Confidences Ouïgours.

Interview de Axel Jumahong ,militant de la cause ouïgours Par Jean-Guillaume/Gianguglielmo Lozato,envoyé spécial au meeting du Turkestan Oriental de Paris.

L’entretien a eu lieu en marge du meeting international organisé par les exilés ouïgours en France. Il s’agit du premier rassemblement pour l’Indépendance du Turkestan Oriental.

La personne sélectionnée pour cette interview, au Novotel servant de base ouigoure/uyghur pour l’occasion est un personnage dynamique, haut en couleurs, déterminé, passionné et pourtant sujet à des moments d’accalmie consacrés à la réflexion la plus profonde. Extraverti mais concentré. Fashion et traditionnel, par moments pédagogue d’une grande amabilité. Cet homme s’appelle Axel Jumahong, c’est un designer de formation. Il réside en France depuis dix-neuf ans. Dix-neuf années au cours desquelles il n’a pas oublié ses racines.Comme en témoigne sa fougue de militant œuvrant pour la cause de la libération du peuple ouïgour.

Turquie News (Lozato) : Monsieur Jumahong bonjour.

Axel Jumahong (m’arrêtant net) : appelez-moi Axel !

TN : Très bien, Axel. Merci de nous accorder cet entretien sur un dossier pour le moins épineux : le Xinjiang.
Pourriez-vous, s’il-vous-plait, vous définir à nos lecteurs ?

A.J  : Aujourd’hui je n’ai pas de fonction. Ouïgour avant tout, militant contre le gouvernement chinois et les communistes chinois. Je me trouve en France depuis dix-neuf ans.

TN : Votre définition du peuple ouïgour ?

A.J : Il s’agit d’un peuple laïc à l’origine, qui adore la vie, qui vit avec la musique, la chanson, les bons repas et d’expression linguistique turcophone.

TN : Des rituels de socialisation rappelant les turcs ?

A.J : On peut le dire. Les ouïgours peuvent par exemple écouter de la pop turque, entre autres points communs.

TN : Et comment définir le "dossier Ouïgour " ?

A.J (l’air solennel) : Voilà le problème. Au nom du communisme, les chinois ont colonisé d’une certaine manière jusqu’en 1980. Parfois en se montrant carrément adorables. Apparence ? Ils n’avaient jamais eu autant d’égards avec les autres. Depuis 1989, tout cela est terminé. A partir de 1990, se sont perpétrés des massacres d’êtres humains, conjointement à un véritable génocide culturel. Un processus lent et pernicieux dès les années 70, avec quelques individus menacés, puis davantage puis 50 pour 100. Il faut le signaler. Pour atteindre des chiffres au-delà de 50 pour 100 désormais.

TN : Des ouïgours et des chinois divisés, donc. Mais peut-on affirmer dissemblables aussi ?

A.J :Tout à fait.

TN : Intéressant. C’est-à-dire ?

A.J : Les coutumes, les mentalités, la façon de s’habiller, le mode de vie. Certains détails quotidiens comme l’usage du pain (nan) ou la non consommation de porc. Le fait de ne pas boire d’alcool. Les ouïgours, c’est spécial par rapport aux chinois. Y compris physiquement. Pensez un peu que ma propre sœur est blonde aux yeux bleus !!

TN : Alors lorsque les chinois la voient ils doivent faire un arrêt cardiaque ?

A.J : (il rit aux éclats) Voilà, c’est exactement ça. (Puis il devient grave,sombre) Mais bien que ma sœur parle le chinois, ils la considèrent comme étrangère et lui renvoient cette opinion en pleine face. Cela représente notre situation. Obligés d’être chinois officiellement mais ne jouissant pas des mêmes droits que les autres citoyens.

TN : Et à propos de diversité, quels sont les rapports de votre peuple avec l’étranger ? La Turquie et les autres nations de langue turcophone par exemple ?

