Heurts en Turquie, : état des lieux dimanche soir / TRIBUNE
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Des milliers de personnes occupent toujours dimanche soir la place Taksim, au centre d’Istanbul, en Turquie, pour une troisième journée de protestations contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan. La manifestation se déroule dans le calme. Plus tôt, la place était nettoyée des débris qui jonchaient le sol à la suite des violents heurts des derniers jours entre manifestants et forces de l’ordre. Ces manifestations constituent le plus violent mouvement de contestation depuis des décénies en Turquie. La police turque, qui bloquait l’accès à la place Taksim, s’est finalement retirée en cours de journée samedi, permettant aux manifestants de réoccuper la place.
Outre Istanbul, c’est dans la capitale, Ankara, ainsi que dans les villes d’Izmir et Adana que les heurts continuent entre les manifestant et la police qui a tiré dimanche après-midi des gaz lacrymogènes pour disperser les foules. Des milliers d’habitants de plus de 54 grandes villes en Tuquie sont descendus par centaines de milliers dans les rues. Le ministre de l’Intérieur, Muammer Güler, a annoncé samedi à la télévision que la police avait arrêté 939 personnes au cours de 90 manifestations survenues dans 48 villes, mais que certaines de ces personnes étaient déjà libres. Le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan a, quant à lui, demandé l’arrêt immédiat des manifestations et a réaffirmé qu’il entendait mener à bien le projet d’aménagement urbain prévu place Taksim, à l’origine du mouvement de protestation.
Les affrontements à Istanbul et dans d’autres villes ont fait en deux jours 79 blessés, dont 53 civils et 26 policiers, selon le bilan officiel. Amnesty International parle de deux morts et de plus d’un millier de blessés, des chiffres qui n’ont pas pu être confirmés.
Tout est parti du projet de destruction du parc Gezi situé sur la place Taksim d’Istanbul, provoquant la colère opposition des riverains et de militants écologistes. Au départ, à peine une cinquantaines de manifestants occupaient le parc pour empêcher la disparition de l’un des rares espaces verts publics d’Istanbul pour être remplacés par un centre commercial. La manifestation pacifique, sous la forme d’un sitting, s’est transformée en mobilisation plus générale contre le gouvernement lorsque la police est intervenue de manière jugée trop musclée.
Mais l’unique raison de ce mouvement de colère n’est le projet de destruction du parc. Les protestations visent plus généralement les politiques menés par le gouvernement du premier ministre à qui l’on reproche notamment une influence croissante de la religion dans les affaires publiques et des procès politiques envers ses opposants.
D’autres manifestations avaient déjà eu lieu les mois précédents, rassemblant des milliers de personnes devant la maison d’arrêt de Silivri (banlieu d’Istanbul) où sont emprisonnés des dizaines d’intellectuels, des journalistes, des militants et des militaires haut-gradés, tous de la mouvance pro-laïque, accusés de faire partie de la supposée mouvance Ergenekon. Ceux-ci sont emprisonnés, depuis plusieurs années pour certains, en attente de leur jugement. Un procès fleuve que certains accusent l’AKP de faire trainer en longueur pour affaiblir l’opposition.
Dernièrement, une loi restreignant la consommation et la vente d’alcool et la décision du gouvernement de mener des négociations avec le mouvement terroriste kurde PKK et sa vitrine légale le BDP a également ravivé les rancoeurs. Par ailleurs, un projet de réforme constitutionnelle viserait à octroyer l’autonomie au sud-est du pays et la libération du chef terroriste Abdullah Öcalan. L’usage démesurée de la violence par la police à Gezi Parki (Taksim) ajoutée aux politiques économiques désastreuses à l’égard des milieux ouvriers et des agriculteurs, la nouvelle politique anti-républicaine de l’éducation nationale, la privatisation de nombreuses entreprises nationales et la volonté d’islamiser la société en commençant par la justice et l’éducation ont provoqué ce mouvement de masse.
Ercan Egeli