Par Rinaldo Tomaselli
Hier 6 juin, la chaîne Arte diffusait un petit reportage sur l’homophobie en Turquie ou, plus exactement, sur la situation des travestis dans le pays. Habitants d’Istanbul, nous sommes habitués à la médiocrité des « reporters » et autres « envoyés spéciaux » des télévisions d’Europe de l’Ouest, mais là, l’incompétence alliée à la mauvaise foi de ces journalistes prétentieux, me font réagir.
De toute évidence, l’objectif des reporters était de mettre en valeur l’intolérance des Turcs face aux homosexuels et plus particulièrement aux travestis, très nombreux dans la métropole du Bosphore. Pour convaincre le téléspectateur, on fait mention d’un meurtre d’un travesti à Istanbul et de deux autres victimes dans le pays (Brousse et Eskişehir), tout cela depuis le début de l’année. On a fait appel aussi à deux écrivains stambouliotes, qui dénoncent un manque de droit des homosexuels. Le reportage conclut que la Turquie ne répond pas aux « critères européens » concernant minorités sexuelles… et sous-entend que la Turquie ne peut donc pas rejoindre l’Union européenne.
Si la situation des homosexuels de Turquie pourrait franchement être améliorée, il faut savoir que le pays n’a jamais, contrairement à la plupart des autres Etats d’Europe, eu de loi interdisant ou punissant l’homosexualité. Depuis des années, les bars, les boîtes et les associations gays et lesbiennes pullulent dans le pays, autant à Istanbul que dans les autres grandes villes. Mais surtout, Istanbul possède sa « Gay Pride », ce qui doit être unique dans un pays de culture musulmane.
Les travestis sont peut-être les plus vulnérables, car beaucoup sont dans le milieu de la prostitution mafieuse, ce qui entraîne naturellement des violences, comme partout ailleurs.
Ce qui fait bondir, ce n’est même pas le fait de donner une image trompeuse d’une Turquie homophobe, mais c’est de prendre ce faux prétexte pour dire que la Turquie ne rentre pas dans les « critères européens » concernant les minorités sexuelles. Ce n’est pas seulement injuste, mais complètement faux !
Mais maintenant voyons juste la situation des voisins de la Turquie, dont on a été moins tatillon pour les intégrer à l’Union européenne. La plupart des dix sept derniers pays rentrés dans l’UE condamnait l’homosexualité juste avant d’y adhérer. Il a fallu changer des lois un peu partout, mais la situation des homosexuels n’a pas vraiment été bouleversée, puisque selon les associations gays d’Europe, il existe d’importantes discriminations un peu partout (et pas seulement en Europe orientale), mais surtout dans les pays baltes, en Roumanie, en Bulgarie et à Chypre. Toutefois, le pompon revient quand même à la Grèce, qui considère l’homosexualité comme une maladie mentale… et comme les malades mentaux ne peuvent pas passer leur permis de conduire, les gays grecs se déplacent en train !
Vraiment, on se demande ce que c’est ces fameux « critères européens ».
Pour la mauvaise foi, il ne faut pas chercher bien loin. Arte est une chaîne franco-allemande. Comme par hasard, les dirigeants de ces deux pays sont les plus hostiles (pour ne pas dire les seuls), à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. On peut se poser des questions sur l’indépendance journalistique…
R. Tomaselli, Istanbul