"Buts et conséquences de la guerre", Bulletin quotidien de presse étrangère, n° 601, 23 octobre 1917, p. 2 :
"L’avenir de la Syrie. — Pour prix de ses sacrifices, la Syrie espère de la paix la complète disparition des Capitulations et des influences étrangères. Elle veut avoir des écoles à elle, et n’être plus obligée d’envoyer ses enfants chez les Jésuites, les Américains ou les Russes. Même les Maronites sont las de la tutelle étrangère, et le peuple syrien n’a qu’un rêve : c’est d’être maître dans s’a maison. Si l’administration turque s’améliore , toute la Syrie verra son salut dans l’ottomanisme. A l’intérieur, elle attend la complète égalité entre Turcs et Syriens ; elle désire des réformes adaptées à son caractère particulier et à ses aptitudes. La population de la Syrie est arabe ; elle appartient donc à la race dont les ruines de Baalbek, de Palmyre et de Petra attestent la civilisation. La Syrie veut être traitée comme il convient à son passé et à son présent. De grands travaux devront être entrepris : dessèchement des marais, irrigation des plaines, etc. L’industrie locale devra être protégée par des tarifs douaniers. Il faudra multiplier les écoles arabes, et on serait heureux de voir envoyer en Allemagne , pour s’y instruire, des jeunes gens syriens ; la Syrie souhaite que la langue arabe soit honorée comme elle le mérite. Nos frères de Constantinople feront bien de rester pénétrés de ces vœux syriens et de ne pas se laisser entraîner par un nationalisme faux, mesquin et déplacé à maltraiter leur plus belle province [une insinuation visant sans doute la gouvernance de Cemal Paşa , qu’Arslan n’appréciait guère en raison des exécutions frappant des personnalités nationalistes arabes : Cemal était par ailleurs le triumvir le plus proche du Foyer turc ; incidemment, le rôle protecteur de Cemal, vis-à-vis des Arméniens déplacés en Syrie, est confirmé tant par l’historien philodachnak Hilmar Kaiser que par le nationaliste arménien Vahakn Dadrian ]. — (Emir Chékib Arslan, député druse du Hauran, rédacteur en chef d’Al-Chark, de Damas) Kölnische Zeitung, 17.10."
"Le front méditerranéen", Bulletin périodique de la presse allemande, n° 93, 8 octobre 1918, p. 2 :
"— Avec la Turquie, l’Allemagne entretient les meilleurs rapports. Le grand vizir Talaat Pacha à Berlin , le comte Bernstorff à Constantinople poursuivent l’œuvre de conciliation ; l’émir Shekib Arslan continue sa campagne en faveur du partage d’influence au Caucase (Rhein. Westf. Ztg., 13 et 15 ; Bull. quotidien 937). On fait grand bruit de la prise de Bakou par les Turcs, on voue aux gémonies Wussuq-el-Dauleh, favori de l’Angleterre et Perse ; on ne souffle pas mot du front de Palestine (cf. Germania, 18, Post, 20, et presse du 20 au 22)."
