Yilmaz Güney, Palme d’or à Cannes en 1982 avec Yol, est-il représentatif du cinéma turc ?
Non. Mais son cinéma engagé, après le coup d’État militaire, était dans l’air du temps. Déchu de sa nationalité, Güney a fait de la prison pour motifs politiques, mais aussi pour avoir tué un juge. C’était une personnalité complexe. Les vrais pères du cinéma turc sont Metin Erksan et Ömer Kavur. Le premier a décroché l’Ours d’or au festival de Berlin, en 1964, pour Un été sans eau. Ces cinéastes étaient de vrais auteurs, comme ceux de la Nouvelle Vague en France.
Et les films méditatifs et mélancoliques de Nuri Bilge Ceylan, dont Uzak, récompensé à Cannes en 2003 ?
Ils sont représentatifs d’un certain cinéma d’auteur. Même si celui de Bilge Ceylan n’est pas spécialement ancré en Turquie. L’individu et ses doutes l’intéressent plus que la société elle-même. Un jeune réalisateur comme Fatih Akin, qui vit en Allemagne, est culturellement plus marqué par la Turquie (NDLR : il a été Ours d’or à Berlin, en 2004, avec Head-on, une âpre et poignante histoire d’amour). Avec la globalisation, un film turc ressemble à un film danois ou sud-africain. Les différences sont gommées, les goûts standardisés. Moi-même, les films de Bilge Ceylan, je finis par les trouver trop longs !
Ces films d’auteurs marchent-ils en Turquie ?
Beaucoup plus à l’étranger. Uzak, de Bilge Ceylan, a fait 130 000 entrées en France, moins de 50 000 en Turquie. Le pays n’est pas très cinéphile. 37 millions d’entrées sont enregistrées sur une année quand la France frise les 200 millions pour un nombre d’habitants équivalent. Mais, la production nationale devance en fréquentation les blockbusters américains. Elle est dominée par un cinéma populaire, utilisant les vedettes de séries télé et des films nationalistes. On y voit des Rambo turcs combattant de méchants Américains.
Qui sont les piliers de la nouvelle génération ?
Ils sont nombreux. Ces vingt dernières années, la société turque a connu une évolution fulgurante, qu’elle soit politique, culturelle ou économique. Les jeunes réalisateurs sont curieux, pointent les contradictions de la société avec une grande liberté de ton. Les femmes y tiennent un rôle de premier plan. Comme Yesim Ustaoglu, qui se penche sur la réalité multiethnique de son pays.
Recueilli par Benoît LE BRETON pour Ouest-France