Et évidemment en pleine crise grecque qui fait office de Titanic européen quand les banques raflent les canots et les gouvernements, poussés par les lobbys financiers, se sauvent avec les gilets et autres plans de sauvetage, laissant les populations écoper les dettes et boire la tasse (amère) des restrictions budgétaires ciblées (parlez-en aux fonctionnaires espagnols). Bref, « nous entendions au loin les hurlements des chiens qui se répondaient » comme le clame Orhan Pamuk, le grand.
Alors, alors, alors qu’à l’image de la Grèce ou de l’Italie, grèves générales et manifestations se multiplient dans les pays européens et au lendemain d’un G20 canadien qui, comme d’habitude, exprime des conclusions à même de faire se lever d’enthousiasme et d’espoir les foules transies de faim, de dettes ou de travail… le FSE veut faire entendre sa voix.
Ainsi, quand de nombreux appels (sur la dette par le CADM), revendications (réformer la BCE pour n’en citer qu’une) ou propositions alternatives (de régulation des marchés financiers par exemple) sont déjà parus, la capacité d’unification des luttes et de mobilisation d’un Forum qui veut incarner la résistance des citoyens européens « qui ne paieront pas pour cette crise » qui n’est pas la leur, seront assurément sur toutes les lèvres et dans tous les débats. L’enjeu de ce VIè opus du Forum est bien de montrer son utilité sociale face aux squales de la finance et aux puissances d’Etats. Il s’agit pour le FSE de confirmer sa force de représentation populaire et de mobilisations des mouvement sociaux au niveau européen (ce qui, jusqu’ici, n’a jamais été partie facile).Beaucoup de « forumeurs » atterrissent à l’aéroport Atatürk avec le ferme espoir de revenir avec dans leur valise, propositions concrètes de textes et de revendications certes, mais surtout de mobilisations et de plan de bataille à soumettre à leurs organisations respectives. Le programme ne s’y est pas trompée : on y mesure une nette focalisation des ateliers sur la crises et les réponses à y apporter.
C’est quoi un FSE réussi ?
Pour réussir un FSE, il faut un brin de chance, beaucoup d’imagination et surtout de la coordination dans les mouvements. Ceci dit, quelques ingrédients principaux sont à retenir :
De larges louches de public, ne pas lésiner. Malgré tout ce que l’on pourra en dire, participation et affluence sont toujours des enjeux, dans les séminaires du Forum lui-même, comme dans la manif de samedi. 10 000 participant-e-s sont annoncés à Istanbul, venu(e)s principalement de Turquie mais aussi de toute l’Europe. Et la réussite signifie aussi diversification des nationalités, langues, âge, taille, poids et autre couleurs des participants.
Le mélange doit être homogène, bien malaxer :
Le mélange interculturel était un des paris de ce FSE n°6. Istanbul 2010 devra éviter l’écueil d’un forum turco-turc où viendraient se mêler quelques invités européens. Le mixage dans les discussions et séminaires entre européens de l’ouest et de l’est (et c’est déjà quelque chose…) et turcs reste à inventer.
L’impact du Forum sur la gauche et sur la vitalité du mouvement social turc —l’effet FSE traditionnel dans les pays hôtes— est également attendu mais reste aussi largement inconnu dans sa latitude finale.
Maintenir en ébullition, sans faire déborder :
Le succès de la « manif » elle-même est aussi et comme toujours, un enjeu. Il ne sera pas difficile sans doute de faire mieux que Malmö 2008 où la civilité polie du nord avait produit un défilé coloré et sage qui fait encore des gorges chaudes aux ménagères suédoises ébahies sur leur pas de porte. Sur ce point, pas trop d’inquiétude, les turcs ne sont pas des enfants de chœur, pas plus que leurs policiers des touristes, d’ailleurs, et il va faire chaud au bord du Bosphore ce week-end.
Réussir le plat ou brûler la cuisine et changer de crèmerie
Sur la route de son propre processus, le FSE au carrefour. Mouvement international certes, mais sans permanents et dont les rassemblements reposent sur des équipes nationales toujours différentes : l’expérience montre qu’il est difficile de faire vivre le Forum, en dehors des FSE eux-mêmes. Encore faut-il que ceux-ci soit productifs donc. Or après un Forum de Malmö 2008 dont tout le monde s’accordera sur un bilan en demi-teinte (tant sur le plan de la mobilisation que sur les initiatives engagées), le 6è FSE s’annonce décisif.
Si le Forum ne sort pas avec des propositions unifiées contre la crise et des rendez-vous de mobilisations, si le Forum n’est pas capable de créer sa propre visibilité et de réagir en ce moment de crise, cela renforcera à coup sur la crise (une énième donc) du processus.
Il faudrait être efficace ou risquer de dépérir…pour d’autres formes de mobilisations et de coordinations au niveau européen. Mais moins ouvertes, plus thématisées et, hélas, encore moins visible, réunissant des fronts moins larges..et bien sûr moins de public sans doute.
Cela n’a échappé à personne et on notera que les membres du TOC, qui comme leur nom l’indique ne sont pas des rigolos (Turkish Organization Comity), ont été poussés en ce sens. Signe des temps, pour la première fois, une partie de l’Assemblée des Assemblées de dimanche, grande messe du FSE et Saint Graal de l’alter, sera consacrée à la mise en place de convergences pour…répondre à la crise.
Terre promise ou Finistère ? Istanbul est là où tout finit et là où tout commence, selon d’où l’on vient et l’on va.
Un Forum social européen... en Turquie ?
Quitte à faire grincher les grincheux (mais n’est-ce pas leur rôle ?), il faut bien voir une intention symbolique d’ouverture dans la localisation du Forum dans les murs de la Sublime Porte, à cheval entre Occident et Orient. Ouverture du mouvement social européen au mouvement social turc en particulier, entendons-nous bien. Car pour ce qui est de l’ouverture à l’UE, les organisations du Forum social à défaut d’être unanimes, restent en général réservées (et c’est un euphémisme) : difficile d’inviter à adhérer à une institution qu’on soutient peu ou pas du tout, évidemment…
Et qu’en disent-les turcs de l’UE et de l’adhésion ? On y reviendra dans un prochain post, à coups de rencontres et d’enquêtes qualitatives, c’est promis ! (Oui, ça s’appelle fidéliser le lectorat. On peut être alter-marketinguiste aussi (certifié équitable évidemment) car comme le dit Orhan Pamuk l’insatiable, « seuls les idiots sont vraiment innocents ».