"Rapports entre alliés", Bulletin quotidien de presse étrangère, n° 937, 24 septembre 1918, p. 2 :
" « L’Allemagne, la Turquie et la question du Caucase » [sous ce titre]. — L’essentiel, c’est que le Caucase ne fait plus partie de la Russie. L’Allemagne n’hésite pas à reconnaître que la Turquie est la principale intéressée au Caucase. De son côté, la Turquie avoue que l’Allemagne est particulièrement intéressée à la pénétration économique du Caucase, qui doit fournir aux Empires centraux les matières premières nécessaires. Ces deux conceptions ne se heurtent pas ; car les besoins de l’Allemagne sont en même temps ceux de la Turquie et la cause allemande ne fait qu’un avec la cause turque. — C’est une illusion dangereuse d’admettre que la Russie ne sortira plus jamais de l’anarchie actuelle. Si le contraire se produit, ce qui est infiniment probable, il est très possible que le nouveau gouvernement russe cherche, par une politique agressive, à rattacher le Caucase au grand empire russe. Le but que nous devons atteindre, c’est de présenter aux puissances occidentales, à la conférence de la paix, un Caucase qui soit résolu, à tout prix, à garder son indépendance. — Il en est de même de l’Arménie. Les Turcs doivent s’intéresser au sort des Arméniens comme s’il s’agissait d’eux-mêmes. Pendant trop longtemps Paris et Londres ont pu exploiter la question arménienne au détriment et au préjudice de la Turquie. La prudence la plus élémentaire commande de bonnes relations et une aide réciproque entre l’Arménie et la Turquie , tellement les deux races sont mélangées au point de vue ethnographique. — Si la Turquie veut rester une grande puissance européenne, si elle veut conserver la direction de l’Islam, sa tâche la plus importante sera de reconquérir les provinces arabes, particulièrement la Palestine et la Mésopotamie. Il est à craindre que, si ces provinces ne sont pas reconquises par les armes pendant la guerre, l’Angleterre et l’Entente ne consentent à les restituer qu’à des conditions léonines, en vertu de leurs conventions diplomatiques. La Turquie et l’Arabie assurent l’Allemagne, leur alliée, qu’elles sont, plus que jamais, décidées à rester une grande puissance ottomane, composée de Turcs et d’Arabes, et qu’elles mettront tout en œuvre pour arracher à l’Angleterre les territoires turco-arabes qu’elle occupe. Nos opérations militaires au Caucase ne nous empêcheront nullement de chasser les Anglais de Palestine, de Mésopotamie et au besoin encore d’autres régions où ils se sont installés. — Nous remercions les Allemands de nous rappeler sans cesse que le premier devoir de la Turquie consiste à reconquérir ces provinces arabes, et nous espérons qu’ils nous aideront à chasser les Anglais et à détruire les plans gigantesques de l’impérialisme anglais , qui embrassent tout l’Orient. — La Turquie est bien persuadée que tout malentendu entre elle et l’empire allemand au sujet du Caucase disparaîtra. Nous avons besoin les uns des autres et nous avons affaire au même ennemi. Nous ne devons pas oublier, c’est particulièrement l’Allemagne qui doit bien s’en rendre compte, que, si le Caucase n’est pas à bref délai assis militairement et politiquement sur une base solide, les Anglais ne manqueront pas de s’en emparer. — (Emir Schekib Arslan) Rheinisch. Westfälische Zeitung, 14.9."
Schekib Arslan, "Offener Brief an Professor Lepsius", Vossische Zeitung, 4 juin 1921 :
"Cher Monsieur Lepsius !
Permettez-moi de revenir maintenant sur votre livre, publié l’année dernière, dans lequel vous essayez de prouver que les Allemands, contrairement aux allégations de l’Entente, ne sont pas impliqués dans les atrocités arméniennes, sans toutefois toucher le vrai cœur de la question : si la partie arménienne a suscité l’irritation des Turcs , et dans quelle mesure. Personne n’a protesté contre la déportation des Arméniens plus que moi et n’a essayé de prendre les mesures nécessaires pour les atténuer autant que possible [Arslan dissimule probablement une de ses motivations : Cemal escomptait en effet utiliser les déportés à réinstaller pour favoriser l’influence arménienne sur l’économie de la Syrie]. Votre ancien ambassadeur à Constantinople, M. Kühlmann , entre autres, pourra en témoigner. Je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point : l’acte était à la fois inhumain et non-politique. Personnellement, l’humanité est primordiale pour moi et je crois, quoi qu’on puisse penser, que l’Etat a la meilleure politique quand il considère l’humanité comme le commandement le plus élevé. Sur les points suivants, cependant, nos points de vue divergent.
