Info Collectif CIViC - www.collectifcivic.org - Le Figaro Magazine a publié dans son édition du 8 décembre 2007 un Face à Face entre l’écrivain Denis Tillinac et l’historien Gilles Manceron, vice-Président de la LDH. Voici les extraits concernant leurs opinions sur l’utilisation du terme "génocide" par Bouteflika.

Que le débat intellectuel soit légitime, soit, mais il ne faut pas oublier que le perpétuel angle d’attaque du président Bouteflika demeure le génocide. Il ne cesse d’évoquer les massacres de Sétif et Guelma en 1945, mais certaines atrocités ont été commises par les Algériens, comme par exemple l’assassinat de ce couple d’instituteurs français dans le bled, en 1954, qui allait marquer le début de la guerre d’indépendance. Les invocations à l’extermination, au crime contre l’humanité, la dénonciation du génocide font partie de la communication du FLN qui, chaque fois qu’il sent son pouvoir chanceler, rameute les populations autour d’une idée force de cohésion nationale. L’écrivain que je suis regimbe donc sur l’emploi des mots. Un « génocide » c’est la volonté d’extermination d’un peuple. Ainsi des Juifs, des Tziganes, des Arméniens, des Tutsis. Pour l’Algérie, on parlera de tueries, de massacres, de saloperies perpétrées de part et d’autre, mais sûrement pas de génocide. C’est illégitime. Pire : une offense aux peuples martyrs. Sans être dupe des manœuvres du président Bouteflika à strict usage intérieur, je me félicite qu’il aime la France et qu’il parle français. Aussi n’est-il pas sain de sa part de pratiquer l’escalade verbale, de proférer l’anathème, alors que l’Algérien de la rue a un frère qui travaille à Roubaix, un oncle qui vit à Marseille depuis trente ans. Nos liens sont si étroits que nous ne pouvons nous permettre de dialoguer sur ces bases-là. Il ne faut pas occulter le passé mais le dépasser, le transcender.

Gilles Manceron - Ni le terme de génocide, ni celui d’extermination ne sont appropriés en l’occurrence. Mais, comme l’a dit Jacques Chirac : « Tout pays qui reconnaît ses erreurs se grandit » -il est vrai qu’il s’adressait à la Turquie... Mais il a appliqué ce principe dans son discours de 1995 sur la responsabilité de l’Etat français durant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’était pas un discours de repentance, mais de reconnaissance. La France libre n’est pas en cause, ce sont les institutions du pays qui ont failli. La France n’est pas une personne, c’est une nation qui a connu, comme les autres, des tensions et des affrontements en son sein tout au long de son histoire. Or, lors de sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy a voulu la présenter comme une entité homogène. Une question comme le passé colonial divise les Français et ne relève pas uniquement d’un dialogue entre deux Etats. Elle concerne et oppose plus ou moins entre eux les citoyens des deux nations, et elle implique de la part des institutions de la France, non pas une quelconque repentance, mais bien une reconnaissance.

Denis Tillinac - Comme l’a dit Sarkozy, ces questions concernent désormais les historiens. Pour ma part j’y ajouterai les intellectuels. Cela étant, j’observe que nous sommes le seul pays ancien­nement colonisateur à endurer de tels débats. Cela ne se passe pas ainsi en Angleterre, en Hollande ou au Portugal, nations souveraines qui n’ont pas cette obsession de reconnaître leurs fautes.

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