A.J : Avec la Turquie,il y a des liens fraternels anciens. Avec la Turquie ,les rapports sont bons. Toutefois , il y a un bémol. Ces rapports carrément excellents jusqu’en 2000 sont devenus un peu plus épisodiques et tièdes par la suite. En contrepartie,il semblerait que la chine fasse preuve de certaines complaisances commerciales voire de largesses financières ou d’intimidation ?
Autrement, les rapports sont bons mais aléatoires avec les autres nations de l’ensemble turcophone à cause de la surveillance chinoise frontalière.

TN : Et les ouïgours à l’étranger, pouvez-vous nous en parler s’il-vous-plait ?

A.J : En fait, il n’y a pas de règles établies concernant les destinations. Les gens de chez nous seraient disséminés sur 235 pays. En fait un peu plus de deux millions de personnes qui vivent l’extérieur. En France il n’y auraient que 500 familles au total sur leur territoire, les membres de mon peuple sont 32 millions dont trois millions en camps de concentration,coupés du monde.

TN : Justement. À propos des rapports avec l’extérieur. Les ouïgours lisent-ils la presse étrangère ?

A.J : Dites-moi, très intéressante votre question !
Beaucoup de gens en auraient la volonté. Finalement peu la consultent. Non par manque de motivation mais par manque de possibilités. Ceci à cause de la censure chinoise communiste et dictatoriale. Ceci aussi à cause de la barrière de la langue.
Ceux qui ont accès à la presse étrangère lisent très volontiers Volkes et Metro. Mais c’est un chantier à terminer. Autrement les ouïgours de Chine et de l’étranger consultent beaucoup les sites ou la presse qui ont trait au football.

TN : Ah, le football est très suivi par votre communauté ?

A.J : Ça c’est évident. Et nos joueurs sont à la base beaucoup plus talentueux que dans le reste de la Chine. Pensons à la star Irfan Hezim. Hélas, bien que suivi par le Real Madrid, il a été interné en camp de rééducation.

TN : Donc, le ouïgour moyen reste attaché à ses racines tout en voulant découvrir l’extérieur.

A.J : Bien sûr. Si le ouïgour moyen n’avait pas de problèmes de passeport, il voudrait découvrir le monde entier.

TN : Par exemple en Europe, vers quels endroits vos compatriotes ressentent-ils une attirance, des points communs ?

A.J : Parfois les pays de l’Est. Plus par curiosité que par attirance directement.
Nous aimons très souvent la France, l’Espagne ou l’Italie.
L’Espagne pour le climat, par exemple, la danse.
La France et l’Italie pour d’autres motifs plus subtils.

TN : Oui ? Lesquels ?

A.J : la France, pour des raisons variées. À la fois pour du pur tourisme et pour des raisons plus sérieuses. Par exemple, la France est le pays des droits de l’homme à l’origine. Ça fascine énormément. L’orthographe aussi nous intrigue (sourire). L’histoire de France nous intéresse beaucoup.
L’Italie par contre nous apparaît plus fantaisiste. Nous adorons la mode italienne, surtout les chaussures. Après, le foot italien est souvent le plus apprécié par les personnes originaires du Xinjiang. Ensuite la joie de vivre et la gastronomie. Surtout que chez nous il y a d’incontestables variétés de pâtes.

TN : Ah, un point sensible alors.

A.J : Point sensible et point commun. Après, il y a peut-être eu des recettes dérobées... (clin d’œil).

TN : Marco Polo, les ouïgours y pensent ?

A.J : Oui. Très positivement. Il a ce côté explorateur fantaisiste très italien. Et puis il a réussi à apprécier tous les territoires actuellement chinois qu’il a visités. Dont l’Asie Centrale.

TN : Très bien. Le mot de la fin ?

A.J : J’’espère que la manifestation ouïgour aura une résonance. Que les gens nous découvrent.C’ est l’ordre du jour.

Gianguglielmo /Jean-Guillaume LOZATO, professeur d’italien à L’ENSG et à International Paris School of Business,chargé de cours à l’Université Paris-Est. Auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société.