Haut-Karabagh : plaidoyer d’un député français pour la paix et l’avenir
Pierre-Alain Raphan, député de l’Essonne et président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan de l’Assemblée nationale, évoque la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et le processus diplomatique pour la résolution du conflit du Haut-Karabagh.
Depuis mi-juillet, de violents affrontements d’artillerie ont eu lieu entre les forces armées arméniennes et azerbaïdjanaises, occasionnant de nombreuses victimes militaires et civiles de part et d’autre. La plupart des accrochages ont eu lieu dans le district de Tovuz, à une centaine de kilomètres au nord des territoires conquis par l’Arménie en 1991 – le Haut-Karabagh et plusieurs districts avoisinants –, ce qui fait craindre un embrasement sur toute la frontière.
Ces événements rendent plus que jamais nécessaire un soutien sans faille des parlementaires français à l’action persévérante de la diplomatie française. Celle-ci est impliquée depuis 1992 en première ligne dans les efforts internationaux en faveur de la résolution pacifique de ce conflit gelé hérité du démantèlement de l’Union soviétique, puisqu’elle assure, en compagnie des États-Unis et de la Russie, la co-présidence du groupe ad hoc de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), baptisé « Groupe de Minsk ». Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, répète régulièrement que la France et l’Union européenne sont attachées au respect de la sécurité nationale de l’Azerbaïdjan et à la poursuite du processus diplomatique de règlement du conflit du Haut-Karabagh.
Il est regrettable que certains députés français – dont certains appartiennent même au groupe majoritaire à l’Assemblée nationale – cherchent régulièrement à dynamiter l’implication du Quai d’Orsay en adoptant des positions bellicistes pro-arméniennes. Ni les origines familiales, ni l’obéissance à un lobby électoral communautaire, ni la haine inconsidérée du monde musulman dans son ensemble ne justifient qu’un représentant de la nation prennent partie de façon outrancière dans un conflit entre deux pays étrangers, surtout quand cela va à rebours, premièrement du droit international, deuxièmement des intérêts stratégiques et de l’action diplomatique de la France et de l’Europe.
En l’occurrence, rappelons que le droit international, depuis 1993, a systématiquement confirmé que le Haut-Karabagh appartient à l’Azerbaïdjan, en particulier par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies. Par conséquent, il est incontestable que les 13 638 kilomètres carrés, soit 16 % du territoire national azerbaïdjanais total, confisqués par l’Arménie en 1991, sont occupés illégalement par cette dernière. Le pseudo-État d’« Artsakh », uniquement reconnu par trois autres pays fantoches orbitant autour de la Russie – l’Abkazie, l’Alanie et la Transnistrie –, ne fait illusion pour personne : même l’Arménie ne le reconnaît pas de jure, ce qui apparaît comme un aveu d’annexion.
Par ailleurs, les conséquences humanitaires du conflit du début des années 90 furent terribles. Outre les quelque 30 000 victimes, plusieurs centaines d’Azerbaïdjanais ont été déracinés, qu’il s’agisse de déplacés ayant dû quitter les territoires occupés ou de réfugiés ayant été contraints à fuir l’Arménie. La communauté nationale azerbaïdjanaise s’est investie sans compter pour intégrer ces familles économiquement et socialement ; il n’en demeure pas moins qu’une résolution pacifique du conflit est indispensable pour qu’elles puissent retourner vivre sur leur terre si elles le désirent.
Si l’Azerbaïdjan a payé le tribut humain direct le plus lourd, l’Arménie sort économiquement exsangue de près de trente ans de confrontation froide : frappée par un embargo, elle n’arrive pas à sortir du sous-développement ni à freiner son déclin démographique et l’exode de sa jeunesse, et elle ne doit sa survie qu’au pont aérien assuré par la Russie. Les deux voisins ont donc intérêt, l’un comme l’autre, à parvenir à une solution négociée.
Et l’Azerbaïdjan doit être considéré comme un ami de la France et de l’Europe, au même titre que l’Arménie, ni plus ni moins que celle-ci.
