L’actuel Premier ministre serait le grand favori du scrutin présidentiel qui, pour la première fois, se tiendra au suffrage universel en Turquie, les 10 et 24 août. Face à ses rivaux, Recep Tayyip Erdogan dispose d’un grand avantage, le pouvoir médiatique.
Le temps d’antenne des trois candidats à l’élection présidentielle est un bon critère pour sentir l’ambiance et anticiper un tant soit peu un scrutin à deux tours qui aura lieu les 10 et 24 août prochains. Hasan Cemal sur le site indépendant T24 explique ainsi que fin juillet "la chaîne publique turque TRT consacrait par jour 1heure et 48 minutes au candidat Erdogan [actuel Premier ministre], 2 minutes et 38 secondes à Ekmeleddin Ihsanoglu [candidat des deux principaux partis de l’opposition parlementaire, le CHP kémaliste et le MHP d’extrême droite] et enfin ... 8 secondes à Selahattin Demirtas [candidat du HDP, issu de la mouvance pro-kurde]". "Certes", poursuit Hasan Cemal, "la TRT n’a jamais brillé par sa neutralité, mais jamais la télévision publique turque n’avait atteint un tel niveau d’engagement partisan".
Selon Mehmet Yilmaz de Hürriyet, "la situation n’est pas meilleure sur les nombreuses chaînes de télévision privées désormais soumises au parti au pouvoir, l’AKP, et où les candidats de l’opposition, Ihsanoglu et Demirtas, sont quasi inexistants". Selon Soli Özel, éditorialiste de Habertürk, "jamais depuis les années cinquante une élection ne s’était déroulée dans des conditions aussi inégales. Non seulement, Erdogan utilise tous les moyens de l’Etat à sa disposition et jouit d’un soutien médiatique disproportionné, mais en plus des convois électoraux du candidat Ihsanoglu ont fait l’objet d’attaques de même que des militants pro-Demirtas ont été agressés, ce qui aggrave encore la situation."
Un régime présidentiel fort
Özel poursuit en relevant que "le candidat Erdogan refuse par ailleurs un débat télévisé dans des conditions d’égalité avec ses deux concurrents empêchant ainsi l’électeur de faire son choix en toute sérénité. Pourtant, le Premier ministre propose à la Turquie un véritable changement de régime. Il souhaite en effet que la Turquie évolue vers un régime présidentiel fort sans mécanisme de contrôle et dont seraient absents tous les éléments permettant d’équilibrer le poids de cette institution".
Mustafa Karaalioglu du quotidien pro-gouvernemental Star, pense au contraire que cette élection présidentielle dont il ne doute pas qu’Erdogan en sera le gagnant "mettra définitivement fin à un système qui négligeait systématiquement la volonté du peuple et la rendait impuissante. Le pays était en effet en réalité dirigé par une oligarchie bureaucratique civile et militaire. En apparence, le système parlementaire était souverain mais un tas d’institutions dont le rôle était défini par la constitution et fonctionnant comme des forteresses indépendantes empêchaient en réalité le parlement de fonctionner".
Karaalioglu précise : "Jusqu’au référendum constitutionnel de septembre 2010, ces institutions décidées à maintenir leur tutelle sur la société montraient les dents dès que le gouvernement et le parlement manifestaient une volonté de réforme. Finalement, cette tutelle, fruit d’une alliance militaire, judiciaire et économique, a été mise en échec. Les gens dans ce pays ne veulent donc plus d’une élite qui saurait à leur place ce qui est bon pour eux. Les prétextes invoqués tels que les "intérêts supérieurs de la nation" ne justifient plus le maintien de cette tutelle. Une classe sociale et politique qui dominait le peuple depuis cent cinquante ans a ainsi été écartée. C’est dans ces conditions que s’inscrit l’élection présidentielle du 10 août qui consacrera la victoire de ce changement de mentalité".
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