Le violent séisme du 23 octobre, qui pour l’heure a fait 264 morts et 1 300 blessés, s’est produit dans la région de Van, dans l’est de la Turquie, une zone peuplée majoritairement de Kurdes. Cette catastrophe, qui intervient alors que l’armée turque est engagée dans des combats avec les militants kurdes du PKK, sonne comme un appel à la réconciliation, affirme Milliyet.
Quelle période tragique ! En quelques jours, 34 soldats ont été tués dans l’est de la Turquie, et plus de 48 militants du PKK l’ont été à la suite de la contre-offensive de l’armée turque. Et, comme si cela ne suffisait pas, la région de Van vient d’être frappée par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter.
Dans la mythologie grecque, un séisme était considéré comme une punition infligée aux hommes par les dieux de l’Olympe. Le tremblement de terre de Van serait-il dès lors un avertissement qui nous est adressé, à nous qui ne parvenons décidément pas à faire taire les armes et à faire la paix ? Mon collègue de Milliyet, l’éditorialiste Can Dündar, avait très bien résumé la situation quelques jours avant ce séisme. Alors que, après les attaques meurtrières du PKK, les médias turcs titraient à l’unisson sur "la Turquie qui pleure et dénonce le terrorisme", le journaliste avait en effet osé écrire ce que tout le monde savait, mais que personne n’osait dire. A savoir que toutes les manifestations dénonçant la violence terroriste du PKK – où le drapeau turc était omniprésent – n’ont jamais eu lieu dans les provinces du sud-est du pays [à majorité kurde].
La vérité c’est que, dans le Sud-Est, on ne descend les devantures des magasins et on ne marque le deuil qu’à l’occasion d’obsèques de militants du PKK tués dans des accrochages avec l’armée turque. Et Can Dündar de poser la question : "Notre incapacité à partager des sentiments communs dans des moments aussi tragiques ne traduit-elle pas crûment le fait que nous ne soyons pas dans le même camp pour défendre la vie contre la mort ? On a en effet encore pu le vérifier à l’occasion de ce séisme où certains sur Facebook et sur Twitter ont même exprimé leur indifférence par rapport à un tremblement de terre qui s’est "de toute façon produit à Van". C’est terrible, effarant et sans classe, mais c’est une réalité.
C’est donc à un moment où la violence gagne en intensité que le cataclysme de Van nous est tombé dessus. Ne soyons donc pas fatalistes face à cet événement en estimant qu’il s’agit là du résultat d’un jugement divin. Non, le temps est venu dans notre pays de réfléchir à panser les plaies et à arrêter le cycle de la mort. Qu’au moins la tragédie de Van serve à cela.
La région de Van est non seulement très belle, mais elle est aussi particulière. Majoritairement kurde, elle abrite des communautés turkmènes, arabes et Arméniens. La ville de Van, située en bordure du lac, est plurielle aussi sur le plan politique et partagée entre le Parti pour la paix et la démocratie (BDP, prokurde), qui a obtenu 50 % des voix lors des élections législatives de juin 2011, et le parti de la Justice et du développement (AKP, au pouvoir), 40 %. Dans la petite ville d’Ercis, épicentre du séisme, c’est l’inverse : 48 % pour l’AKP, contre 42 % pour le BDP. Je cite ces chiffres parce que, depuis que ce séisme a eu lieu, ces divisions sont dans les circonstances exceptionnelles actuelles en train d’être surmontées, ce qui constitue un signe d’espoir. Il est sans doute encore trop tôt pour faire comme s’il ne s’était rien passé, mais, au moins, enterrons nos morts ensemble. Dans ce contexte, il incombe au Premier ministre Erdogan de faire un geste pour rapprocher l’ouest et l’est du pays.
Source avec Courrier International