Contrairement aux clichés mensongers parfois véhiculés, l’Azerbaïdjan est un État laïque. Sa population est certes très majoritairement de culture musulmane – surtout chiite –, mais le pays se caractérise par un faible taux de pratique religieuse et par un esprit d’ouverture vis-à-vis de toutes les croyances comme de l’athéisme. L’Azerbaïdjan s’efforce courageusement de résister à la pénétration de l’islam radical sur son territoire, qu’elle provienne de sa frontière méridionale – la République islamique d’Iran – ou de sa frontière avec le Caucase Nord – les territoires autonomes russes du Daghestan, de la Tchétchénie et de l’Ingouchie. L’Azerbaïdjan est un partenaire essentiel pour lutter contre le jihadisme international et pour suivre les réseaux de « revenants » de l’État islamique ; c’est une tête de pont de la promotion des idées universalistes dans le monde arabo-musulman.
La première République d’Azerbaïdjan, en 2018, fut l’un des premiers pays du monde et le premier pays d’Orient à accorder le droit de vote aux femmes. Aujourd’hui encore, l’Azerbaïdjan est en pointe pour défendre l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et pour combattre les violences domestiques.
Il est vrai que l’Azerbaïdjan n’a pas encore intégré l’ensemble des normes de gouvernance démocratiques, mais c’est aussi le cas, hormis les trois États baltes, de tous les autres pays issus de l’Union soviétique – Arménie incluse –, et Bakou accomplit progressivement des progrès concrets dans ce domaine. En tout cas, contrairement à ce que des médias sous influence voudraient faire croire sans avancer l’ombre d’une preuve, l’Azerbaïdjan est une République présidentielle, bien loin d’une dictature sanguinaire.
Les relations avec l’Union européenne sont du reste cordiales. L’Azerbaïdjan est un allié important des vingt-sept dans le cadre de leur politique de voisinage. Parmi les six pays relevant du Partenariat oriental – trois pays d’Europe de l’Est, trois autres du Caucase Sud, tous ex-républiques de l’Union soviétique –, il apparaît comme le partenaire le plus intéressant, car il n’est ni inféodé politiquement et économiquement à Moscou, ni quémandeur d’une adhésion à l’Union européenne, mais simplement ouvert à une coopération gagnant-gagnant dans tous les secteurs d’intérêt commun. Un nouvel accord global de coopération UE-Azerbaïdjan est d’ailleurs en cours de négociation et un conseil bilatéral de coopération se réunit régulièrement.
Sur le plan économique, l’Azerbaïdjan a su profiter de la manne des hydrocarbures pour assurer son indépendance politique, diversifier ses sources de production de richesses et améliorer le bien-être de sa population. C’est un partenaire incontournable de l’Union européenne pour sécuriser son approvisionnement énergétique.
Les relations culturelles entre nos deux pays sont fructueuses, quoique modestes, et ne demandent qu’à se développer. L’Azerbaïdjan a contribué au financement du département des arts de l’islam du musée du Louvre et est intervenu en tant que mécène au profit de plusieurs communes françaises pour la restauration d’églises. La capitale, Bakou, accueille un lycée français ainsi qu’une université bilingue, l’UFAZ, spécialisée dans les sciences dures, gérée conjointement par l’Université de Strasbourg et l’Université du pétrole et de l’industrie d’Azerbaïdjan.
La position équilibrée de Paris face au conflit du Haut-Karabagh est motivée par cette analyse objective des faits. Idéaliser l’un des deux protagonistes du conflit et diaboliser l’autre, comme le font certains militants aveuglés par leur parti pris, est au contraire nuisible aux intérêts de la France et de l’Europe. De telles professions de foi sont pernicieuses aussi car elles encouragent des opérations délictuelles sur notre territoire, comme les attaques d’activistes perpétrées contre l’ambassade d’Azerbaïdjan et le centre culturel azerbaïdjanais de Paris au petit matin du 14 juillet, jour de notre fête nationale. Ces violences ont sonné comme un défi vis-à-vis de la République car la France n’est en guerre ni contre l’Arménie ni contre l’Azerbaïdjan.
Pour que les élus français apportent une contribution utile à la résolution du conflit du Haut-Karabagh, je propose à mes collègues députés et sénateurs intéressés par l’avenir du Caucase Sud d’entamer une réflexion en vue de lancer une initiative dite « groupe de Minsk parlementaire ». Cette structure de dialogue, qui interviendrait en parallèle et en soutien à la diplomatie gouvernementale, associerait des membres des parlements de la République d’Arménie, de la République d’Azerbaïdjan, de la France, des États-Unis et de la Fédération de Russie.
Pierre-Alain Raphan
Député de l’Essonne
Président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan de l’Assemblée nationale
Avec : Atlantico