4 décembre 2023
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François Hollande et les Turcs

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 663

Nous publions la version française de l’article de Maxime Gauin, chercheur à l’International Strategic Research Organiation (USAK-ISRO, Ankara) paru dans le Hürriyet Daily News du 14 mai.


François Hollande et les Turcs

C’est une tendance historique, parmi les principaux dirigeants socialistes français, que de passer d’une attitude à l’autre vis-à-vis des Turcs, en particulier si la question arménienne est en jeu. Jean Jaurès (1859-1914) avait diffusé la propagande nationaliste arménienne par ignorance dans les années 1890 ; puis, il fit la connaissance des Jeunes-Turcs, et devint, jusqu’à son assassinat, leur ami fidèle. Les premières années (1981-1984) de la présidence de François Mitterrand furent marquées par une grave crise franco-turque, mais elle fut promptement résolue et suivie par une période (1985-2000) de bonnes relations.


Nous publions la version française de l’article de Maxime Gauin, chercheur à l’International Strategic Research Organiation (USAK-ISRO, Ankara) paru dans le Hürriyet Daily News du 14 mai.

François Hollande et les Turcs

C’est une tendance historique, parmi les principaux dirigeants socialistes français, que de passer d’une attitude à l’autre vis-à-vis des Turcs, en particulier si la question arménienne est en jeu. Jean Jaurès (1859-1914) avait diffusé la propagande nationaliste arménienne par ignorance dans les années 1890 ; puis, il fit la connaissance des Jeunes-Turcs, et devint, jusqu’à son assassinat, leur ami fidèle. Les premières années (1981-1984) de la présidence de François Mitterrand furent marquées par une grave crise franco-turque, mais elle fut promptement résolue et suivie par une période (1985-2000) de bonnes relations.

Néanmoins, c’est peut-être la première fois que la victoire d’un socialiste suscite tant la satisfaction que l’inquiétude, en même temps, d’un point de vue franco-turc. Les sujets auxquels les Turcs sont les plus sensibles sont : la conscience (ou le manque de conscience) française de l’importance croissante de la Turquie ; la candidature turque à l’Union européenne ; la coopération contre le terrorisme (d’abord et avant tout contre le PKK) ; la situation des immigrés turcs en France ; et la question arménienne.

M. Hollande comprend le rôle économique et stratégique de la Turquie. Il a écrit dans son livre Le Rêve français, paru en 2011, que les négociations entre l’UE et la Turquie doivent être « loyalement » menées à leur terme. Malgré l’ignorance persistante de certains dirigeants du PS sur le PKK, il n’y a pas de raison de craindre que l’accord franco-turc de coopération contre le crime organisé, signé en octobre 2011, souffrira. M. Hollande a été élu sur un programme d’unité, de réconciliation nationale, et sur un rejet de la démagogie contre les immigrés. Il a même promis de présenter un projet de loi donnant le droit vote aux élections municipales aux étrangers ressortissants d’un pays non membre de l’UE.

Par conséquent, il est clair que seule la question arménienne représente une raison valable de s’inquiéter. Elle ne doit être ni sous-estimée, ni surestimée. Les Turcs paient une longue décennie (de 1997 à la fin des années 2000) de passivité et d’inefficacité vis-à-vis de M. Hollande, une décennie largement mise à profit par la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA Dachnaktsoutioun) pour remplir ses propres objectifs. Même l’ardent soutien de la FRA aux nazis, ou sa tradition terroriste n’avaient pas été utilisés comme arguments. La Turquie et les Turcs paient aussi le prix d’une vingtaine année (depuis le début des années 1990) pendant lesquelles presque aucune étude universitaire contestant la qualification de « génocide arménien » n’a été traduite en français. Pour autant, est-ce trop tard ? Non.

Parmi les proches de M. Hollande, il y a non seulement des membres de la FRA, mais aussi plusieurs parlementaires qui ont signé l’une ou l’autre saisine du Conseil constitutionnel, contre la proposition de loi Boyer. M. Sarkozy a tenté jusqu’à la fin d’empêcher les saisines. M. Hollande a finalement renoncé, au bout de quelques jours, à exercer des pressions sur les élus de son parti [ajout pour la version française : la nomination de Mme Pinel comme ministre déléguée au Tourisme et au Commerce est un autre signe positif.] Les discours tenus par M. Hollande à la fin de la campagne présidentielle, devant les associations arméniennes de Marseille et Paris, ne furent publiés que sur des sites arméniens, et non sur son site de campagne ou sur celui du PS.

La jurisprudence nationale et européenne est une autre raison d’être optimiste. La décision du Conseil constitutionnel censurant la proposition Boyer est motivée par des raisons de principe, et non par un problème de forme, secondaire. Elle laisse très peu d’espace pour une nouvelle tentative. La Cour de justice de l’Union européenne a décidé en 2003 (première instance) et 2004 (appel) que la résolution votée en 1987 par le Parlement européen sur le « génocide » arménien n’a pas de valeur juridique. Le Parlement européen lui-même a changé de position depuis 2007.

En conclusion, beaucoup de travail reste à faire, mais la défaite de M. Sarkozy marque très vraisemblablement le début d’un nouveau printemps pour les relations franco-turques. Un effort coordonné d’information et d’éducation, qui ne négligerait aucune question, est nécessaire et serait très fructueux.


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