23 avril 2024

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Culture

David Boratav : retour à la turcité

Publié le | par Ali Bal | Nombre de visite 610
David Boratav : retour à la turcité

« C’est un des meilleurs romans de la rentrée d’octobre », nous ont dit plusieurs amis avertis. Même si la critique a déjà les yeux fixés sur la ligne de janvier, il faut parler de «  Murmures à Beyoglu », qui figura sur plusieurs listes de prix convoités et qu’un jury girondin vient, opportunément, de distinguer (1).

Pour son premier livre, David Boratav fait preuve d’un étonnant sens de la narration, d’une belle maîtrise des pouvoirs de sa langue (française), d’une assez éblouissante aisance dans le maniement du jeu littéraire, de ses complexités, voire de ses roueries (il admire Borges). Impeccable, par exemple, la technique de ce brouillage qui interdit au lecteur l’assimilation facile du « je » de l’énonciation à l’auteur.

David Boratav (oeil malicieux derrière de petites lunettes, barbiche plus branchée que fondamentaliste) a 38 ans, son personnage, 50, plutôt 60. David Boratav est né en France, il y a passé son enfance. Celle du narrateur est stambouliote, dans le quartier de Beyoglu, avec ses « mis », ses non-dits, ses rumeurs, et l’écrivain reconnaît joliment, pour ce qui concerne la restitution d’un Istanbul des années 50, sa dette envers Orhan Pamuk. Le père du narrateur, exilé à Paris, écrit des poèmes et des contes. Or c’est le grand-père de David Boratav, Pertev Naili Boratav, qui fit chez nous une belle carrière de chercheur, notamment au CNRS, consacrée principalement aux littératures orales de son pays. Ces confusions volontaires ne sont pas innocentes : le personnage principal de « Murmures à Beyoglu » vit dans des brumes intimes. Nanti de lointains souvenirs turcs, il a fait ses études en France. Il se refuse à imaginer le pays de son père, de ses ancêtres, au travers des clichés du « Lagrave et Bouchard », des éblouissements orientalistes de Lamartine, Gautier ou Loti.

Vivant désormais en Angleterre, il va plutôt mal. De graves troubles insomniaques le jettent sur le divan d’un psychiatre. Sa femme l’abandonne-t-elle pour un amant avec qui elle a ses habitudes, il se console avec une Esther qu’il surnomme - le clin d’oeil en dit long - l’Infidèle. Il faudra, après la mort de son père, la publication, dans un journal du soir français, d’un poème inédit dont la traduction le révulse pour qu’il se précipite à Istanbul, en une quête incertaine : retrouver le manuscrit que la mère, rentrée dare-dare en sa patrie, aurait emporté avec elle, et affronter surtout un passé familial et historique qu’il n’a cessé de refuser.

Figures humaines

La majeure partie du livre se passe donc à Istanbul. Force est de constater que la mégalopole du XXIe siècle n’est pas, chez Boratav, si différente de celle de Loti, de Pamuk surtout. La magie des couchers de soleil sur la Corne d’Or, les « vapur » sur le Bosphore, la vaste cité grouillant de menues et multiples activités, de résignations et de violences, les traditions de l’Occident et de l’Asie, ici étroitement emmêlées, tout est là, servi par un art minutieux et sensible de la description dont une position ambiguë aiguise la perspicacité. Le malaise, l’instabilité sont les traits dominants du caractère central. De ces convulsions intimes, deux tremblements de terre figurent la projection désolée : simple embarras dans le tournage d’un film, aux premières pages, propulsant le héros dans un entre-deux où se confondent réel et imaginaire, vrai séisme à la fin, avec son tribut de morts misérables, ses secours désordonnés ou indifférents.

Au fil d’un roman de l’inconfort identitaire, David Boratav a su faire surgir, et astucieusement revenir, quelques figures, quelques types humains qui attachent le lecteur. C’est un pêcheur, souriant d’un enfant qui ne connaît pas encore « le goût de la crevette », c’est un solitaire troglodyte, vivant parmi ses poules, mais que visitent régulièrement des dames élégantes, c’est un peintre aux ongles sales et sans génie qu’entretient un homme d’affaires douteux, fort intéressé par le manuscrit du père, c’est un ermite dans sa mosquée ruinée au fond du parc d’Haci Osman, c’est surtout Mustafa, le petit rabatteur de boîte de nuit, qui se lie avec ce Français-Turc jusqu’à chercher en lui un salut qu’il ne trouvera pas. Figure solaire d’ange rieur, incarnant une Turquie jeune, énergique, débarrassée de ses paralysies, de sa mélancolie consubstantielle, et tournée vers un avenir, pour le jeune Mustafa hélas forclos, mais en quoi le narrateur, débarrassé par le « raki » de ses insomnies, tente de croire.

(1) Le prix Gironde sera remis à David Boratav le 2 décembre.

à lire
« Murmures à Beyoglu »,
de David Boratav, Gallimard, collection Blanche, 368 p., 20 ?.

Auteur : Jean-Marie Planes

Source : SudOuest.com


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