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Fikret Adanır, "Le génocide arménien ? Une réévaluation", in L’actualité du génocide des Arméniens : Actes du colloque organisé par le Comité de défense de la cause arménienne à Paris-Sorbonne, les 16, 17 et 18 avril 1998, Créteil, Edipol, 1999 :

"Le second tournant eut lieu à l’intérieur du camp arménien. Devant la désastreuse défaite ottomane dans les guerres balkaniques et le fait que certaines promesses des Jeunes-Turcs (comme celle concernant le problème des terres arméniennes) ne s’étaient pas concrétisées, la Fédération Révolutionnaire Arménienne décida de remettre la solution de la Question arménienne entre les mains des Grandes Puissances.

Ces changements conduisirent à une grave crise au sein des relations entre Jeunes-Turcs et Arméniens en 1913 et 1914, au moment où, devant une intervention renouvelée des Grandes Puissances, la question de l’autonomie des "provinces arméniennes" devint le sujet d’un marchandage diplomatique. L’insistance des Arméniens sur le fait que seule la population sédentaire devrait se voir attribuer des droits civiques dans l’éventualité d’une région autonome, exigence dont l’acceptation serait revenue, du point de vue du CUP, à un affront injustifié vis-à-vis de l’opinion kurde , était au centre du débat. Les Arméniens voulaient également maintenir les réfugiés musulmans hors de leur future province autonome. " (p. 410-411)

Fuat Dündar, Crime of Numbers : The Role of Statistics in the Armenian Question (1878-1918), New Brunswick, Transaction Publishers, 2010 :

"De plus, les données [démographiques] fournies par les Arméniens étaient parfois incohérentes, ce qui a aggravé la confusion. Un problème majeur était les données fournies par des politiciens arméniens tels que Marcel Léart (l’avocat Krikor Zohrab, membre du Parlement ottoman) et Boghos Nubar Pacha. Alors qu’ils affirmaient que les données provenaient du Patriarcat arménien de Constantinople, les données qu’ils citaient étaient exagérées. Aucun document (ni l’original ni les copies des originaux) n’a été trouvé pour étayer leurs affirmations. " (p. 2-3)

Marcel Léart (Krikor Zohrab), La Question arménienne à la lumière des documents, Paris, A. Challamel, 1913 :

"Les Arméniens n’avaient jamais nourri de desseins politiques [ce qui est démenti par les documents de la diplomatie britannique , pour ce qui est des années 1890] ; la sécurité de leur vie, de leur honneur, de leurs biens, la possibilité de travailler et de jouir du fruit de leur travail, le droit de conserver leur culture nationale formaient, comme ils la forment encore aujourd’hui, leur seule ambition. Les Jeunes-Turcs (Comité Union et Progrès) qui voulaient délivrer leur pays des mains d’Abdul-Hamid, ne pouvaient pas ne pas respecter des droits aussi élémentaires, des désirs aussi modestes. Ils en avaient pris, vis-à-vis du comité révolutionnaire arménien Daschnaktzoutioun, l’engagement solennel (entente de Paris, décembre 1907). A défaut d’une garantie meilleure, le rétablissement de la constitution, loyalement appliquée, avait été mis à la base de leur entente.

On sait comment cette constitution déçut les espérances qu’on avait placées sur elle. Ce n’est pas ici le lieu d’en rechercher les motifs. Les épouvantables massacres d’Adana , avec leur cortège accoutumé de pillage, de viols, d’outrages de toute sorte, montrèrent que le fanatisme religieux n’avait rien perdu de sa force sous le régime constitutionnel. Plus de 20,000 Arméniens de tout âge, enfants, vieillards, femmes, furent tués à Adana et dans les environs [Zohrab se garde bien de mentionner les provocations des hintchakistes à Adana, ou d’exprimer ici un minimum de gratitude pour l’action pacificatrice et constructive de Cemal (qui lui a valu les éloges des missionnaires catholiques sur place)]. Tous ceux qui avaient cru pouvoir vivre en Turquie sous un régime de justice et d’égalité, renoncèrent vite à cet espoir. Dans l’Arménie proprement dite, il n’y eut pas d’extermination en masse ; mais les assassinats, les pillages fleurirent grâce à l’impunité accordée à leurs auteurs et érigée en système politique. Les Arméniens commencèrent de nouveau à émigrer (1910-1912). Le Gouvernement Jeune-Turc ne s’en émut pas. Il voyait ses désirs exaucés [les Jeunes-Turcs ont en réalité fait des efforts concrets pour réduire le pouvoir de nuisance des féodaux kurdes (notamment par le biais de la modernisation de l’armée), et Zohrab lui-même s’était vanté (en 1911) d’être à l’origine de la nomination de gouverneurs jeunes-turcs intègres et consciencieux en Anatolie (Bekir Sami à Van)].

