« Les Turcs sont très bons porter des pierres »
John McCluskey, PDG d’Alamos Gold
Le mois dernier, TEMA, la fondation turque pour la reforestation, la lutte contre l’érosion et la protection de la biodiversité, a tiré l’alarme, révélant que la société canadienne d’extraction d’or : Alamos Gold ne respectait pas le cahier des charges de la ÇED, le Comité d’évaluation des effets environnementaux et avait dessouché pas moins de 195 mille arbres dans le parc naturel des monts Kazdağları (Le mont Ida). Il s’en est ensuivi une large vague de mobilisation suscitant des campagnes de protestation dans tout le pays.
Le célèbre historien İlber Ortaylı, dans une tribune au vitriol du 4 août 2019 parue dans le quotidien Hürriyet intitulée : « Vatanımıza sahip çıkalım » (Protégeons notre pays) s’est alarmé de l’effroyable déboisement survenu dans les forêts turques, Kazdağları. L’historien s’en est violemment pris à la déclaration officielle du Ministère turc de l’Énergie et des Ressources naturelles qui avaient minimisé la situation et l’a jugée « éloignée de toute réalité et que l’extraction de l’or nécessite forcément l’utilisation de cyanures dont les déchets sont très toxiques ».
Comble de l’ignominie et du cynisme, John McCluskey, le PDG d’Alamos Gold avait expliqué à l’antenne de Bloomberg, pour rassurer ses actionnaires, que « Les Turcs sont très bons pour porter des pierres » !...
Je vous soumets, ci-dessous, une traduction d’un article du chroniqueur Yılmaz Özdil publié le 31 juillet 2019 qui crie son effroi devant cette catastrophe infligée à l’environnement et à la nature luxuriante de la Turquie.
De plus, si certains pensent toujours naïvement que la Turquie ne peut pas exploiter ses richesses naturelles en raison de Lausanne, voici la preuve de leur erreur avec cette infâme opération d’extraction d’or. Pour le coup, on aurait aimé leur donner raison...
TRADUCTION
C’était en 1930.
Par un aussi beau temps ensoleillé.
Mustafa Kemal était dans la ferme présidentielle de Yalova.
Il aperçut des horticulteurs avec scies et sécateurs en main. Que se passe-t-il ? Interrogea le Pacha.
Le platane à côté de la résidence en bois de 2 étages avait poussé, un peu trop vite, puisqu’il venait étreindre le mur de la bâtisse. Ses branches étaient sur le point de pénétrer par la fenêtre du second étage. Le personnel d’entretien avait donc prévu de l’élaguer.
« Certainement pas ! » empêcha Mustafa Kemal !
« Cet arbre ne doit sûrement pas être coupé. Il faut bouger la maison » enjoignit le président.
Bien évidemment, ils ne comprirent pas.
Il répéta : « Ce platane ne doit pas être coupé, il faut faire coulisser la maison ».
A cette époque, alors que l’idée même d’un telle mission semblait impossible, sinon saugrenue, son exécution fut confiée à la mairie d’Istanbul qui dépêcha une équipe technique dirigée par l’ingénieur en chef : Ali Galip Alnar.
Le bâtiment fut rigoureusement circonscrit et l’équipe descendit au niveau des fondations. Des rails de chemin de fer furent lentement et habilement glissés sous la maison petit à petit tel un travail d’orfèvrerie. Qui va doucement va sûrement. L’édifice venait d’être mis sur rails pour un mouvement de translation.
Puis, des chevaux de trait furent attelés à la structure sur rails et, pas à pas, en l’espace de 3 jours, la résidence glissa de 4 mètres et 80 centimètres.
Le Président Atatürk avait assisté à chaque instant de l’accomplissement de ce travail unique. Il avait même insisté pour vivre dans les mêmes conditions que les ouvriers.
L’histoire de la « Maison qui bouge » fut publiée le 10 août 1930 par le quotidien Cumhuriyet et devint l’objet de critiques acerbes.
Le Tout Ankara était en ébullition. Les opposants s’étaient trouvés là de la matière à raillerie.
« L’État n’a-t-il donc aucune autre affaire sérieuse à régler ? Il ne s’agit que d’un arbre ! Faut-il dépenser tant d’argent pour quelques branches » assénait-on en coup de semonce.
Si l’on considère que la conscience écologique s’est développée à partir des années 70, on peut aisément comprendre ces reproches de l’époque.
Comme toujours, Atatürk écouta ses détracteurs. Mais, à ceux qui demandaient si l’Etat n’avait pas mieux à faire que de s’occuper d’un arbre, il rétorqua : « Cet arbre représente l’Etat ! ».
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Oui, nos arbres représentent l’État.
