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Cinéma : « L’étrangère », violences faites aux femmes en milieu tempéré

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 187
Cinéma : « L'étrangère », violences faites aux femmes en milieu tempéré

Cinq mille crimes d’honneur sont perpétrés contre les femmes chaque année, d’après les chiffres de l’ONU. Pour son premier film, Feo Aladag plonge au cœur des tourments d’une famille tiraillée entre l’affection et le regard d’une communauté turque allemande aux conventions archaïques.

Le dos droit, le visage parfaitement lisse, quasiment impassible, Umay laisse glisser sur elle le déferlement de violence qui l’accompagne partout. Pour échapper à une vie monotone et à la brutalité d’un mari pour qui elle ne ressent plus rien, la jeune femme de 25 ans quitte Istanbul pour rejoindre sa famille, installée à Berlin. Elle n’emmène que Cem, son adorable fils de quatre ans, qu’elle ne supporte plus de voir enfermé dans le placard pour un oui ou pour un non.

Mais le parcours de combattante de la jeune mère ne fait que commencer. C’est au cœur même de la capitale occidentale porteuse de toutes les promesses d’une vie libérée des carcans de la tradition qu’elle sera confrontée au pire. Passée la joie de la revoir, ses parents la pressent de questions : l’abandon de son mari constitue un déshonneur que la communauté turque ne saurait tolérer. Devant l’obstination d’Umay, le ton se durcit progressivement… Jusqu’à l’irréversible.

Disons le tout net : L’Étrangère est un film très sombre. Non que ses protagonistes soient d’infâmes intégristes détestant tout ce qui porte des cheveux longs et une paire de seins. Bien au contraire. La réalisatrice a campé son histoire au sein d’une famille où la tendresse est palpable, bien que sans cesse mise à mal par le poids des conventions. Le père qui ferme les yeux sur les violences faites à sa fille, la mère qui ignore ses appels désespérés, les frères et sœurs qui l’entourent : tous aiment Umay et son fils Cem, sans pour autant arriver à leur tendre la main. Et c’est bien ce qui rend l’histoire tragique.

Une tragédie moderne sur les thèmes de l’émigration, la difficulté d’imaginer un futur sur une terre nouvelle, les liens familiaux mis à l’épreuve du communautarisme, voilà ce que Feo Aladag a voulu traiter dans ce premier long-métrage. Parler des crimes d’honneur sans manichéisme, la tâche relevait de la gageure. Mais la réalisatrice elle-même est un pied de nez aux idées reçues : on l’imaginait brune et -tant qu’à faire- d’origine turque, elle est blonde comme les blés. Feo Aladag s’est mariée avec un Turc, qui lui a donné son nom, mais elle est née en Autriche.

Lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui ont motivé ce film, elle assure néanmoins qu’elle aurait souhaité raconter cette histoire même si elle avait épousé un Islandais. « Avec un film, on peut toucher les spectateurs de plusieurs manières, dit-elle. On peut s’adresser à l’intellect, et essayer de fournir des réponses, mais je ne crois pas que ce soit la façon la plus efficace de laisser une trace ». Aux réponses forcément simplistes, Feo Aladag a préféré l’émotion, et le tableau sans jugement.

Patiemment, sans caricature, elle a tissé la toile dans laquelle ses personnages sont prisonniers. Lorsque la réalisatrice se met à parler d’ « espoir » et de « main tendue » entre les gens, on sursaute un peu, la confiance en l’humanité n’étant pas exactement le sentiment prédominant lorsqu’on sort de son film. Mais elle insiste, rappelant les vertus cathartiques de la tragédie, justement.

Impeccablement interprété, L’Étrangère rappelle entre autres le meurtre d’Hatun Sürücü en 2005 par ses propres frères dans un quartier sud de Berlin. Feo Aladag jette une lumière subtile et contrastée sur ces faits divers sinistres qui bouleversent régulièrement l’opinion publique.

Au cinéma le 20 avril 2011

Source : Marianne


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