Mais le vide si désiré par les hommes d’Etat ottomans ne s’est pas encore fait. En dépit des massacres, du pillage et des entreprises sans nombre pour chasser et pour déposséder les Arméniens de leurs terres, ceux-ci forment encore aujourd’hui, au moment précis où s’ouvre de nouveau la question d’Orient dans toute son ampleur et où la question arménienne se pose devant la conscience du monde civilisé , la nationalité la plus importante dans toutes ces provinces aussi bien par leur nombre que par leur puissance économique , leur culture intellectuelle et leur aptitude au travail. Ils restent l’unique élément de civilisation dans ces contrées [allégation qui implique un mépris profond pour les divers musulmans (alors que l’Anatolie orientale abritait un riche patrimoine architectural turc et même mongol-ilkhanide), mais aussi pour les Juifs locaux et les Assyro-Chaldéens ] où une administration qu’on ne saurait qualifier a apporté la désolation. " (p. 7-8)

"La dispersion des Arméniens par les persécutions, l’usurpation de leurs terres et par les massacres, l’installation dans les villages arméniens de Kurdes [c’est-à-dire leur sédentarisation, pour qu’ils renoncent au brigandage que subissaient les paysans arméniens, turcs et kurdes ] et d’émigrés Tcherkesses [expulsés par la Russie tsariste ], ont été complétées par ces délimitations artificielles [des districts]." (p. 9)

"On ne peut pas nous objecter que nous ne tenons pas compte des massacres de 1895-1896 , de ceux d’Adana, des émigrations. En évaluant le chiffre actuel des Arméniens en Turquie à 2.100.000, non seulement nous ne prenons pas en considération l’accroissement dû aux naissances pendant ces trente dernières années, mais nous faisons une réduction d’environ 900.000 sur le nombre d’avant trente ans.

Il ressort de l’analyse de la dernière statistique du Patriarcat que, dans l’Arménie turque, l’élément arménien forme environ le 39 % de la population totale, alors que l’élément turc n’en représente que le 25 %, et l’élément kurde, même réuni aux autres races, supposées ses parentes, telle que les Kizilbaches [alévis ], les Zazas (1), etc., le 24, 5 %.

Au point de vue de la nationalité, les Arméniens forment donc la majorité vis-à-vis des Turcs et des Kurdes, respectivement. Le Gouvernement turc, pour démontrer que l’élément arménien est en minorité, le met en face des Turcs et des Kurdes réunis, en faisant valoir que ces derniers sont tous les deux de religion musulmane. La religion n’a rien à faire dans les questions de nationalité et le calcul fantaisiste du Gouvernement turc ne saurait être admissible.

(1) Les Zazas sont considérés, à tort, selon nous, comme des races kurdes. Les Zazas sont des Arméniens convertis à l’islamisme [les Zazas sont en fait une ethnie apparentée aux Kurdes et relevant de la famille iranienne, et s’ils ont pour partie des origines arméniennes (et turkmènes), les Arméniens ne sont pas non plus une "race pure" et ont eu des compagnes zazas , semble-t-il]. On retrouve dans leur langage un grand nombre de mots arméniens, tels que : « ardjidj » (plomb), « gochgar » (cordonnier), etc.

Leurs mœurs en témoignent aussi. Ils portent sur leur calpak le signe de croix. Dans leur famille, on fait, sur les pains préparés à la maison, le même signe. Nous pourrions multiplier ces preuves." (p. 11)

"Les chrétiens placés sous la domination ottomane n’ont jamais abandonné l’idée de recouvrer un jour leur indépendance. Ils y renonçaient d’autant moins qu’ils ne pouvaient devenir citoyens de l’Empire turc, ni les égaux des musulmans, sans abjurer leur religion. L’abîme était resté toujours ouvert entre conquérants et conquis. Le Gouvernement turc était donc tenu, à l’égard de ses sujets chrétiens, à une politique de suspicion et d’étroite surveillance. Rien de plus naturel qu’il ait systématiquement écarté les chrétiens des fonctions publiques [ce qui est totalement mensonger pour les Tanzimat, le régime hamidien et la révolution jeune-turque : des sous-secrétaires d’Etat , des ministres , des diplomates , des fonctionnaires de divers échelons de l’administration intérieure , des policiers furent recrutés chez les Grecs, les Arméniens (grégoriens ou catholiques) et les Arabes chrétiens, ajoutons qu’il y a eu des officiers chrétiens dans l’armée ottomane jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale].