1. Vous avez dressé le récit des massacres arméniens qui vous font dresser les cheveux avec horreur, et vous vous êtes rendu coupable d’exagérations, que toutes les preuves dont vous parlez, qu’elles soient au nombre de 400 ou 4.000, ne peuvent corroborer ; car d’un autre côté vous ne mentionnez pas l’ignominie que les Arméniens ont manifestement commise : la dévastation des pays turcs et kurdes, que toute l’Anatolie orientale doit encore subir aujourd’hui. Vous niez absolument ces actes commis par les Arméniens, tandis que les généraux russes et d’autres personnalités les ont solennellement admis et il y a des rapports officiels de commandants russes occupant les provinces de Van et Erzerum, et de ceux qui y vivaient sous leur bannière [les sources russes contemporaines corroborent effectivement l’existence de ces destructions et massacres : pour la séquence 1914-1916 comme pour celle de 1917-1918 ].
2. Vous admettez que des armes ont été trouvées parmi les Arméniens, mais vous affirmez que celles-ci leur ont été données par le Comité Union et Progrès lui-même alors qu’ils se battaient ensemble pour la Constitution turque. Eh bien, lorsque les musulmans ont donné des armes aux Arméniens, c’était parce qu’ils les considéraient comme des frères et qu’ils étaient inextricablement liés à eux. On ne peut raisonnablement imaginer que ces mêmes personnes, après avoir manifesté leur confiance envers les Arméniens, devraient recourir à leur expulsion sans raison. Quiconque émet un jugement objectif doit plutôt conclure, sur la base de vos propres déclarations, que les partisans de l’unité politique ont d’abord voulu marcher main dans la main avec leurs concitoyens arméniens et changer leur comportement à leur égard.
3. La Turquie a demandé à plusieurs reprises à l’Entente d’envoyer une commission d’enquête qui pourrait examiner sur place ce qui a été commis des deux côtés. Il aurait alors été établi que les Arméniens ont commis des crimes qui ne sont en rien inférieurs à ceux des Turcs [en réalité, davantage le fait de Lazes et de Circassiens ] et des Kurdes [et Zazas ] en termes de barbarie [prudemment, Arslan n’évoque pas les massacres d’Arméniens commis en Syrie, pendant et après la guerre : c’est toujours un sujet tabou chez les Arabes, volontiers prompts à magnifier leurs ancêtres en bloc]. Cependant, l’Entente n’a jamais obéi au souhait de la Turquie, pour punir la Turquie d’une part, puis pour sécuriser des sphères d’intérêts aux dépens des Arméniens. L’Europe n’a accédé qu’une seule fois à la demande de la Turquie d’ouvrir une enquête judiciaire, notamment sur la question de Smyrne, et dans ce cas, l’enquête était entièrement en faveur des Turcs. La mission alliée a déterminé à l’unanimité les crimes scandaleux des Grecs et a exigé leur expulsion de Smyrne. Si les Turcs avaient une conscience coupable et s’ils n’étaient pas convaincus qu’une enquête révélerait la grande culpabilité des Arméniens pendant la guerre, ils n’auraient pas insisté sur cette enquête [cf. les témoignages d’officiers britanniques ]. Au vu des indéniables atrocités perpétrées par les bandes arméniennes, vous avez essayé de prouver qu’il s’agissait de bandes arméno-russes et que les Arméniens turcs étaient totalement innocents de ces atrocités, que vous ne vouliez guère admettre. Permettez-moi maintenant de vous expliquer que vous vous trompez ; car ces bandes étaient composés d’Arméniens turcs et russes, représentant des milliers de personnes.
4. Vous voulez présenter les Arméniens sous un meilleur jour qu’ils ne le font eux-mêmes. Dans tout votre travail, vous répandez le fait que les Arméniens se sont comportés loyalement et correctement envers la Turquie pendant la guerre mondiale, que ces anges d’Arméniens étaient calmes et pacifiques, pour être ensuite enlevés et massacrés, par fanatisme musulman, par les Turcs. C’est l’essentiel de tout ce que vous voulez dire. Aujourd’hui, les Arméniens eux-mêmes ont avoué que dès le début de la guerre, ils se sont révoltés en masse contre les Turcs et ont rejoint la puissante Entente. Non seulement leurs journaux en parlent, non seulement leurs orateurs l’ont expliqué dans des conférences, mais vous pouvez même le lire dans les rassemblements officiels arméniens. Nubar Pacha , le chef de la délégation arménienne, écrit au Haut Conseil que les soldats arméniens sont passés aux Alliés dans les premiers jours de la grande guerre.
