux et membres de la haute magistrature ? Combien y a-t-il de Kurdes ?

Les fonctions de la Grande Assemblée nationale de Turquie ont été tronquées, et il est souhaité que les décisions du président, qui a tout le pouvoir exécutif entre ses mains, soient soumises à approbation par un mécanisme de vote.

Nous observons avec un exemple que la déclaration d’Atatürk "La Turquie ne peut pas être un pays de cheikhs, de fidèles et de derviches" a commencé à s’inverser au cours de cette période. Ces cheikhs et partisans ont tenté d’organiser un coup d’État en Turquie en infiltrant les forces armées turques, dont Atatürk était le commandant en chef.
Les putschistes précédents ont eux aussi abusé et souillé le nom d’Atatürk jusqu’à ce que nous nous en lassions, et ce sont eux qui, en fait, ont ouvert les portes de l’État à l’islamisme politique, sous couvert de politique de soutien aux États-Unis dans le combat contre le communisme.

Ceux qui nous donnent des leçons de patriotisme

Nous vivons une époque où des charlatans qui vendent des linceuls et des chaussons qui ne brûleront pas en enfer, simplement parce qu’ils augmentent le taux d’audience, figurent désormais parmi les invités que les plateaux TV s’arrachent et qui sont accueillis par le Président dans le bureau présidentiel créé par Atatürk.

Mais ça ne s’arrête pas là. Le principe d’Atatürk de « Paix à le pays, paix dans le monde » a été remplacé par une conception qui considère toute personne impliquée dans le conflit interne de ses voisins et qui ne vote pas pour lui à l’intérieur comme un ennemi. Le point de vue politique qui affirme "Ceux qui ne votent pas pour nous appartiennent à une religion des pommes de terre" et que "Chaque vote que vous nous donnerez est une bonne action" est actuellement au pouvoir. Ceux qui aujourd’hui tentent de nous donner des leçons de patriotisme sont les héritiers de ceux qui ont nourri les forces d’occupation il y a cent ans et ont provoqué un soulèvement contre la guerre d’indépendance menée par Atatürk, ainsi que des fous vindicatifs qui sont loin de porter des sentiments patriotiques. Assez stupides pour clamer "J’aurais préféré que ce soient les Grecs qui le remportent".

En les maintenant sous pression quant à leur mode de vie qu’ils essaient de dominer, ils font fuir les jeunes cerveaux, intelligents et talentueux de ce pays afin de les remplacer sournoisement par des réfugiés qui constituent une main-d’œuvre bon marché dans bilan démographique du pays. Le sectarisme et la dimension des classes qu’implique cet arrangement sont étroitement liées.

Cette fois le mouvement est civil et s’élève de la population

La falsification de l’histoire s’est transformée en une opération de lavage de cerveau extrême. Alors que l’Empire ottoman a perdu la moitié de ses terres et a donné Chypre aux Britanniques en tant que commission pour protéger son trône des Russes, le sultan est proclamé héros ; tandis que Çanakkale se réécrit sans Atatürk, İnönü sans İnönü, Chypre sans Ecevit sont tentés d’être romancés.

Et quand nous parlons d’un Commandant en chef, nous évoquons un commandant en chef qui a combattu au front et a obtenu le titre de vétéran après avoir été blessé par des balles ennemies, plutôt qu’un commandant qui se voit forcé de s’imposer à nos yeux comme "Je suis le Commandant en chef".

Je vais continuer avec les paroles d’Atatürk dans son discours aux jeunes. Dans de telles "conditions et circonstances", il est naturel que les gens redécouvrent Atatürk ainsi que les questions de laïcité et des droits des femmes, qui sont parmi les caractéristiques les plus importantes qu’il a apportées à la Turquie. De plus, cette fois, malgré les efforts du gouvernement, de la bureaucratie militaire et de la justice pour l’empêcher plutôt que de l’encourager, cette renaissance provient bel et bien de l’initiative civile et populaire.

Il semble que l’une des choses les plus importantes que le président Tayyip Erdoğan et son administration lègueront à la Turquie sera cette renaissance d’Atatürk et ce, alors qu’ils ne l’ont jamais envisagée.

Je commémore le fondateur de notre République, Mustafa Kemal Atatürk, avec respect, amour et miséricorde.


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