Affaiblir les chrétiens dans leur nombre et dans leur puissance économique, les seules forces matérielles dont ils pussent disposer, mettre des entraves à leur culture nationale , l’unique force morale qui pouvait les soutenir, telle a été la politique que les circonstances ont imposée au Gouvernement turc ; les fréquents soulèvements , toujours couronnés de succès, des diverses nationalités chrétiennes lui semblaient une raison de plus de persévérer dans sa politique." (p. 16)

"La question arménienne ne se pose pas devant l’Europe comme une simple question humanitaire. Elle constitue la suite naturelle, en Anatolie, de cette question de la Perse , où la Russie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne se guettent et s’épient anxieusement.

Le massif montagneux qui s’appelle l’Arménie turque commande, au sud, toute la région qui s’étend vers le golfe Persique, à l’ouest, celle qui mène à la Méditerranée ; d’un côté c’est Bagdad et Bassora, de l’autre Mersine et Alexandrette, les deux points terminus d’une route mondiale d’une importance sans égale, à travers une contrée unique par sa fertilité à juste titre légendaire.

Quel que soit le sort que réserve l’avenir à cette contrée, la population arménienne apparaît comme devant y jouer un rôle important, parce qu’elle est le seul élément d’ordre et de civilisation sur lequel on puisse compter. En dépit de la Turquie qui avait entrepris son extermination et de l’Europe qui l’avait abandonnée, la voici plus vivante que jamais, bien résolue à défendre son existence. Elle a versé trop de sang pour n’avoir pas le droit de demander que les spéculations politiques n’aillent pas jusqu’à l’abandonner plus longtemps à un régime de persécutions et de massacres.

Personne n’y gagnerait, d’ailleurs. La Turquie, tout d’abord, y trouverait sa fin. Voudrait-elle enfin ouvrir les yeux à la vérité ? On n’oserait l’espérer. Les Arméniens ont été toujours ses loyaux sujets. Toutes les fois que le Gouvernement s’est montré bienveillant à leur égard, si peu qu’il l’ait fait, ils ont répondu par le plus entier dévouement, ils ont fait plus que leur devoir. L’exemple qu’ils ont donné en Perse est à méditer. Une poignée d’Arméniens ont fait à ce pays un rempart de leur corps. En Turquie, pendant la dernière guerre, ils ont été au feu sans hésiter [allégation extravagante ] ; et pourtant ils avaient subi les massacres d’Adana et leurs coreligionnaires continuaient à être l’objet de mille persécutions [calomnie]. Alors qu’ils combattaient aux premiers rangs de l’armée [ridicule ], les Kurdes enlevaient leurs femmes et leurs filles pour les convertir à l’islamisme et cela avec le concours du Gouvernement [les diplomates occidentaux constateront les retombées très positives du gouvernorat de Tahsin Bey à Van , les forces de sécurité ottomanes materont les fauteurs de troubles kurdes à Van (1913) et Bitlis (1914) ]. Il faut que les Turcs comprennent que ces abominations doivent cesser et qu’il est de leur intérêt de rendre aux Arméniens la vie possible dans l’Empire ottoman. En 1878, la Turquie fut mieux inspirée quand elle songea, un instant, à faire de ce petit peuple le gardien de sa frontière de l’est [selon la dachnake Anahide Ter Minassian, les Arméniens réservaient déjà un "accueil délirant" à l’armée russe , à ce moment-là...].

Quant à la Russie, elle serait dans l’erreur si elle croyait qu’en contribuant à l’amélioration du sort des Arméniens en Turquie, elle risquerait d’éveiller des espérances politiques parmi ses populations arméniennes du Caucase. Cette erreur, elle l’a déjà commise : c’est ainsi, et la chose a pu paraître surprenante, qu’après avoir été la première à prendre en mains la cause des Arméniens par le traité de San Stéfano, elle ait assisté impassible aux massacres de 1895. Visiblement, les agissements des partis révolutionnaires arméniens l’avaient indisposée. Le Gouvernement russe redoutait qu’ils n’allumassent chez elle le même incendie ; c’est qu’il avait quelque peu méconnu le caractère de leurs tendances. Il est vrai qu’en Russie, les partis arméniens avaient défendu quelques idées avancées. Mais leurs vœux n’avaient jamais dépassé ceux de la jeunesse russe. En temps qu’Arméniens, ils n’ont jamais manqué de loyalisme à l’égard de la Russie. On n’a jamais pu les accuser de nourrir des idées séparatistes. Leurs aspirations mêmes au sujet de l’avenir de la Russie sont une preuve de leur attachement à ce pays. En outre, en Russie, de même qu’en Turquie, les Arméniens sont entourés de populations musulmanes assez nombreuses. Les Arméniens peuvent leur servir de contrepoids : il serait imprudent de laisser disparaître un élément d’équilibre aussi précieux.

