Aussi bien les discours politiques que les campagnes publicitaires de sensibilisation regorgent de clins d’œil plus ou moins explicites à la citoyenneté active. Le citoyen est constamment encouragé à vivre sa citoyenneté, à s’inclure dans la vie de la cité, à s’intéresser aux affaires du monde, à être acteur et non spectateur. Mais, souvent, lorsqu’il est question du boycott, le bât blesse.
En effet, le boycott est souvent exclu du panthéon des mécanismes de mise en œuvre d’une citoyenneté active pourtant abondamment promue. C’est interpellant. Comme si le boycott renvoyait ipso facto à une essence haineuse et agressive. Comme si le boycott était la matérialisation d’une irrationalité à corriger coûte que coûte. Une aberration irréfléchie.
Sans vouloir verser dans une paranoïa conspirationniste, je ne peux m’empêcher de penser que la raison de cette diabolisation du boycott réside en partie dans une volonté de maintenir le citoyen dans une posture passive et acceptant de facto une réalité à laquelle il ne souscrit pas humainement.
Prenons l’exemple de la guerre en Irak débutée en 2003 à l’initiative du gouvernement actuel des États-Unis.
Le lancement de cette guerre illégitime, qui n’a d’ailleurs de guerre que le nom car elle est clairement criminogène, lancée au nom de la démocratie et afin de prouver l’existence d’armes nucléaires, inexistantes évidemment, avait donné lieu à d’importantes manifestations populaires un peu partout en Europe et aux États-Unis. Des dizaines de millions de citoyens concernés avaient exprimé leur désapprobation vis-à-vis de cette intention destructrice et contraire au droit international.
Le lancement de cette entreprise belliqueuse n’en a pas moins eu lieu. Incompréhension populaire balayée d’un revers de main par quelques dirigeants obnubilés par le pétrole irakien.
De nombreux citoyens ont alors pris sur eux de boycotter toute une série de marques états-uniennes (parmi lesquelles Coca-Cola et McDonald’s sont les plus symboliques) afin de faire acte de leur désapprobation citoyenne en mettant à profit le seul canal d’expression qui, en l’occurrence, ait de l’influence sur le plan individuel, fût-ce de façon infime. Cette posture avait fait l’objet de vives critiques, dont la plus pernicieuse consistait à sous-entendre dans le chef des citoyens boycottant les marques états-uniennes un anti-américanisme, forcément « primaire ».
Pourtant, le boycott est une véritable marque de conscience civique. Notre ère est majoritairement celle de la démocratie représentative. Le citoyen, en tant que composante d’une société, ne peut influer véritablement sur la vie de la cité que d’élections en élections, sans réelle marge de manœuvre durant l’intervalle. Cette situation engendre un certain désintéressement, une certaine indifférence, l’impression de n’avoir de toute façon pas son mot à dire par rapport aux grandes décisions politiques.
C’est précisément dans une telle atmosphère que des voix s’élèvent, en dépassant la léthargie ambiante, pour dire « non », pour rappeler une présence trop souvent négligée par les décideurs, pour réaffirmer leur refus de l’état de fait, pour renvoyer les décideurs à leurs responsabilités. Ceci est l’expression d’une attitude noble.
Prenons par ailleurs l’exemple du Mur (dit, légitimement, « de la honte ») construit par l’État d’Israël.
Malgré la désapprobation de la « communauté internationale » (formulation qui mériterait un article à part entière), malgré l’avis accablant de la Cour Internationale de Justice, principale juridiction garante du droit international, sa construction se poursuit, dans une atmosphère d’impuissance générale et de complaisance dans le chef des principales puissances mondiales.
Face à une telle situation, que peut faire le citoyen ? Soit accepter et en fin de compte faire le jeu de l’injustice, soit se dresser, fût-ce modestement et à titre individuel, contre l’inacceptable et écouter sa conscience, son humanité.
Et là, de deux choses l’une :
le discours selon lequel le boycott relève d’une attitude essentiellement négative, qui n’apporte rien, qui est dépourvue de réflexion, qui est contreproductive, qu’il convient donc d’abandonner, n’est pas pertinent, car rien n’empêche de mener à la fois une action de boycott et divers projets notamment associatifs en faveur d’idéaux humanitaires et civilisationnels ;
l’excuse, car il s’agit d’une excuse mal dissimulée, qui consiste à arguer que le boycott est vain, puisqu’étant le fait d’individualités, avec par conséquent un impact infime, est tout aussi peu pertinent, car chaque projet massif n’est en définitive à l’origine « que » l’initiative de quelques-uns, et il est un fait certain que si chaque individualité, à son petit niveau, fait montre d’attentisme ou, pire, de lâcheté, par le biais d’une vraie prophétie autoréalisatrice la situation, délétère, se perpétuera.
Loin d’être l’expression d’une posture agressive, haineuse ou irrationnelle, le boycott est, pour toutes ces raisons, une initiative intelligente, un véritable acte citoyen, la matérialisation d’une résistance face à l’injustice, à toutes les injustices.
Mehmet Alparslan Saygin
UETD Brussels / Secretary-General
Blog Anachorete