Mettant en relief la mémoire partisane de Sarkozy
Trois historiens français dénoncent le refus de la repentance de la France

Mardi 14 Aout 2007, La Tribune, Par Amar Rafa

Le « refus de la repentance » pour les crimes coloniaux « a pour objectif d’entraver le travail des historiens », ont souligné hier trois historiens français. Dans une tribune conjointement rédigée et publiée dans le journal Libération, les historiens Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron, également vice-président de la Ligue française des droits de l’Homme, et Benjamin Stora ont noté avoir « vu apparaître, lors de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, le thème du refus de la repentance » qui renvoie principalement à la question de l’histoire coloniale. Ce refus de repentance visait à « rallier la fraction de l’électorat la plus nostalgique de la période coloniale, souvent proche de l’extrême droite », commentent les historiens. Selon eux, « le futur président de la République a laissé poindre une relance de l’éloge de la ‘‘colonisation positive’’ que voulait imposer, avec les résultats que l’on sait, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 ». Ils ont ajouté qu’à « la question du passé colonial » sont ainsi sans cesse associées celles de l’immigration et de la « haine de soi ». Ils en ont déduit qu’ainsi « la nation [française] devient un bloc insécable à défendre globalement au lieu d’être une nation dotée d’une histoire, où certains ont joué un rôle dont on peut être légitimement fier, et où, comme dans toute autre nation, d’autres ont pu apparaître plus discutables ». Les historiens ont aussi rappelé que les discours du candidat Sarkozy prononcés dans le sud de la France, durant la campagne électorale, ont notamment développé, « une réhabilitation de la colonisation d’autant plus subtile que simultanément démentie » puisqu’elle fut à la fois présentée comme « un rêve de conquête et un rêve de civilisation ». Ils estiment que cette approche « permet de qualifier avec indulgence un processus historique, la colonisation ». « Nicolas Sarkozy a même annoncé, le 31 mars, une décision qui consacre le refus de la repentance : la création rapide d’une fondation pour la mémoire sur la guerre d’Algérie », revenant « à mettre en œuvre une mesure qui faisait partie de la loi du 23 février 2005 [article 3] ». « Or, une fondation vouée à [la présumée] œuvre positive de la colonisation et à ‘‘l’antirepentance’’ n’a rien à voir avec l’histoire », ont souligné les historiens car, à leurs yeux, « le rôle des historiens est de prendre en compte toutes les mémoires et les mettre à l’épreuve de la recherche pour travailler patiemment à l’écriture d’une histoire, qui est, par nature, transnationale ».

« A l’opposé du travail historique, le discours de l’antirepentance entretient les guerres de mémoires » et « répond à des objectifs politiques », notamment pour consolider les rangs de la droite, ont-ils commenté. « L’antirepentance a pour objectif, en matière d’histoire coloniale, d’entraver l’évolution de l’historiographie scientifique sur cette page de notre passé », ont-ils encore souligné. A défaut de repentance, les historiens mettent en valeur le devoir de « reconnaissance » officielle des crimes coloniaux posé comme « la condition d’un véritable apaisement, aussi bien pour la société française, qui ne cesse de se diversifier, que, comme l’ont montré les réactions critiques de la presse africaine aux propos tenus le 26 juillet à Dakar par Nicolas Sarkozy, pour les relations futures entre la France et les pays qui ont été autrefois ses colonies ».

A la veille de son déplacement à Alger, le premier en dehors de l’Europe depuis son élection, Sarkozy avait affirmé qu’il n’y avait pas de place pour le repentir dans les relations algéro-françaises, mais juste à une reconnaissance des faits. « Il y a beaucoup de zones d’ombre dans l’histoire de la France, de souffrances et d’injustices au cours des 132 années passées en Algérie, mais il n’y a pas eu que cela. Je suis donc pour une reconnaissance des faits, pas pour le repentir, qui est une notion religieuse et n’a pas sa place dans les relations d’Etat à Etat », a-t-il déclaré dans les colonnes de deux quotidiens algériens. Le devoir de mémoire, qui consiste notamment en la repentance de la France pour ses crimes coloniaux, est une exigence de l’Algérie, comme condition sine qua non à la signature d’un traité d’amitié réclamé par la France. Mais cette dernière suggère que cela passe en particulier par le renforcement des relations économiques entre les deux pays.