Depuis trois ans, le Gouvernement russe semble revenu à une plus juste appréciation des choses. Il a pu se convaincre qu’en travaillant à améliorer le sort des Arméniens de Turquie, il se créerait de nouveaux titres à leur reconnaissance. C’est lui, qui cette fois, encore, a fait, le premier, des démarches auprès de la Porte pour l’avertir que de nouveaux massacres arméniens ne seraient plus tolérés ; les Arméniens de Turquie ne peuvent que savoir gré à la Russie de leur faire oublier la cruelle formule du prince Lobanow : une Arménie sans Arméniens. " (p. 23-24)

J. Sivadjian, Archag Tchobanian. Notice biographique et bibliographique rédigée d’après le texte arménien de K. Fenerdjian, Paris, O. Zeluk, 1938 :

"Déjà avant la guerre, un certain nombre d’intellectuels arméniens avaient eu l’idée de fêter le jubilé du vingt-cinquième anniversaire de l’oeuvre littéraire de Tchobanian [alors membre du Ramkavar, un des trois "grands" partis nationalistes arméniens]. En 1913, le grand écrivain K. Zohrab prit l’initiative d’organiser cette manifestation à Constantinople. Il fut constitué un Comité dont le président était Zohrab lui-même. La cérémonie devait avoir lieu au printemps de 1914. Tchobanian, qui avait commencé à ce moment l’impression du premier volume de sa Roseraie, qu’il désirait terminer avant de se rendre à Constantinople, exprima le désir pour que la cérémonie fût retardée de quelques mois. Peu après survenait la guerre, où périt Zohrab, assassiné par les Turcs [en réalité, par des Circassiens (population détestée par Zohrab, comme on l’a vu), dont les meneurs seront condamnés à mort et exécutés à la suite des démarches du Turc Cemal Paşa, cf. ci-dessous] avec tant d’autres éminents intellectuels arméniens [en fait des nationalistes arméniens soupçonnés de terrorisme (dans un contexte d’affrontements multiples avec la Triple-Entente), dont beaucoup ont eu la vie sauve ]." (p. 20)

Hilmar Kaiser, entretien avec Khatchig Mouradian (traduction en français de Louise Kiffer), The Armenian Weekly, 8 mars 2008 :

"Il [Yusuf Halaçoğlu ] a le matériel des poursuites judiciaires des criminels de guerre pendant la guerre. De mon côté, j’ai obtenu ma propre copie du matériel, mais il y a le respect universitaire – c’est-à-dire qu’il a le droit de le publier le premier.

Selon ce matériel, les gens qui ont volé de l’argent, qui ont tué, etc... ont été condamnés. La liste identifie les coupables, ce qu’ils ont fait, et quelle a été leur sanction. Nous savons, par exemple, que les meurtriers de Zohrab et de Vartkès Effendi ont été exécutés par Djémal , et il y a eu d’autres exécutions. Les gens qui ont volé de l’argent à la population arménienne et qui l’ont mis dans leur poche au lieu de le remettre au gouvernement ont été pénalisés. Nous savons cela mais nous avons besoin d’une analyse sérieuse des faits. Nous n’avons pas encore de réponse décisive."

Voir également : L’absurdité pernicieuse des nationalismes grand-grec et grand-arménien

La "Grande Arménie" (Miatsial Hayastan) : un projet colonial de type "européen" ?

L’influence du darwinisme social sur le nationalisme arménien

La cause arménienne (Hay Tahd), ou le combat racial des "Aryens" contre les "Touraniens"

Antoine Meillet : socialisme, fantasmes indo-européens et arménophilie militante

L’arménophilie de Paul Rohrbach

http://armenologie.blogspot.com/202... Johannes Lepsius dans l’imaginaire nazi

Vahan Totomiantz : socialisme coopératif et suprémacisme arméno-aryen

1912-1914 : la réactivation du thème de l’"autonomie arménienne" et les velléités de la Russie tsariste sur les vilayet d’Anatolie orientale

Le 24 avril 1915, la décision des déportations vers la Syrie-Mésopotamie n’avait pas été prise

Que s’est-il passé à Istanbul le 24 avril 1915 ? Une vague d’arrestations contre la mouvance Dachnak-Hintchak

"Génocide arménien" : les élites arméniennes d’Istanbul (après la descente de police du 24 avril) et les Arméniens d’Anatolie exemptés de déportation

Les témoignages arméniens sur le "génocidaire" Cemal Paşa (Djemal Pacha)