La flore représente l’État,
Nos mers, nos lacs, nos fleuves, nos rivières,
Nos terres où s’élèvent nos céréales jusqu’à la moisson représentent l’État,
Mais aussi nos écureuils,
Nos tortues,
Là où nos hirondelles font leur nid, tout représente notre État,
Le soleil est partout, le même soleil,
Mais brille-t-il partout avec la même splendeur que chez nous ?
Réchauffe-t-il tous les cœurs comme chez nous ?
Le souffle de nos vents, le chant de nos cigales, l’odeur de nos montagnes,…
Nos forêts, tout, toute notre nature représentent l’État.
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Le Canada, par exemple, est un État ayant pour symbole l’érable.
Le drapeau du Canada est surnommé l’Unifolié, soit « le drapeau à la feuille d’érable »
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La superficie du Canada atteint presque 10 millions de km² et tenez-vous bien, la moitié du pays, soit 5 millions de km², est recouverte de forêts.
Pour mieux comprendre, sa surface boisée est grande comme 7 fois la Turquie !
Sa flore, sa faune, sa vie sauvage sont quasiment immaculées.
Vous ne pouvez même pas abattre un seul arbre au Canada.
À l’exception de travaux de peuplement forestier ou de rajeunissement, vous ne pouvez pas y trancher une seule branche.
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Mais, force est de constater que le même Canada ne se gêne nullement pour parcourir 9 mille kilomètres, venir en Turquie, et y abattre 195 mille arbres !
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Pourquoi ? Parce que les étrangers qui ne peuvent toucher à une seule branche dans leur pays, savent que les Turcs n’ont plus cure de leurs forêts, qu’ils ont oublié depuis belle lurette que leurs forêts représentent leur État !
Les étrangers savent très bien que les faux dévots turcs sont des êtres vénaux qui instrumentalisent la religion, vénèrent le culte de l’argent, enfilent le masque du patriotisme, mais se moquent de la patrie, et que si vous payez bien ces corrompus, ils peuvent même vous vendre l’acte de propriété de la nation.
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Observez cette photographie.
Où est l’arbre qui représente l’État ?
Y voyez-vous l’État ?!
Moi, je vois une effroyable calvitie, un vide, un vol, un viol.
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Nos Kazdağları, ces forêts d’émeraude de notre pays paradisiaque, sont ravagées par des esprits de bédouin en quête de désert aride !
Les Kazdağları se situent en Troade entre Balıkesir et Çanakkale. Ces monts portent le nom de la nymphe Ida, mais ont été baptisés « Kaz » (Oie) car l’oie a une place importante dans la culture nomade Yörük des Turcs anciens. Après les Alpes, la chaîne montagneuse du mont Ida, Kazdağları offre la plus grande réserve d’oxygène. Elle abrite 32 variétés de plantes endémiques. Par exemple, le sapin Göknar ne pousse que dans cette région. En 1993, ce territoire est devenu parc naturel avec le statut de site protégé.
Accessoirement, sachez que selon Homère, c’est de là que Pâris, fils du roi Priam, rendit son célèbre jugement « Pour la plus belle » en désignant Aphrodite au détriment des 2 autres déesses : Héra et Athéna.
Et c’est aussi au mont Ida que les dieux olympiens s’installèrent pour observer le déroulement de la guerre de Troie qui s’en aura suivi.
Dans l’Iliade, Homère qualifie Ida de la chaîne « aux mille sources ».
Et nos dirigeants ont laissé des étrangers assécher nos « mille sources » et anéantir nos forêts !
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Comment peut-on vivre avec la honte d’un tel désastre écologique ? Alors que notre pays a été bâti sur la devise : « L’arbre représente l’État », nous en sommes arrivés à faire dessoucher nos forêts. Comment peut-on laisser cette barbarie agir impunément ?
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La République de Turquie a 96 ans.
Dernièrement, des mesures scientifiques ont permis de déterminer que le platane que Mustafa Kemal avait refusé de faire couper avait 400 ans !
Quel est l’âge selon vous des arbres massacrés dans les forêts de Kazdağları ?
Si je vous dis qu’ils étaient plus âgés que ce platane, bougerez-vous un seul sourcil ?
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Si vous voulez mon avis, le problème n’est pas l’extraction d’or.
Il ne s’agit pas non plus d’un problème lié au Canada ni à un autre pays impérialiste,
Le problème, c’est nous, c’est notre dirigeant, c’est moi, c’est toi, c’est nous mon ami !
Sommes-nous devenus à ce point sourds et inconscients ? La callosité de notre cœur était-elle devenue à ce point épaisse qu’elle nous rend aussi insensibles ?
Le vénal PDG d’Alamos Gold, John McCluskey aurait donc raison de qualifier les Turcs de vulgaires portefaix qui détruisent leur pays ?
Yılmaz Özdil
31 juillet 2019
©Traduit du turc par Özcan Türk
Source de l’article en turc : https://www.sozcu.com.tr/…/yazarlar/yil…/kazdaglari-5257529/