Mehmet Ali Birand

Bruxelles exige qu’Ankara ouvre ses ports aux navires chypriotes. Mais Nicosie refuse toujours la réunification de l’île ! Le cri du cœur d’un grand journaliste proeuropéen.

J’avais soutenu jusqu’au bout le plan Annan [1] pour régler le contentieux chypriote, car, grâce à ce plan élaboré par le secrétaire général de l’ONU, les Chypriotes turcs pouvaient enfin prendre leur avenir en mains et la partie turque de Chypre adhérer à l’UE avec la partie grecque. Cela signifiait également que le sud (grec) de l’île de Chypre cesserait de constituer un blocage permanent pour les négociations entre la Turquie et l’Europe, et que le Nord (turc) ne subirait plus les mesures d’isolement international. La raison pour laquelle je croyais au plan de réunification dessiné par Kofi Annan était simple : je prenais au sérieux l’Union européenne (qui soutenait le plan) ! Ses institutions et la plupart de ses membres avaient fait une promesse solennelle aux Turcs : acceptez ce plan de réunification, et un chapitre complètement nouveau s’ouvrira entre nous.
Et c’est avec crédulité que les Chypriotes turcs ont voté oui au plan Annan [2]. Je reste persuadé du bien-fondé de ce oui, car grâce à cela les Chypriotes turcs peuvent garder la tête haute et réclamer leurs droits. Quant aux Chypriotes grecs, ils ont vraiment joué la ruse orientale. Ils ont voté non au plan de réunification de l’île [3], claquant la porte à la figure de l’UE. Et pourtant, ce sont eux qui ont été récompensés. Bien qu’ils aient trompé l’UE, ils ont obtenu l’adhésion [4], et ils demandent encore que la partie turque qui avait cru à l’UE soit sanctionnée ! Non, vraiment, trop c’est trop ! La Turquie est bien sûr obligée d’honorer ses engagements vis-à-vis de l’Union européenne et elle finira donc par ouvrir un jour ses ports aux navires chypriotes grecs [5], mais elle ne le fera pas aujourd’hui. Pas dans ces conditions, pas avec le couteau sous la gorge, pas dans des circonstances illogiques et moralement inacceptables.

Non, l’UE ne peut pas mener une politique aussi puérile ! Si le seul but de cette politique est de suspendre les négociations avec la Turquie et de geler le processus conduisant à son adhésion définitive, il n’est nul besoin d’un scénario aussi maladroit. Ils peuvent facilement trouver d’autres prétextes et obtenir le même résultat. L’UE est en train de perdre toute sa crédibilité. Elle perd le peuple turc. Peut-être sans trop s’en rendre compte, elle le pousse lentement à s’éloigner de l’Europe. Face à ce jeu bête, on ne peut pas demander à la Turquie d’agir avec plus de souplesse : elle ne pourrait et ne devrait pas être plus souple.

Les limites du supportable sont aujourd’hui atteintes

Si l’UE a un brin de vision, si elle a un tant soit peu de souci de respectabilité, elle doit cesser ce jeu scandaleux et mettre un terme à ce chantage qui prétend obliger la Turquie à ouvrir ses ports aux navires chypriotes grecs. L’UE pourrait choisir de remettre ce point à plus tard, à un moment où l’on pourrait parvenir à une solution pour Chypre. Si elle ne le fait pas, on comprendra que son intention réelle est simplement de punir la Turquie.

Le président de la partie grecque de Chypre, Tassos Papadopoulos, a de quoi être content. Il a la chance d’être au pouvoir à une période où tout lui est favorable. Toute sa politique après l’adhésion de son pays à l’UE peut se résumer en une seule phrase : faire la main basse sur la RTCN [6]. Dans toutes ses déclarations, dans tous les contacts qu’il a eus avec le Nord, on voit le même objectif : obliger la partie turque à se livrer à l’administration grecque. Papadopoulos veut utiliser la conjoncture à son profit. Mais il faut s’attendre aussi que la Turquie ne ferme pas les yeux sur de tels projets. Aujourd’hui, les limites du supportable sont atteintes. Si la Turquie ouvrait ses ports aux navires chypriotes grecs sans obtenir la levée des restrictions sur la partie turque de l’île, du moins sans que celles-ci soient allégées, cela signifierait la reddition totale de cette partie de Chypre à Papadopoulos. Dans ces conditions, Ankara doit résister. Il doit résister, même si ses relations avec l’UE doivent se tendre, et ne surtout pas céder à ces basses manœuvres.

Mehmet Ali Birand
publié dans Posta Gazetesi