5. Si vous essayez de prouver que les Turcs ont consciemment provoqué les massacres arméniens, sans aucune raison, que dites-vous du fait qu’avant la guerre mondiale, les Turcs ont demandé à l’Angleterre d’administrer les provinces orientales d’Anatolie habitées par les Arméniens ? Et Sir Edward Gray a retiré sa promesse initiale sous prétexte que la Russie regardait de travers la nomination d’administrateurs anglais en Anatolie orientale ?
Je n’ai bien entendu pas l’intention d’évoquer ici toute la question arménienne, je voulais simplement réfuter ce que vous affirmez de manière générale. Cependant, si vous êtes préoccupé par les détails, le public pourrait recevoir les innombrables documents contenant des preuves accablantes que les Arméniens étaient des rebelles qui se sont laissés inciter par des éléments étrangers.
Enfin, Monsieur Lepsius, je voudrais vous demander d’où vous est venue l’idée de prétendre que le massacre des chrétiens était un acte qui plaisait au Prophète ? Parce que c’est ce qui est dit littéralement dans votre livre ! Peu de temps avant sa mort, Mohammed a dit à ses disciples : Si l’un de vous fait quelque chose de mal à un chrétien ou à un juif, je serai son adversaire le jour du jugement dernier ! Je pourrais vous donner d’innombrables paroles du Prophète et des versets du Coran, mais cela mènerait trop loin d’en citer davantage ici [le fanatisme anti-musulman est inséparable de l’arménophilie de Lepsius : on conçoit aisément qu’un tel fanatisme religieux (n’ayant rien à voir avec la critique rationnelle de dogmes et de rites) ait particulièrement heurté un intellectuel musulman comme Arslan]."
Source : https://docplayer.org/52098709-Pressespiegel-der-mord-an-talaat-pascha-1921.html
(p. 51-53)
Sur Chekib Arslan, et notamment ses relations étroites et suivies avec Jean Longuet (ancien secrétaire de rédaction de Pro Armenia) : L’émir druze Chekib Arslan, la Turquie et les impérialismes
1922 : l’ultime visite de Cemal Paşa (Djemal Pacha) en France
Famines du Liban et de la Syrie : le témoignage du grand-père maternel de Walid Joumblatt
L’arménophilie et l’arabophilie de Jean Longuet
Sur les Arméniens dans les pays arabes : "Les" Arabes ont-ils vraiment "sauvé" les Arméniens ? Les exactions des bandes tribales arabes contre les Arméniens durant la Première Guerre mondiale et peu après
L’installation des déportés arméniens à Deir ez-Zor (1915) L’intégration scolaire et militaire des déportés arméniens Empire ottoman : les Arméniens et la question cruciale des chemins de fer
Première Guerre mondiale : les efforts pour ravitailler et aider les déportés arméniens Première Guerre mondiale : les épidémies (meurtrières) et les famines (d’origine criminelle) dans les territoires ottomans Les témoignages arméniens sur le "génocidaire" Cemal Paşa (Djemal Pacha)
Cemal Paşa (Djemal Pacha), figure majeure de l’arménophilie turque
Ali Fuat Erden et Hüseyin Hüsnü Erkilet : d’une guerre mondiale à l’autre Cemal Paşa (Djemal Pacha) et les orphelins arméniens en Syrie : une politique d’intégration
Bekir Sami Kunduh : entre racisme anti-arménien et pragmatisme
Süleyman Nazif et les Arméniens
Le Grand Mufti de Jérusalem, les Kurdes et les Arméniens
Sur Johannes Lepsius et la Société germano-arménienne (Deutsch-Armenische Gesellschaft) : Les Arméniens et la pénétration allemande en Orient (époque wilhelmienne)
Johannes Lepsius dans l’imaginaire nazi