ANKARA (AFP) — Le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie se réunit d’urgence après l’annulation la veille d’une révision constitutionnelle autorisant le port du voile dans les universités, un coup dur pour la formation menacée d’interdiction pour ses activités anti-laïques.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est retourné d’urgence à Ankara pour présider à 12H00 GMT une session extraordinaire des instances dirigeantes de son Parti de la justice et du développement (AKP).

Il a aussi annulé un déplacement en Suisse afin d’assister au premier match de la Turquie contre le Portugal samedi pour l’Euro-2008 de football.

La Cour constitutionnelle s’est prononcée jeudi contre le port du foulard islamique sur les campus universitaires, un amendement à la constitution introduit par l’AKP, qu’elle a estimé contraire aux principes immuables de la loi fondamentale.

Les observateurs pensent que ce jugement pourrait ouvrir la voie à une interdiction de l’AKP.

En effet, l’amendement très controversée figure à la tête d’une liste dressée dans un long réquisitoire du procureur de la Cour constitutionnelle affirmant que l’AKP islamise la société turque et doit être dissout.

Le procureur réclame en outre que soient interdits de faire de la politique 71 membres de l’AKP, une formation créé sur les cendres d’anciens partis pro-islamistes interdits. Parmi ceux-ci, M. Erdogan et le chef de l’Etat, Abdullah Gül, disciples de N.Erbakan, ancien leader islamiste interdit.

Une partie de la presse estimait vendredi que le verdict des juges a "sonné le glas" de l’AKP, qui serait probablement dissout dans les prochains mois.

La Cour "a confirmé que l’AKP est opposé à la laïcité", a estimé un éditorialiste du quotidien Vatan, appelant M. Erdogan à démissionner car il a créé dans son pays une profonde division.

"Une décision en faveur d’une interdiction de l’AKP est désormais inévitable", soulignait un autre commentateur du quotidien.

Lors de leur réunion, les dirigeants de l’AKP doivent débattre de leur réponse au verdict de la justice et certains d’entre eux devraient suggérer la tenue d’élections législatives anticipées, a spéculé la presse.

L’AKP, arrivé au pouvoir en 2002, a remporté une large victoire aux élections législatives de juillet 2007 avec 47% des suffrages.

Au soir de sa victoire, le Premier ministre avait voulu rassurer une partie de la population, inquiète d’une islamisation progressive du pays. Mais son parti s’est ensuite attaqué à l’interdiction du voile, parvenant à amender la constitution grâce à sa confortable majorité au parlement, au grand dam des républicains.

L’AKP s’était défendu en prétextant que l’interdiction du voile contrevenait à la liberté de conscience et au droit à l’éducation.

La Cour constitutionnelle s’était pourtant déjà prononcée à deux reprises dans le passé contre le port du voile dans les universités. L’interdiction avait aussi été maintenue par le Conseil d’Etat turc et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Les forces républicaines s’opposaient à cette révision dont ils redoutaient qu’elle n’entraîne une légalisation du voile dans les administrations et les collèges et lycées, où il reste interdit.

L’annulation de sa révision est "le plus grand échec politique" d’Erdogan, a estimé le journal libéral Radikal.

Même si l’AKP n’a pas réagi officiellement, des responsables du parti ont affirmé que les juges avaient outrepassé leurs fonctions en se prononçant sur le fond de l’amendement plutôt que sur la procédure.