Pourquoi dites-vous qu’il est difficile d’exister en France quand on est franco-turc ?
Il y a bien un malaise qui existe aujourd’hui à être un enfant d’immigré d’origine turque. Surtout depuis que le génocide des arméniens a été reconnu en France.
Avez-vous eu des discussions à ce sujet ?
Oui, plusieurs échanges. Durant ces dialogues, tout vient sur la table : la situation de la Turquie, bien sûr, mais aussi, en France, les replis communautaires, les inégalités, le danger du racisme... La principale préoccupation des franco-turcs portent aussi sur les discriminations qu’ils subissent en matière de logement, de formation, de travail, d’accès à la culture, etc. Les jeunes franco-turcs ont visiblement beaucoup de choses à dire.
Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ?
Le discours de plusieurs pays au sujet de la reconnaissance du génocide. Or le rôle de la politique est-il de traiter les traumas ? De plus, pourquoi tout attendre d’un Etat en ce qui concerne ces massacres ? En d’autre terme, pourquoi ne pas produire directement un travail pédagogique auprès des 2 communautés - et pas seulement militant - sur l’histoire des événements de 1915, au lieu de laisser libre champs aux agents de la diaspora arménienne ?
Je m’interroge d’une part sur la démarche de certains qui agissent seulement pour obtenir des réparations et d’autre part sur les conséquences de décisions prises par le passé par les hautes instances. Il me semble que les franco-turcs n’ont pas à subir les héritages liés aux événements de 1915. Soulignons aussi que l’Etat français a joué un rôle important, comme le prouve, par l’absurde, la loi votée à la sauvette en 2001, à l’initiative de quelques députés mêlant le devoir d’élu de la République à l’obligation de répondre à un lobby arménien puissant.
Avez-vous des exemples pour illustrer vos propos ?
Oui, dorénavant cette vérité légiféré a été imposée sur les manuels scolaires faisant le retracé de l’apologie du génocide alors que rien n’a été approuvée par une commission d’historiens ou jugé par le tribunal international.
Mais, plus que l’histoire, j’ai surtout en tête les séquelles concrètes, actuelles, de telles mesures approuvées en France. Nul ne peut ignorer aujourd’hui les difficultés des franco-turcs sur ces thématiques là. Des dizaines de milliers de fils et de filles d’immigrés d’origine turque sont devenus professeurs, ingénieurs, entrepreneurs, avocats, médecins, fonctionnaires - autant de professions inaccessibles à leurs parents. Mais à chaque fois et quel que soit leur niveau social, dès que la discussion arrive sur ces sujets, je m’aperçois que cela dérange.
Pourquoi ?
Parce que la République française à préférer choyer certains de ses enfants plutôt que d’autres. Qui veut que ces 2 communautés s’affrontent ? En ne prenant pas en compte la souffrance de ces franco-turcs, le gouvernement persiste à ne pas tenir son rôle de médiateur et met en quelque sorte à l’écart ces habitants. Il faudrait en mon sens plutôt une alliance pour former un pont entre arméniens et turcs. Les franco-turcs se disent affectés par cette haine des turcs qui est transmise de génération en génération. Il suffit pour cela d’aller voir certains sites internet , d’écouter leur radio ou lire leurs médias.
Est-ce la réponse des franco-turcs ?
C’est leur ressentie...Je souligne cependant que les jeunes franco-turcs d’aujourd’hui n’ont pas à raser les murs, car nombre d’entre eux font entendre leur voix avec leurs associations et plus récemment dans les urnes... Car ils savent bien qu’il leur faut plus que jamais prendre en main leurs affaires et se battre pour changer la politique menée depuis des années par les gouvernements successifs, de gauche comme de droite.
Que pensent-ils de la politique ?
Ils pensent que les voix communautaire deviennent un enjeu électoral. Ils préféreraient qu’il soit appliqué le principe d’indifférence aux origines. Or pour l’instant ces étapes ne sont pas dépassées. Ils disent aimer la France, mais une France ouverte.
Comment se manifeste l’engagement politique de ces franco-turcs ?
Il est clair qu’il n’est pas différent de celui de leurs concitoyens de culture franco-française, franco-italienne, franco-polonaise ... Pourquoi le serait-il ? A l’instar des autres jeunes Français, vous trouverez parmi eux des gens très engagés politiquement, d’autres désillusionnés, indifférents ou amers à l’égard du fait politique et de leurs représentants. Mais le réel problème n’est pas forcément leur engagement, mais la place qui leur est faite au sein des partis à tous les niveaux, surtout local.
On parle souvent de la nouvelle génération et moins de la 1 ère génération de turcs, pourquoi ?
Effectivement, on les voit tellement peu et on en parle tellement peu qu’on en vient même à oublier leur existence. Pourtant ces turcs font aussi parti de l’histoire de la France . Avec l’aide d’autres communautés, ils ont sué pour elle, pour construire ses immeubles, ses routes, à bas prix certes. Mais leurs objectifs étaient rappelons-le d’offrir à leurs enfants un autre avenir et surtout de retourner en Turquie. Il est clair qu’aujourd’hui la société ne leur offre à eux aucune reconnaissance et ne leur accorde aucun respect non plus. Il suffit pour cela de tendre les oreilles aux guichets sociaux pour se faire une idée de la manière dont ils sont traités.
Est-ce que ces turcs vont retourner en Turquie ?
Est-il nécessaire de rappeler que ces turcs ne sont pas venus en France par hasard ? Leur dernière demeure sera sans doute en France. Mais les municipalités ne sont pas prêtes à accueillir des carrés musulmans, où très peu encore. Il en existe quelque uns en France. Pourtant même les non-pratiquants sont souvent attachés au respect de la tradition funéraire, si bien que beaucoup de turcs se font enterrer en Turquie. Non seulement il y a un coût important lors de ces rapatriements mais émotionnellement cela doit être dur pour leurs enfants d’abandonner à plus de 3 000 km le corps de leurs parents. Finalement est-ce un moyen d’empêcher l’enracinement ? C’est vrai que dans le scénario du départ rien n’avait été prévu pour cela...Il faudra donc s’adapter comme la France l’a fait pour d’autres communautés.
Une dernière remarque ?
Oui, je trouve que c’est aux jeunes eux-mêmes de décider comment ils entendent défendre leurs revendications. Il faut le dire clairement : les fils et les filles d’origine turque n’ont guère de chances de vivre et de faire vivre à leur descendance une vie descente s’ils ne prennent pas toute leur place - avec les compromis que cela implique - dans la société française. A l’inverse, cette dernière n’a guère de chance de sortir de la crise économique, sociale, politique mais aussi culturelle, spirituelle et identitaire qu’elle traverse si elle ampute de l’apport, des énergies et des compétences d’une part non négligeable de sa population.
Pour terminer j’invite tous les citoyens français d’origine turque à se mobiliser pour les élections à venir.
Leurs voix passent par les urnes, surtout !